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Québecor-PKP : vers la berlusconisation de l’État québécois ?

C’est une première ministre du Québec gonflée à bloc qui, le 16 avril dernier, s’est avancée au micro pour confirmer la rumeur voulant que Pierre Karl Péladeau (PKP), alors président et chef de la direction de l’empire Québecor[1], soit nommé à la présidence du conseil d’administration d’Hydro-Québec. Bien sûr, la circulation des élites politiques et d’affaires dans les conseils d’administration de grandes entreprises privées et publiques ne constitue pas une nouveauté[2], mais que le magnat de la presse, du divertissement et des communications au Québec se retrouve à la tête du conseil d’administration de notre plus grande société d’État, c’est là un précédent qui aurait dû, a fortiori, au moment où la telenovela de la Commission Charbonneau battait des records d’audience[3], faire naître un débat public.

Manifestement, ce ne fut pas le cas puisque même le conflit d’intérêts n’a guère suscité d’opposition, et ce, autant chez nos éluEs à l’Assemblée nationale que dans les pages de nos médias grand public[4]. Au contraire, loin d’y voir une effarante proximité entre les pouvoirs médiatique et politique ou « une dangereuse berlusconisation de l’État », selon la formule percutante de Michel David du Devoir[5], ce fut l’occasion pour plusieurs commentateurs/commentatrices et éluEs d’y aller d’éloges à la gloire de notre nouveau héros du Québec inc. qui, bénévolement, donnera à la patrie.

C’est justement parce que nos journalistes dits professionnels ont à peine effleuré les causes et les enjeux[6] relatifs à une telle « berlusconisation » qu’il importe ici de s’y attarder. Mon intention est triple : 1) examiner le nouvel ordre politico-médiatique qui est en train de se mettre en place au Québec à la faveur de la domination de l’acteur corporatif Québecor dans les champs de plus en plus hétéronomes du journalisme, de la culture et des communications au Québec ; 2) montrer que la nomination de PKP n’est que le dernier avatar d’un processus amorcé dans les années 1980 et qui soumet peu à peu les États contemporains à une raison gestionnaire dissolvant « à terme le caractère proprement politique des finalités historiquement assignées à l’administration des États modernes[7] » ; et 3) rendre compte de la singularité de Pierre Karl Péladeau comme personnage politique, et ce, en prenant au sérieux la métaphore « berlusconienne » employée par Michel David.

Mais d’abord, comme il ne saurait exister d’empereur sans empire, je ferai une description de Québecor, en reconstituerai sa genèse pour ensuite rendre compte de quelques-unes des stratégies et pratiques de l’entreprise des plus néfastes pour la qualité de la conversation démocratique au Québec. Dans la mesure où les médias et le journalisme trouvent leur légitimité dans la mission démocratique de service public qui leur est dévolue, c’est-à-dire dans la constitution d’un espace de représentation et de discussion devant permettre à la société de se distancer d’elle-même et, ce faisant, de prendre en main son devenir, la poursuite de cette mission est indissociable des droits politiques fondamentaux que sont le droit à l’information et le droit à la liberté d’expression et de presse.

Vers la berlusconisation de l’état québécois

 

Or, force est de constater – et c’est ce que je tenterai d’abord de démontrer – que l’empire de PKP constitue ni plus ni moins « l’avant-garde » ou la pointe avancée des tendances liberticides de ces droits fondamentaux contenues dans le processus de libéralisation-financiarisation-concentration des industries de la communication et de la culture en cours.

De Québecor World à Québecor Media inc. : l’essor d’un puissant acteur corporatif

 

« Québecor est l’un des plus importants conglomérats de médias au Canada. Elle (sic) est active dans la télédistribution, la téléphonie, l’accès Internet, l’édition de journaux, de magazines et de livres, de même que dans la distribution et la vente au détail d’un large éventail de produits culturels[8]. » Voilà comment l’empire se présente sur la page d’accueil de son site Web. D’abord spécialisée dans les tabloïds locaux[9], les quotidiens populaires, les « journaux jaunes », les magazines à potins et, à la mort du fondateur en 1997, possédant, par le biais de l’intégration verticale, d’importants intérêts dans la forêt, dans des papetières, l’imprimerie et la distribution, l’entreprise a connu une telle métamorphose en moins de 20 ans que Péladeau père la reconnaîtrait à peine.

C’est que de Québecor World (le second grand imprimeur au monde en 1997), vendu à perte par PKP lui-même, à la naissance de Québecor Media inc. en 1999, il y a la « transaction transformationnelle » – aux dires mêmes de PKP – qu’a constituée l’acquisition historique de Vidéotron (2000)[10]. Cette acquisition permettra à l’entreprise non seulement de survivre et de se hisser parmi les quelques conglomérats médiatiques incontournables au Canada, mais de miser ensuite sur une stratégie de convergence des contenus qui, une fois mise en branle, laissera présager les durs conflits syndicaux qui parsèmeront les années 2000.

De plus, on ne peut pleinement comprendre la transformation qu’a connue Québecor ces deux dernières décennies sans évoquer les phénomènes majeurs que constituent la financiarisation de l’économie et celui de la constitution – concomitante – de grands conglomérats des télécommunications, de l’audiovisuel et des industries de la presse et de la culture. Si la concentration des médias est fort bien documentée, les liens existant entre cette concentration et la financiarisation des entreprises médiatiques ont été jusqu’ici très peu examinés.

Pourtant, c’est elle qui en constitue le moteur et qui « imprime à la marchandisation de l’information, du divertissement et de la culture une dynamique dont les effets sur les conditions de production et sur le contenu, constitue, par elle- même, une menace sur le pluralisme et la qualité de l’information, de la culture et du divertissement[11] ». La financiarisation renvoyant ici – d’un point de vue microéconomique[12] – à ce nouveau mode de gouvernance des entreprises dans lequel (1) l’actionnaire est roi et maître (définissant les stratégies et contrôlant les « managers »), (2) l’investissement à court terme est la norme (l’important étant d’abord d’augmenter la valeur boursière de l’entreprise) et, enfin et surtout, (3) dans lequel ce sont les travailleurs et les travailleuses – à travers une nouvelle organisation du travail qui les pressurise de tous côtés – qui supportent les risques. L’histoire de Québecor de ces quinze dernières années ne constitue- t-elle pas l’illustration parfaite d’un tel mode de gouvernance ?

Pire encore, selon des chercheurs comme Dwayne Winseck, la révolution numérique, l’arrivée d’Internet et la baisse des revenus publicitaires affectant les médias traditionnels constitueraient l’arbre cachant la forêt de la financiarisation des médias. Ce chercheur québécois a bien démontré, par exemple, comment les grands groupes médiatiques, cherchant de nouvelles modalités d’accumulation du capital dans un contexte de faible croissance économique, n’ont pas hésité à adopter ce nouveau mode de gouvernance de leurs entreprises et se sont endettés énormément afin d’acquérir des concurrents, amenant certains d’entre eux au bord du gouffre sinon entraînant carrément leur chute (par exemple Canwest[13]).

