Dans l’actuel débat sur le projet de charte des valeurs québécoise, présentée par le gouvernement du Parti québécois, un sujet enflamme les passions plus que les autres, celui du port du voile (foulard, hidjab) par les musulmanes dans les services publics. Même si le projet de charte parle de signes religieux ostentatoires, bien peu de gens ont parlé de la kippa ou du turban, mais beaucoup a été dit sur le hidjab.
Diverses réflexions sur les motivations des femmes qui le portent, motivations religieuses, certes, mais aussi politiques et identitaires ont été présentées. Pourtant assez peu s’est dit sur ce que pouvait signifier le hidjab pour les personnes, femmes ou hommes, qui le voient dans l’espace public. On a parlé de signe d’inégalité entre les sexes, voire de soumission de la femme. Certains ont aussi évoqué qu’il pouvait être un obstacle dans la communication entre les personnes. Dans un véritable dialogue interculturel, il est important que chacun puisse s’exprimer sur le sens qu’il donne au port du voile islamique et l’effort de compréhension de la vision de l’autre doit être partagé.
En effet, une des choses qui distingue le hidjab de la kippa et du turban est la mixité des sexes dans l’espace public. Le port d’un couvre-chef, même s’il ne touche qu’un sexe, le masculin, est, pour un Juif ou un Sikh, indépendant de la présence ou non de femmes. Pour le hidjab, c’est le contraire. Dans un contexte familial, ou entre femmes seulement, le hidjab devient facultatif. C’est donc dire que sans hommes, il n’y aurait pas de voile !
À mon sens, cela pose non seulement la question de l’égalité entre les sexes, ce qui a été souvent souligné, mais plus largement les questions de la relation entre les sexes, de la ségrégation sexuelle et de la mixité. Les controverses sur l’utilisation des piscines publiques, où on réserve parfois des plages horaires pour les femmes seulement, illustrent bien cette problématique. Encore une fois, le débat citoyen est nécessaire.
Il ne faut pas oublier non plus que la laïcisation du Québec a pris son envol dans les années 1960 et concernait alors la religion de la majorité, le catholicisme. Il en est de même avec la loi de 1905 en France. Alors qu’aujourd’hui, le débat sur la laïcité se fait dans un contexte d’immigration beaucoup plus importante et touche donc les religions minoritaires, celles de certaines communautés culturelles. Il faut en tenir compte dans le débat actuel, et chercher à éviter les raccourcis et les discours qui excluent.
Enfin, la laïcisation doit être vue comme un processus continu, et non comme une lutte à finir. Bien que commencée depuis plusieurs décennies, et malgré des progrès indéniables, la laïcisation du Québec se poursuit encore, avec ou sans charte. Souvenons-nous qu’il y a eu de l’enseignement religieux dans les écoles publiques québécoises jusqu’en 2008. L’adoption d’une éventuelle charte viendra bien sûr poser des jalons importants dans ce processus, à nous de définir, par débat démocratique, de quoi seront faits ces jalons.