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Quelles solutions à quelles crises?*

« L’investissement est nécessaire, mais quand il rapporte entre 15% et 20%, cela devient inique », opine Susan George, présidente d’honneur de la section française de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC-France). Cet organisme, fondé en 1998, s’est fait connaître pour la promotion de la Taxe Tobin.

Susan George nomme les crises et propose des solutions. « Vous avez dit crise ? Tenez : vous avez l’embarras du choix. Effondrement de l’économie-casino et des finances mondiales, pauvreté et inégalités croissantes depuis trente ans, combat quotidien de millions de gens pour accéder à l’eau et à la nourriture, réchauffement climatique aux conséquences humaines désastreuses. Toutes ces crises procèdent des mêmes politiques néolibérales mises en œuvre dans le monde par les mêmes acteurs ; elles s’aggravent mutuellement et pourtant aucune n’est une fatalité. Nous pourrions jouir d’un monde propre, vert, riche et juste, où chacun vivrait dignement. À leur logique, opposons la nôtre », écrit-elle en quatrième de couverture de son bouquin Leurs crises, nos solutions (Albin Michel, 2010).

Ses solutions paraitront radicales à certains, mais elle demeure cynique face au Grand Soir. « Le mythe révolutionnaire est tenace, mais j’y croirai quand on m’aura donné le nom du tsar que nous sommes censés renverser cette fois-ci et l’adresse du palais d’Hiver où on peut le trouver, lui et ses conseillers, afin de les pendre à la lanterne la plus proche. Tout ce que je sais, c’est que ce palais ne se trouve ni à Wall Street ni à la City de Londres (…) en dépit de leurs propres irréflexions, imprudence et stupidité. »

Lors d’une conférence donnée dans le cadre de l’université populaire des Nouveaux cahiers du socialisme, en août dernier, elle soulignait que « quatre cents personnes aux États-Unis possèdent plus que la moitié de la planète réunie ».

Par contre, appeler à la fin du capitalisme, précédée ou non d’une révolution, « je sympathise, mais là encore, je serais plus à l’aise si je savais ce que cela veut dire. »

Susan George mise sur les forces sociales. Elle croit au « processus évolutif de transformation, alimenté par une pression publique constante – locale, nationale et internationale lorsque c’est possible -, qui contraindra les États à freiner le secteur privé, notamment les conglomérats financiers, et à faire passer les peuples et la planète avant l’accumulation et le profit, dans un contexte social beaucoup plus coopératif. »

Quels changements ?

 En clair, inversons les paradigmes, suggère-t-elle : finance-économie-société-planète doivent virer de cap en cap. Priorité devrait aller à la planète si nous voulons survivre, ensuite à la société. « L’économie ne représenterait qu’un simple aspect de la vie sociale, celui qui assure la production et la répartition des moyens d’existence concrets de la société. » Quant à la finance, elle passerait de la sphère la plus importante à la sphère la plus ténue, afin qu’elle redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un soutien à l’économie, elle-même soutien à la société.

Les solutions de Susan George : un « New Deal vert », qui impliquerait l’abolition des paradis fiscaux, la transformation des agences de notation en sociétés publiques, l’interdiction des produits dérivés qui incitent à la spéculation et à la prise de risque, la restauration d’une stricte régulation sur les marchés financiers et les banques d’affaires. La nationalisation des banques fait aussi partie du programme, afin qu’elles servent mieux les intérêts sociaux. Aux personnes qui craignent les interventions de l’État, elle répond que « les sociétés les plus égalitaires sont celles où les dépenses publiques sont les plus élevées. »

Elle ne sous-estime pas l’ampleur du défi : « les populations du monde ont une énorme tâche à accomplir, un effort qui n’a jamais été encore exigé de l’humanité. »

Ne sommes-nous pas que des grains de sable face à un système financier qui nous échappe totalement ? Oui ! Par contre, l’un de ces grains sur un amas de sable, de temps à autre, « peut provoquer un mouvement mineur, qui ne va pas bien loin – mais finalement un grain de plus, un seul, déclenche une énorme avalanche et le système « se reconfigure » ; la pente du tas de sable devient beaucoup moins abrupte ; il se réorganise dans un état beaucoup plus stable. Aucun grain de sable (…) ne jouit de propriété spéciale – en eux-mêmes, ils sont tous insignifiants. »

« Je pourrais faire quelque chose, écrit Susan George, ou donner à d’autres envie d’agir à leur façon ; je pourrais être le grain de sable insignifiant mais crucial qui provoque la reconfiguration du système dans un ordre plus sain, plus vert, plus juste, plus civilisé et plus humain. »

« Vous aussi », conclut-elle.

 

Susan George, Leurs crises, nos solutions, Albin Michel, 2010, 366 pages

 


Encadré

 

Parmi les solutions de Susan George

 

–       Séparer banques de dépôt et banques d’affaires constitue le premier point à l’ordre du jour. « Trop grand pour faire faillite veut dire trop grand. Point final. On ne doit plus jamais donner aux banques l’autorisation malsaine de garder leurs pertes secrètes et leur risques hors bilan »

–       « Les agences de notation payées par ceux dont elles notent les titres, ce n’est plus possible. Cette mission doit être confiée à des sociétés publiques et non privées. »

–       La création d’un New Deal vert.  « Ces nouveaux secteurs et produits bons pour l’environnement bénéficieraient tous d’une immense valeur à l’exportation et pourraient vite s’imposer comme la norme mondiale. Les Chinois l’ont compris et investissent massivement dans le solaire et les éoliennes. »

–       « À la fin 2008 encore, suggérer de nationaliser des banques eût été s’exposer à d’horribles accusations de communisme masqué ou d’hérésie, voire être jugée digne de l’asile d’aliénés : aujourd’hui, l’idée fait son chemin, et elle est ouvertement défendue par des personnes tout à fait respectables, parmi lesquelles des lauréats du prix Nobel comme Joseph Stiglitz. »

–       Annulation de dette des pays pauvres très endettés à la condition qu’ils utilisent une partie des sommes ainsi épargnées pour protéger le climat, par le reboisement et autres actions pour protéger l’environnement

–       Augmenter les revenus de l’État en imposant davantage les riches (Warren Buffet lui-même le recommande), en taxant les transactions financières (Nicolas Sarkozy s’en fait le promoteur) et en abolissant les paradis fiscaux.

 

Susan George mise sur les projets publics de grande envergure. « Nous devons braquer les projecteurs sur les meilleures initiatives issues du secteur public, de préférence les grandes, parce que la meilleure pratique écologique est encore à trop petite échelle et souvent plus proche du folklore que du projet politique crédible. Les dispositifs qui fonctionnent doivent être popularisés et reproduits; et ces succès doivent être portés au crédit des dirigeants qui les mettent en place. »

 

Elle n’accorde pas une confiance aveugle à l’État pour autant. « Ce que les citoyens doivent exiger et provoquer, à mon avis, c’est une coalition des entreprises (surtout petites et moyennes), des pouvoirs publics et des citoyens dans une nouvelle figure de l’économie de guerre keynésienne. »

 

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*Publié dans le magazine Conseiller, octobre 2011

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