Aussi, ce phénomène serait-il fortement sous-estimé comme facteur explicatif de la crise contemporaine (disparition de journaux nationaux et locaux, homogénéisation et marchandisation de l’information, etc.) des médias :

Les déboires actuels qui frappent certaines entreprises de presse ne sont pas principalement dus à l’assaut constant de l’Internet ou de la baisse des recettes publicitaires dans les « vieux médias ». Au lieu de cela, je soutiens que les conditions actuelles reflètent une baisse à court terme (cyclique) des revenus publicitaires causée par le ralentissement économique, les résultats cumulés des deux vagues de consolidation (1995-2000 et 2003-2007) et la financiarisation des médias. Le concept de financiarisation […] met en évidence l’extraordinaire croissance du secteur financier et des actifs financiers […].

En effet, amorcée par l’argent facile de l’essor du secteur des communications et des nouvelles technologies, la convergence des médias et les politiques permissives du gouvernement libéral, les entreprises de télécommunications et les médias ont fait une frénésie d’achats. BCE a acheté CTV et The Globe and Mail (3,4 milliards de dollars) en 2000, et Québecor a acheté Vidéotron, TVA et la chaîne Sun (7,4 milliards de dollars) entre 1998 et 2001, ce qui en fait le plus grand conglomérat des médias du Québec[14].

Les mêmes causes créant les mêmes effets, Québecor s’emploiera d’abord à diminuer sa dette gigantesque[15]15 et PKP, « un financier pur et dur » selon l’ex- chroniqueur économique de La Presse Michel Girard (maintenant au Journal de Montréal), ne lésinera pas « sur les moyens pour rentabiliser la vache à lait de son entreprise, Québecor Média ». Selon Girard, et je cite, PKP « n’en a rien à foutre des lockoutés du Journal de Montréal et des syndiqués du Journal de Québec, TVA, Vidéotron […] des grands patrons des entreprises concurrentes, comme Radio-Canada, La Presse, BCE et ses filiales, Astral, etc. Et gare aux dirigeants des organismes paragouvernementaux (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ou CRTC, Fonds des médias, etc.) et aux politiciens qui oseraient se mettre en travers de sa route. Un magnat de presse, ça peut varloper[16]».

Le varlopage liberticide de PKP-Québecor

 

« Les syndicats québécois nuisent au développement économique […] profitent de lois qui désavantagent les entreprises et compromettent la productivité[17]» dixit PKP. Voilà un air archi connu qu’on nous bassine dans les médias depuis plus d’une trentaine d’années ! Mais si le grand manitou du star system québécois ne se démarque pas sur le plan rhétorique, on ne peut en dire autant concernant l’agressivité antisyndicale déployée concrètement au cours de ses 14 ans de règne à la tête de l’empire. À l’origine de 14 lockout dont celui, malheureusement marquant, imposé aux 253 employéEs (PKP préfère le mot « collaborateurs ») du Journal de Montréal en janvier 2009, le grand patron de Québecor suit les traces des Murdoch[18] de ce monde.

À lui seul, ce coup de force consistant à publier un journal sans journalistes pendant 728 jours consécutifs en dit effectivement long sur la puissance et les visées de l’empire. Cherchant à maximiser sa valeur actionnariale et à rembourser au moins partiellement sa dette, Québecor imposera un nouveau modèle d’affaires fondé, entre autres, sur la convergence des contenus entre les différentes plateformes du conglomérat[19]. Cela signifie qu’un « produit médiatique » (texte, vidéo, photo, etc.) susceptible de plaire à un maximum de clients et de clientes peut se retrouver reproduit et accessible sur tous les supports de diffusion de l’entreprise. Voilà une stratégie fort rentable puisqu’elle permet une réduction drastique des coûts de production et offre une plus grande visibilité aux annonceurs[20]. Et tant pis pour la diversité des contenus, la qualité de l’information et la mission journalistique (dès lors détournée sinon corrompue[21]).

À n’en point douter, nous assistons au pire scénario déjà évoqué par Marc-François Bernier à la suite d’une recherche effectuée récemment auprès des journalistes des grands conglomérats médiatiques du Québec : Le scénario le plus à risque pour l’information réunit des conditions tel (sic) le mode de propriété à capital ouvert aux actionnaires des marchés publics, la propriété des médias écrits et électroniques et une stratégie de convergence de ces médias traditionnels avec les médias numériques. C’est la situation vécue par les journalistes du conglomérat Québecor[22].

Dans ces conditions, autocensure et détresse professionnelle deviennent le pain quotidien des journalistes à la solde de Québecor. Ajoutez, à ce sentiment général de dégradation des conditions de travail et des pratiques professionnelles de la part des journalistes, l’arrivée massive de chroniqueurs-vedettes à peu près tous situés, surtout à partir du lock-out de 2009[23], à droite de l’échiquier politique, et vous obtiendrez une machine commerciale et idéologique sans précédent dans l’histoire de la presse au Québec, « machine » qui a, évidemment, peu à voir avec le modèle idéal de journalisme d’information au service de la démocratie auquel PKP et ses sbires déclarent adhérer et promouvoir, périodiquement, devant les membres du CRTC[24].

Québecor : un appareil idéologique

 

Les médias de masse (le journal, la radio, la télévision, etc.) ne font pas que rapporter des événements. Ils les mettent en forme (« in-former », c.-à-d. « mettre en forme ») et participent à l’élaboration d’une représentation commune d’un monde qu’il s’agit de problématiser, de discuter, voire de transformer par la participation des citoyens et des citoyennes au débat public. Les médias et le journalisme, par ce pouvoir absolument fondamental de narrer le monde, sont au cœur du processus d’institution symbolique du social par lequel les sociétés se reproduisent. Chiens de garde de la démocratie, les journalistes sont donc investis d’un rôle politique fondamental: « favoriser le débat entre citoyens “éclairés”, aptes à déterminer les formes d’un monde qui n’apparaît donc plus comme quelque chose de donné, mais plutôt à construire[25]».

Or, depuis plusieurs décennies maintenant, de nombreuses et nombreux auteurEs ont cherché à rendre compte du fonctionnement effectif des médias grand public afin de vérifier dans quelle mesure ils dérogeaient ou non à cette mission démocratique de service public. Et force est de constater que les résultats de ces recherches[26]sont sans équivoque. Ils concluent, dans leur majorité, a contrario du modèle idéal de la sphère publique théorisé par Jurgen Habermas[27] (l’auteur de référence ici), qui est celui d’une agora où sont présentes la rationalité, la transparence, l’accessibilité et la liberté d’expression, que les médias grand public s’approchent davantage du modèle conceptuel de l’appareil idéologique.

En d’autres mots, ils constitueraient moins des média-tions participant à la construction d’une opinion publique éclairée que des outils producteurs de consentement au service des patrons de presse et des élites économiques et politiques[28]. Pour être plus précis, une auteure comme Anne-Marie Gingras[29], par exemple, est d’avis que l’on peut situer chaque acteur médiatique comme toute production journalistique sur un tel continuum conceptuel marqué par les pôles de la sphère publique et celui de l’appareil idéologique et que c’est le degré de dépendance d’un média donné par rapport aux autres pouvoirs (économiques et politiques) qui constitue la variable déterminante : plus il est dépendant de tels pouvoirs et plus on peut le considérer comme un appareil idéologique[30].

Aussi, il ne fait aucun doute que l’on peut de plus en plus considérer les médias de Québecor comme la version québécoise (et canadienne si nous incluons la chaîne de télévision Sun TV et les nombreux journaux de sa filiale Sun Media[31]) d’un tel appareil. C’est que l’orientation nettement néolibérale des pratiques d’affaires de l’empire se double, depuis plusieurs années, d’un néopopulisme de droite faisant « du bien commun et du respect des valeurs progressistes sa principale cible au point de se transformer en véritable machine de propagande politique[32]».

Non seulement des chroniqueuses et des chroniqueurs nettement campés à droite du spectre politique bénéficient-elles/ils d’un important espace rédactionnel pour relayer le point de vue de l’éditeur[33], mais c’est aussi la couverture même de l’actualité qui fait fi des exigences éthiques minimales du journalisme professionnel[34]. C’est ainsi qu’il a été démontré que la crise des accommodements raisonnables survenue en 2007-2008 n’est pas sans lien avec la dérive populiste de l’empire, qui a fait ses choux gras en désinformant et en cultivant la xénophobie et l’ignorance des Québécois et des Québécoises pendant de longues semaines[35]. Et que dire de l’intense propagande néolibérale qui, sur les ondes de TVA et de LCN, dans les colonnes du Journal de Montréal et du Journal de Québec, martelait quotidiennement le même mantra néolibéral: « Le Québec est dans le rouge[36]». Sans compter la « brutalité médiatique » (l’expression est du philosophe québécois Christian Nadeau) dont a fait preuve l’empire durant le conflit étudiant du printemps 2012.

Des opinions diversifiées ?

 Est-ce que le Journal de Montréal « nouveau » vient rendre caduque la thèse de l’appareil idéologique défendue jusqu’ici ? L’intention n’est évidemment pas de diaboliser les opinions de droite dans l’espace public et de dénier leur légitimité. Le problème étant leur nette hégémonie et, pire encore, l’instrumentalisation politique de ce discours à des fins antiprogressistes (par exemple : associer les « carrés rouges » au terrorisme ou à la violence), si ce n’est pas à des fins racistes, homophobes, islamophobes, etc. Et c’est tant mieux si la fairness doctrine[37] prend ainsi un peu forme dans l’un des multiples médias de l’empire (TVA, LCN, 24 heures et Sun News et cie affichent toujours le même monochromisme idéologique).
 
 
Annoncée en grande pompe le mardi 1er octobre 2013, la nouvelle mouture du tabloïd, il est vrai, affiche une plus grande diversité idéologique de chroniqueurEs, de blogueurs et de blogueuses. Ainsi, on trouve parmi les 35 nouvelles recrues au moins six ou sept personnes vraiment affiliées à une pensée progressiste de gauche ou de centre gauche (Simon Tremblay-Pepin, Camille Bouchard, Josée Legault, Hugo Latulipe, par exemple).
Par contre, à l’extrême droite de la même double page, on présente plus modestement, dans un mince encadré, les « vrais » chroniqueurs réguliers et, comme par hasard (!), 18 chroniqueurEs sur 20 sont nettement de droite. Enfin, juste au-dessous, apparaissent les visages des neuf blogueurs réguliers de Québecor dont au moins les deux tiers sont affiliés à une pensée conservatrice. Alors, que penser de cette subite et surtout douteuse diversification idéologique ?
 
 
En fait, on peut y voir une nouvelle étape de l’information sur le Web et, surtout, une manière pour Québecor non seulement de faire oublier son antisyndicalisme et ses unes réactionnaires et populistes, mais de se positionner avantageusement dans les forums sociaux de l’ère numérique. Plus précisément, il s’agit ici, dans une logique d’expansion économique et de captation maximale des publics et des revenus publicitaires, de faire de la nouvelle plateforme Web du journal un passage obligé des débats de société, de damer le pion aux concurrents nouveaux (Huffington post Québec) et anciens (LaPresse.ca et LeDevoir. ca). Après la convergence des médias de l’empire, est-ce que nous en sommes à la convergence des débats sur le seul espace Québecor ?
 
 
On pourrait objecter, et plusieurs l’ont fait dans les médias sociaux, que la présence d’une voix de gauche dans cet espace (comme celle de Simon Tremblay-Pepin de l’IRIS, par exemple) représente une occasion inespérée de joindre un public généralement peu exposé aux idées progressistes. Le célèbre documentariste américain Michael Moore n’a-t-il pas affirmé que « la gauche devrait aller jouer au bowling plus souvent » plutôt que de prêcher aux convertiEs de sa chapelle ? Fort bien, mais à condition de jouer dans quelques allées centrales et tout près du casse-croûte (là où on risque d’être entendu un peu) et non au troisième sous-sol virtuel de l’empire.
 
 
Comment ne pas voir que ce sont les chroniqueurs d’opinion « chevronnés » (sic) qui se trouveront régulièrement dans les pages centrales du Journal de Montréal et que les propos des chroniqueurs « invités » s’y retrouveront beaucoup plus rarement ? Sans compter qu’un certain devoir de mémoire envers les luttes syndicales des dernières années constitue, à lui seul, un motif raisonnable de s’abstenir de cautionner les pratiques détestables de ce puissant acteur corporatif.
 

 Bien sûr, Québecor n’est pas seul à faire la promotion du néolibéralisme dans l’espace médiatique québécois. Par exemple, Power Corporation, par l’entremise de sa filiale Gesca qui est propriétaire de La Presse, Le Soleil, Le Nouvelliste et Le Droit, n’a pas plus intérêt que son concurrent à promouvoir un véritable pluralisme idéologique dans ses pages. De même, Québecor n’a pas créé la demande sociale vertigineuse pour le divertissement pas plus qu’il n’a inventé le règne de l’opinion et du bavardage sans fin fait spectacle (pensons au show de Mario Dumont, lui-même une créature politico-médiatique de l’empire)[38], mais il n’en demeure pas moins qu’on a ici affaire à un cas singulier dans la courte histoire de la presse et du journalisme québécois : propagande idéologique assumée comme telle (surreprésentation des idées libertariennes mâtinées d’un nationalisme conservateur[39] sur tous les supports de l’empire[40]), prolétarisation des journalistes devenant des journalistes multitâches producteurs de contenus marchands, hypermarchandisation de l’information et tutti quanti.

Grandes bénéficiaires des politiques néolibérales des trente dernières années adoptées par les gouvernements fédéraux et provinciaux successifs[41]– alors que l’empire aime, dans ses incessantes jérémiades publiques, revêtir les vêtements victimaires de l’ostracisme étatique – toutes les filiales de QMI dominent aujourd’hui leur secteur d’activité: Vidéotron comme le premier câblodistributeur au Québec et le troisième au Canada, Sun Média et Canoë en tant que plus grand éditeur de journaux au Québec et au Canada, Groupe TVA dominant le marché de la télédiffusion au Québec et celui du magazine francophone en Amérique du Nord et, enfin, Archambault, Groupes Sogides[42]et Nurun constituant des acteurs de premier plan dans la vente de produits culturels, l’édition de livres et la conception de nouveaux médias interactifs.

C’est ainsi que l’empire, compte tenu de son emprise extraordinaire sur la consommation médiatique des Québécois et des Québécoises – « Québecor accapare 42 % du temps consacré à lire un quotidien, 45 % du temps qu’ils passent à lire un magazine, 28 % du temps qu’ils passent devant la télé (et) 27 % du temps qu’ils passent à lire un hebdo[43]» – est en mesure de bousculer les gouvernements, d’intimider les éluEs et de « faire et défaire des carrières artistiques et politiques[44]». On aurait tort ici de prendre cette affirmation à la légère.

Pensons seulement au mépris ouvertement affiché du conglomérat à l’égard des institutions communes régulant jusqu’alors les pratiques des journalistes et des entreprises de presse au Québec : désaffiliation du Conseil de presse du Québec, abandon de La Presse canadienne et création de sa propre agence de presse interne QMI, attaque répétée contre le service public (la Société Radio- Canada), etc.

À ce titre, le chantage éhonté entourant l’hypothétique retour d’un club professionnel de hockey à Québec et la construction d’un nouveau colisée qui, par le biais d’une propagande populiste habilement menée par les médias de l’empire et la radio poubelle locale, se sont soldés par un double cadeau de l’État québécois (subvention et privilège législatif à la clé) à cet assisté social corporatif en constituent une autre confirmation. Décidément, l’empire en mène large : « Qui veut aller en élection avec un groupe de médias contre lui ? Quel gouvernement veut faire ça ? » dira Raymond Corriveau, ancien président du Conseil de presse du Québec[45].

 PKP à Hydro-Québec ou l’État-Provigo

 

Il y a eu dans l’histoire récente du Québec plusieurs manières de qualifier les tentatives de transformer l’État québécois. Les lecteurs et les lectrices de plus de quarante ans se rappelleront probablement, par exemple, « l’État-Provigo ». Nous sommes alors en mai 1986, Bourassa II est au pouvoir depuis quelques mois seulement et le Groupe de travail sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales dirigé par le président du Conseil du trésor, Paul Gobeil, dépose son rapport.

Ce dernier veut importer les objectifs et le mode de fonctionnement de l’entreprise privée dans l’ensemble de l’administration publique : « Il faut “runner” l’État comme une business », dira celui qui a occupé plusieurs fonctions importantes chez Provigo. Cette toute première tentative de réingénierie de l’État québécois ne fera pas long feu cependant. C’est le début de la révolution néolibérale et le régime des évidences contemporain n’est pas encore installé.

On ne parle pas alors de tarifer les services publics, les fonctionnaires ne sont pas dénuéEs de vertus civiques, les syndicats ne sont pas synonymes de corporations de privilégiéEs et, plus généralement, les institutions de la Révolution tranquille ne sont pas considérées comme des obstacles à la compétitivité de « nos » entreprises à l’échelle mondiale. Mais il reste que la critique néolibérale de l’État providence s’intensifie et, peu à peu, l’idée de soumettre l’État au desideratum du monde des affaires va s’imposer ; la nomination de PKP à la tête du conseil d’administration d’Hydro-Québec ne représente donc que le dernier épisode de cette installation en douce de l’État-Provigo.

En fait, peu de gens savent que « l’État-Provigo » prendra forme officiellement une quinzaine d’années après le dépôt du rapport Gobeil, soit le 25 mai 2000 lorsque l’Assemblée nationale du Québec adoptera la loi 82 sur l’administration publique[46]. C’est donc sans débat et quelques années après le Sommet socio- économique de 1996 – ce premier sommet de la « gouvernance » (et du déficit zéro !) du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard – que s’installe l’État- Provigo. Cette législation dont la visée pragmatique est évidente illustre fort bien la nature du néolibéralisme qui consiste d’abord en « la transformation de l’action publique en faisant de l’État une sphère régie, elle aussi, par des règles de concurrence et soumise à des contraintes d’efficacité semblables à celles que connaissent les entreprises privées[47]».

En d’autres mots, c’est l’adoption par le gouvernement québécois (souverainiste de surcroît !) d’une logique managériale-organisationnelle – celle-là même qui est au cœur de la nouvelle gestion publique[48]– qui, parallèlement à la dynamique politique supranationale de la mondialisation néolibérale, réduira comme peau de chagrin la capacité de régulation du seul « demi-État » (« une perte de souveraineté politique qui opère, dans ce cas-ci, de l’intérieur même de leurs institutions »[49]) que possède cette petite communauté politique du « Nord du monde » (Miron).

Transformant la citoyenne et le citoyen en « client qui en veut pour son argent », achevant la dissolution de la figure du pouvoir moderne, la loi 82 réduit le politique à la gestion et « avance l’idée que les différents maillons de la chaîne administrative doivent se considérer non pas comme tributaires d’une certaine idée du bien commun, mais bien comme des PME d’État isolées, tenant registres et comptabilité, naviguant entre les balises de l’équilibre budgétaire et de la compétition avec leur environnement économique immédiat »[50]. C’est ainsi que ce sont des principes apolitiques comme l’efficacité et l’obligation de résultat qui deviendront des critères déterminants pour évaluer les pratiques de l’administration publique et pour juger de la justesse des orientations prises par des sociétés d’État comme Hydro-Québec.

Dans les années subséquentes, la gouvernance « entrepreneuriale » du Parti québécois (PQ) et du Parti libéral du Québec (PLQ) se manifestera d’ailleurs par la transformation des mandats ou missions d’organismes publics et parapublics du Québec[51]comme la Caisse de dépôt et placement du Québec[52] et Hydro-Québec. Ainsi, cette dernière connaîtra plusieurs réformes successives[53]qui viendront remettre en cause la mission sociale de départ d’Hydro-Québec, à savoir constituer un service public assurant la distribution de l’électricité au tarif le plus bas possible sur l’ensemble du territoire québécois et soutenir le développement des régions.

Plus récemment, le plus gros producteur mondial d’électricité a fait les manchettes lorsque sont revenues les rumeurs de sa privatisation (complète ou partielle) et lorsque fut connue l’existence d’une entente secrète[54] avec Pétrolia concernant les droits d’exploitation du pétrole sur l’île d’Anticosti. C’est donc dans un tel contexte marqué par nombre de controverses que PKP accède à la présidence du CA d’Hydro-Québec.

PKP : la figure symbolique du commanagement québécois Pour la plupart des Québécois et des Québécoises, Québecor est indissociablement lié au nom des Péladeau et, depuis une quinzaine d’années, aux trois initiales de l’héritier : PKP. Voilà un personnage peu charismatique, mais fortement présent dans l’actualité et l’espace médiatique québécois; c’est, par exemple et, selon chacun, le super héros du Québec inc., « Le Banquier » de TVA[55], le grand mécène culturel derrière Éléphant et MATV, la star de « Labeaumeville » et de ses « cols rouges », le puissant lobbyiste qui a gagné sa partie de bras de fer contre le PLQ concernant la cause de sa vedette de conjointe (les traitements contre l’infertilité sont maintenant assurés par l’État[56]), le « voyou » de Sylvain Lafrance[57], le président du CA d’Hydro-Québec voire le prochain chef du PQ…

En fait, celui que le journaliste du Maclean’s Martin Patriquin a désigné comme le King of Québec[58]bénéficie aujourd’hui du statut de vedette dans le Québec francophone[59] et constitue – et c’est ce que je voudrais démontrer ici – la figure symbolique du commanagement au Québec. Qu’est-ce que le commanagement ? Cette expression est du spécialiste français du berlusconisme Pierre Musso qui, lui-même, s’inspire, entre autres, de certains travaux de Lucien Sfez et Pierre Legendre[60]. Par là, il désigne :

L’évacuation du politique et de la conflictualité au profit du dogme managérial de l’efficacité et du consensus réunis, […] la confusion entre le management de l’entreprise néo-fordiste (de communication) et l’hégémonie symbolique et politique du discours communicationnel; il occupe l’espace libéré par la critique de l’État et crée progressivement un nouvel espace symbolique normatif de valeurs et de croyances[61].

En d’autres mots, plus et mieux peut-être que les Beaudoin de Bombardier, les Desmarais de Power Corporation, les Francois Legault, Jean Coutu, Jacques Ménard, Charles Sirois du Québec inc. ainsi que tous et toutes les invitéEs réuniEs au Château de Sagard en l’honneur de Jacqueline Desmarais en août 2008, PKP évoque ce « nouveau mode de production du symbolique, moins par l’État et ses partis que par l’entreprise et les médias »[62]. En effet, à l’heure où les Bill Gates et Paul Desmarais sont reçus ou salués comme des chefs d’État, où l’Entreprise triomphante tient le haut du pavé contre l’État en crise, on peut certes faire quelques parallèles entre Berlusconi et PKP.

Bien évidemment, toute comparaison est boiteuse et particulièrement celle-là pourrait-on ajouter – PKP n’est pas Berlusconi, pas plus que le Québec n’est l’Italie – et on sait qu’à trop forcer le trait on risque l’insignifiance, mais ici l’exceptionnelle fusion des pouvoirs médiatique et économique que représente le phénomène Berlusconi en fait une sorte d’idéal type à partir duquel l’examen du cas PKP peut se révéler fort heuristique. Ainsi, PKP – à une échelle plus modeste (et dans un contexte sociopolitique national différent) – ne constitue- t-il pas « notre » figure symbolique du commanagement ?

Par exemple, le Cavaliere italien et notre nouveau sauveur national ne procèdent-ils pas à la même célébration du capitalisme, du divertissement et de l’individualisme à travers leur immense empire médiatique, et ce, particulièrement, en imposant les codes culturels de la « néo-télévision[63]» ? Berlusconi-Mediaset et PKP- Québecor ne portent-ils pas le dogme du Management en politique (la politique devenant du management continué par d’autres moyens) ? La politique pour PKP, comme pour Berlusconi, ne serait-elle pas l’extension de l’Entreprise de communication, un travail symbolique faisant la promotion de l’efficacité, de la discipline et de la « bonne gouvernance » ? Comme si ce n’était définitivement plus par l’organe de l’État qu’une communauté politique se pensait, mais par l’Entreprise-organisation[64].

Un dernier point commun et non le moindre consiste en la promotion d’un nationalisme de droite qui, dans le cas du Québec, est fortement colorée par l’exceptionnalisme que constitue le cas Péladeau. En effet, il ne fait aucun doute que de nombreux et nombreuses QuébécoisEs trouvent en PKP quelqu’un partageant enfin – ce n’est pas courant dans le monde des affaires et, a fortiori, chez les patrons de presse – leur parti pris nationaliste[65]. Choisir Vidéotron comme opérateur technologique, pour celles et ceux que le nationalisme économique titille le moindrement, n’est-ce pas faire un pied de nez au conglomérat anglo-canadien concurrent, ce Bell/ BCE tant honni et qui a abusé de son monopole pendant si longtemps ?

Comment pourrait-on en vouloir à celui qui – comme Berlusconi et son conglomérat Mediaset en Italie – facilite la vie quotidienne de millions de QuébécoisEs, les « divertit à en mourir », leur fournit une panoplie de produits et de services intégrés (« le pouvoir de tout avoir sous un même toit » proclame une pub de Québecor[66] ? On a donc là une partie de la réponse de l’énigme présentée ci-dessus : pour beaucoup de QuébécoisEs, PKP sur le CA d’Hydro, c’est une bonne affaire ! On le connaît, c’est un capitaliste « bien de chez nous », il n’a pas peur de se mêler à la foule des partisanEs des Nordiques de Québec (il ne se terre pas dans son château de Sagard) et, surtout, il semble du « bon bord » (souverainiste ou du moins nationaliste) comme son père. Pourquoi donc s’en inquiéter ?

Ainsi, il ne fait aucun doute qu’au jeu du nationalisme politique, culturel et économique québécois, PKP-Québecor bat à plate couture les Desmarais-Power Corporation. De son mécénat culturel québécois dont l’empire fait grand cas dans ses médias jusqu’à son offre de service bénévole comme administrateur hydro-québécois en passant par le caractère « national » de son patrimoine et des investissements de QMI, l’appel aux émotions – ici à la fierté nationale – représente une fallacie[67] couramment employée par PKP: « Travailler pour Québecor, c’est travailler pour le Québec tout entier…»[68], dira-t-il lors de la marche bleue des partisanEs d’un retour des Nordiques de Québec.

Conclusion : le Québec comme marchandise

 

Mieux peut-être que la Commission Charbonneau, mieux que l’apologie délirante de Paul Desmarais dans les médias de Gesca le 10 octobre dernier, au lendemain de son décès, mieux que la propagande à la petite semaine des valeurs du fric, de l’ambition et de l’entrepreneuriat dans nos médias grand public, il y a donc, dans la médiatisation de la figure symbolique de PKP, dans les nominations péquistes de notre vedette du commanagement, comme un condensé kaléidoscopique de ce que la société québécoise advient, ce que le Parti québécois[69] est bel et bien devenu, un condensé de ce Québec livré, sans mémoire, à cette postmodernité marchande.

La montée en force de la « marque » « PKP-Québecor » affirmerait ainsi, pour qui sait voir, le scandaleux dans le banal (Pasolini), le ravalement bien contemporain des idéaux démocratiques et l’essor d’une droite décomplexée qui, forte de la possession du mégaphone des médias de masse, est à même de créer, dans le sillage de la critique de l’État providence, un nouvel espace symbolique normatif de valeurs et de croyances structurées autour de l’efficacité technico-économique et de la bonne gouvernance, un espace où l’idéologie managériale peut se déployer comme jamais et coloniser ce qui restait jusqu’alors à l’abri de la nouvelle économie politique de la communication (le monde des idées et de la culture à Radio- Canada, par exemple).

Quand, au nom des intérêts privés de l’économie, on consent à dénier le droit du public à une information de qualité, quand, au nom d’une fatalité dont on ne sait la source, une ministre de la Culture et des Communications semble satisfaite de proclamer son impuissance à s’attaquer à l’hyperconcentration de la presse[70], lorsqu’un héritier de l’industrie des médias et du divertissement s’apprête à prendre les commandes d’un parti galvanisant jadis les espoirs de tout un peuple, quand on n’a collectivement plus d’autre idée que d’être efficace[71], on peut douter, comme l’écrit si justement le sociologue Gilles Gagné, « qu’une communauté politique parviendra à prendre le relais de la communauté culturelle [et que] dans l’avenir prochain, il existe encore au Québec une totalité morale irréductible aux valeurs de l’autoréférence financière et à celles de la production de gadgets »[72].

« Tout ce qui est médiatique est politique. »Francois Miterrrand

« Il y eut un temps pour les René Lévesque de ce monde. Peut-être sommes-nous au temps des Pierre-Karl Péladeau ? »  Richard Le Hir

« Des médias cyniques, mercenaires et démagogiques produiront avec le temps un peuple aussi minable qu’eux !  » Joseph Pulitzer

Benoit Gaulin, « Québecor-PKP : vers la berlusconisation de l’État québécois ? », Nouveaux cahiers du socialisme, Médias, journalisme et société, No 11, 2014, p. 85-103



Notes :

[1] Il quittera ce poste en mai 2013 et, selon le journaliste Vincent Brousseau-Pouliot, c’est « son fidèle collaborateur Robert Dépatie, le grand patron de Vidéotron, [qui] lui succédera. M. Péladeau continuera d’être l’actionnaire de contrôle de Québécor et siégera comme vice-président du conseil d’administration ». Vincent Brousseau-Pouliot, « Péladeau : ‘‘le moment est venu de prendre du recul’’», La Presse, 14 mars 2013, <http://affaires.lapresse.ca/economie/medias-et-telecoms/201303/14/01-4630899-peladeau-le- moment-est-venu-de-prendre-du-recul.php>.

[2] Encore récemment n’a-t-on pas assisté à la cooptation par les industries forestière et gazière d’un ex-ministre péquiste des ressources naturelles et d’un ex-premier ministre québécois devenus, sans véritable réprobation collective, leur porte-parole !

[3] Hugo Dumas, « Commission Charbonneau : plus populaire que Gomery et Bastarache », La Presse, 7 novembre 2012, <www.lapresse.ca/debats/chroniques/hugo- dumas/201211/07/01-4591183-commission-charbonneau-plus-populaire-que-gomery- et-bastarache.php>.

[4] À peine quelques protestations dans les journaux du conglomérat médiatique concurrent, La Presse et son petit cousin de Québec, Le Soleil. Dans la mesure où leur propriétaire n’est vraiment pas en position de donner des leçons d’éthique en ce domaine, on comprend le silence des éditorialistes de La Presse.

[5]  Michel David, journaliste politique du Devoir, s’est véritablement démarqué de ses confrères et consœurs en parlant de berlusconisation, faisant ici évidemment référence à l’ex-chef de gouvernement italien qui a instrumentalisé son propre empire médiatique à des fins politiques personnelles.

[6] Il ne s’agit pas ici d’examiner les enjeux liés directement aux orientations de la société d’État (par exemple, de l’augmentation des tarifs à la question de l’entente avec Pétrolia en passant par le développement des barrages privés et de l’éolien, etc.), mais de rendre compte de quelques enjeux liés à l’essor d’un puissant acteur corporatif à l’ère de la « bonne gouvernance ».

[7] François L’Italien, « La nouvelle ère des managers », Société, n° 23, automne 2003, p. 70.

[8] Québecor, <www.quebecor.com/fr/>.

[9] Pierre Péladeau père a lancé Le Journal de Montréal en 1964 pendant une grève des travailleurs à La Presse.

[10] « Longtemps décrié par les analystes financiers, l’achat de Vidéotron paraît, 10 ans plus tard, comme une transaction bénéfique pour Québecor. ‘‘Vidéotron est devenue la locomotive de Québecor, elle lui fournit 70 % de ses bénéfices’’, dit Maher Yaghi, analyste financier à Valeurs mobilières Desjardins. Pour la Caisse de dépôt, c’est une autre histoire » : Jonathan Trudel, « Le coup de poker de Videotron », L’actualité, 28 octobre 2010, <www.lactualite.com/lactualite-affaires/le-coup-de-poker-videotron/>. Ainsi, en décembre 2012, la Caisse « a revendu la moitié de sa participation dans l’entreprise à Québecor et fait savoir son intention de se départir du reste de ses actions d’ici 2018 (…) [et renonce ainsi] à rentabiliser cet investissement qui reste, à ce jour, à la fois le plus important et le moins rentable de son histoire. La revente de la moitié des actions de la Caisse à Québecor donne une valeur de 2,75 milliards de dollars à Québecor Media, soit 450 millions de moins que son investissement initial de 3,2 milliards » : Hélène Baril, « Québec inc. en 2012 : la Caisse de dépôt perd patience avec Québecor Média », La Presse, 27 décembre 2012, <http://affaires.lapresse.ca/economie/medias-et- telecoms/201212/27/01-4606963-quebec-inc-en-2012-la-caisse-de-depot-perd-patience- avec-quebecor-media.php>.

[11] Henri Maler, « Pour garantir le pluralisme, contre la concentration et la financiarisation des médias », Acrimed, 17 mai 2006, <www.acrimed.org/article2364.html>.

[12] Frédéric Hanin précise judicieusement que, d’un point de vue macroéconomique, la financiarisation se présente « sous la forme d’un processus institutionnel de domination de la sphère financière sur la sphère industrielle » et que, d’un point de vue mésoéconomique, elle apparaît comme « un processus de transformation de l’environnement et des rapports collectifs de production et de travail », dans La financiarisation de la gouvernance des entreprises et ses impacts sur le dialogue social, <http://scholar.google.ca/scholar?client=safar i&rls=en&oe=UTF-8&gws_rd=cr&um=1&ie=UTF-8&lr=&q=related:mpR7qlwgBs66 0M:scholar.google.com/>.

[13] Sur la chute de Canwest liée à l’endettement excessif du conglomérat à la suite de l’acquisition des quotidiens de Hollinger, comprenant 13 titres de quotidiens locaux et le portail canada.com, voir Centre de recherche interdisciplinaire GRICIS sur la communication, l’information et la société, « Concentration de la propriété des médias, changements technologiques et pluralisme de l’information », <www.gricis.uqam.ca/recherches/programmes-et-projets-de-recherche/concentration-de-la-propriete-des/entreprises-a-l-etude/article/canwest-shaw>.

[14] Dwayne Winseck, « Financialization and the “crisis of the media”: the rise and fall of (some) media conglomerates in Canada », Canadian Journal of Communication, vol. 35, 2010, p. 365-393, <www.cjc-online.ca/index.php/journal/article/view/2392> (TdA).

[15] Stéphane Paquet de La Presse rapporte que selon les chiffres de Carl Simard, président de la firme de gestion de portefeuille Medici et copropriétaire de StockPointer, « non seulement le ratio de sa dette à long terme sur les fonds propres est important (9 fois la médiane), mais son rendement sur le capital est faible, à 0,22 % pour les quatre derniers trimestres ». Et M. Simard de dire : « C’est moins stressant (grâce aux revenus générés par Vidéotron), mais c’est quand même à surveiller ». Stéphane Paquet, « Cette dette qui pèse lourd », La Presse, 31 janvier 2009, <http://affaires.lapresse.ca/finances-personnelles/200901/31/01-822912-cette-dette-qui-pese-lourd.php>.

[16] Michel Girard, « Pierre Karl Péladeau le tout-puissant », La Presse, 16 octobre 2010, <http://affaires.lapresse.ca/opinions/chroniques/michel-girard/201010/15/01-4333005- pierre-karl-peladeau-le-tout-puissant.php>.

[17] La Presse canadienne,«Pierre Karl Péladeau dénonce la place des syndicats au Québec», Les affaires.com., 21 janvier 2010, <www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/general/pierre- karl-peladeau-denonce-la-place-des-syndicats-au-quebec/509077#.UiETbBaYTxg>.

[18]  JackShafer, «Murdochl’increvable», Slate.fr,19juillet2011,<www.slate.fr/story/41237/ murdoch-increvable>. Bernard Bujold, le biographe officiel de Pierre Péladeau père, affirme que son ancien patron aimait se comparer au magnat mondial de la presse, Rupert Murdoch. Bernard Bujold, « L’empire QUÉBECOR et son fondateur Pierre Péladeau (1925-1997) », LeStudio.com, <www.lestudio1.com/Quebecor8.html>.

[19]  Malheur aux pigistes des différentes publications de Québecor Media puisque l’entreprise leur demande une cession de leurs droits d’auteur, mais aussi de leurs droits moraux pour la planète entière et à perpétuité !

[20] « Dans ce but, le 10 janvier 2005, Québecor Media a créé le poste de vice-président à la convergence publicitaire. » Alexis Dumont-Blanchet, Comment les médias ont analysé les propositions politiques et économiques pour surmonter la crise économique 2008-2009 : Les cas des trois quotidiens montréalais, Le Journal de Montréal, La Presse et Le Devoir, Mémoire de maîtrise en communication, UQAM, 2012, p. 123.

[21] Marc-François Bernier parle « d’un détournement de la mission journalistique, sinon de corruption de l’activité journalistique » : Marc-François Bernier, Journalistes au pays de la convergence. Sérénité, malaise et détresse dans la profession, Québec, PUL, 2008, p. 171.

[22]  Ibid.

[23] Avant le conflit, c’est-à-dire de 2003 à 2009, on trouvait un peu plus de diversité idéologique puisque Lise Payette, l’abbé Raymond Gravel et Bernard Landry étaient du nombre. Or, coup de théâtre, alors que je terminais la rédaction de ce texte, la une du Journal de Montréal du 1er octobre dernier (2013) annonçait un « nouveau journal encore plus facile à lire » et contenant « des opinions diversifiées ». Voir une analyse préliminaire de cette diversification idéologique plus loin dans l’encadré intitulé Des opinions diversifiées ?

[24] Cela ne s’invente pas : c’est au nom de la démocratie que PKP a demandé, en septembre 2012, au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d’empêcher la transaction de Bell pour acquérir Astral Media : « Prenant la parole aux audiences publiques du CRTC, mardi, M. Péladeau a comparé l’importance qu’aurait Bell après cette transaction à celle de Mediaset, le conglomérat de Silvio Berlusconi en Italie. « Point de non-retour », « mépris », « réflexes monopolistiques », « arrogance sans limite », « domination », c’est ainsi que le président de Québecor a qualifié l’attitude de Bell par rapport à son projet de fusion. » Il faut le faire! C’est le chef de file du capitalisme national dans la communication qui joue ici les vierges offensées. Voir Gérald Filion, « Québecor compare la fusion Bell-Astral à l’empire de Berlusconi », Radio-Canada, 12 septembre 2012, <www.radio-canada.ca/nouvelles/Economie/2012/09/11/008- quebecor-crtc-bell.shtml>.

[25] « Il ne s’agit pas ici d’affirmer que le journalisme – ni d’ailleurs le politique ou le projet éducatif moderne – a connu un âge d’or où il aurait été à la hauteur de cet idéal, mais de rappeler que seule cette volonté d’instaurer une distance critique face à la réalité a permis à la pratique journalistique d’apparaître légitime dans le mouvement de constitution d’un espace public de débat. Que la pratique n’ait pas toujours été conforme à son idéal constitutif est une chose ; qu’elle renonce massivement à tout idéal pour devenir un simple exercice de communication parmi d’autres devrait toutefois suffire à nous convaincre qu’une mutation profonde du journalisme est en cours depuis peut-être déjà un siècle. » Jean Pichette, « Penser le journalisme dans un monde en crise », À Babord, n° 18, février- mars 2007, <www.ababord.org/spip.php?article259>.

[26] Selon la politologue Anne-Marie Gingras, les quatre fonctions des médias identifiées par des chercheurEs sont les suivantes : l’augmentation du conformisme social, l’accroissement de la cohésion sociale, la réduction de l’idiosyncrasie et la diminution de l’esprit critique : Anne-Marie Gingras, Médias et démocratie. Le grand malentendu, Québec, PUQ, 2009.

[27] Ce modèle habermassien de l’espace public est évidemment problématique. Par exemple, « des auteurs comme Joan Landes, Mary Ryan et Geoff Eley prétendent que l’interprétation de Habermas idéalise la sphère publique libérale. Ils affirment que, malgré la rhétorique de la publicité et de l’accessibilité, la sphère publique officielle reposait sur – en fait était constituée largement par – de nombreuses exclusions significatives ». Nancy Fraser, « Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement », Hermès, n° 31, 2001, <http://documents.irevues.inist.fr/ bitstream/handle/2042/14548/HER MES_2001_31_93.pdf ?sequence=1>.

[28] On notera le parallèle que l’on peut faire ici avec le modèle propagandiste de Edward S.Herman et Noam Chomsky.

[29] Anne-Marie Gingras, op.cit.

[30] Les quatre valeurs préconisées et véhiculées par la majorité des médias dans notre société sont les suivantes : la promotion de l’entreprise privée et une certaine admiration devant son mode de fonctionnement, la dévalorisation du secteur public et des solutions de nature politique, la promotion de la performance, de la concurrence et de l’individualisme et, enfin, une compassion minimale pour les plus démuniEs vue sous l’angle de la charité. Voir Anne-Marie Gingras, op.cit.

[31] Sun Media. A Quebecor Media Company, <www.sunmedia.ca/SunMedia/>.

[32] Richard E. Langelier, « Le journalisme québécois : l’éthique du ventre ? », Éthique publique, vol. 15, n° 1, printemps 2013, p. 197.

[33] Ou celui du think tank de droite qu’est l’Institut économique de Montréal.

[34]  Dans la dernière édition de son opuscule pédagogique consacré à la présentation critique des trois grands quotidiens francophones, Lire le Québec, Louis Cornellier ne dit pas autre chose quand il écrit que le Journal de Montréal « est devenu une machine de guerre idéologique contre le modèle social-démocrate québécois » et le lieu d’expression de la « pensée mononcle », celle du « Gros Bon Sens » des Mario Dumont, Denis Lévesque (TVA – LCN) et Jean-Jacques Samson notamment : Louis Cornellier, Lire le Québec, Montréal, Typo, 2013.

[35] «Le Journal de Montréal a, de manière répétitive, créé une ‘‘mise en scène dramatique’’ des situations, réelles ou imaginées, d’accommodement raisonnable, en s’appuyant sur une opposition très nette entre les ‘‘Québécois’’ et les ‘‘Autres’’. Par ses titres et ses photos, il a construit une vision conflictuelle des ‘‘enjeux’’ et a attisé un sentiment de victimisation chez les membres du groupe majoritaire. » Maryse Potvin, Crise des accommodements raisonnables. Une fiction médiatique ?, Montréal, Athéna Éditions, 2008, p. 252.

[36] Pendant ces mois de matraquage intense, on fera place sur les ondes comme dans les pages de l’empire à un type de reportage consistant à passer au peigne fin certaines dépenses publiques susceptibles d’être présentées comme suspicieuses.

[37] La fairness doctrine fait référence à l’exigence maintenue jusqu’en 1996 par le CRTC américain (la Federal Communications Commission) d’exprimer des points de vue équilibrés.

[38] Voir Jacques Beauchemin, « Le règne de l’opinion comme symptôme de la dépolitisation de l’espace public », dans Charles Perraton, Étienne Paquette et Pierre Barrette (dir.) et collaborateurs, Dérives de l’espace public à l’ère du divertissement, Québec, PUL, 2007, p. 9-23.

[39] Mathieu Bock-Côté est certainement le représentant médiatique le plus talentueux de ce courant idéologique et de ces « intellectuels communicationnels ayant pour fonction même d’intervenir sur tous les sujets dans les médias, sans nécessairement avoir assuré leur légitimité ». Sur le phénomène Bock-Coté, lire le texte de Samuel Mercier, « Pourquoi répondre à Mathieu Bock-Côté ?», Spirale, n° 241, été 2012, p. 10-12.

[40] Sans compter la création, en 2009, du réseau télévisuel Sun TV inspiré du la télé ultra- conservatrice états-unienne Fox News. Fait à noter, Sun TV ne se prive pas de faire du Quebec basching sur les ondes de notre nouvel héros nationaliste.

[41] Par exemple, « Bernard Landry lui a ouvert les portes de Vidéotron, Jean Charest lui a donné un amphithéâtre, et Pauline Marois lui confie Hydro-Québec » écrira Gilbert Lavoie du Soleil, « Péladeau chez Hydro-Québec », 17 avril 2013, <http://blogues.lapresse. ca/gilbertlavoie/2013/04/17/peladeau-chez-hydro-quebec/>.

[42]  Il semblerait que PKP garde rancune de la prise de position du journal Le Devoir dans le conflit au Journal de Montréal. N’avez-vous pas remarqué la minceur du cahier Livres de l’édition du samedi du Devoir depuis lors ? On dit que cela n’est pas sans lien avec le boycott du cahier par les maisons d’édition appartenant à Québecor. La plus ou moins grande médiatisation d’une vie littéraire au Québec digne de ce nom dépendrait donc du dicktat d’un seul homme. Troublant !

[43] Jonathan Trudel, « Un bulldozer nommé PKP », L’actualité, 28 octobre 2010, <www. lactualite.com/lactualite-affaires/un-bulldozer-nomme-pkp>.

[44] On notera ici l’ironie qui se cache derrière cette dernière affirmation puisqu’elle est d’Agnès Maltais, députée de « Labeaumeville », celle-là même qui a semé la zizanie parmi les troupes péquistes au printemps 2011 en appuyant une disposition protégeant Québecor contre les recours juridiques dans l’affaire de la construction d’un nouvel aréna à Québec. Voir l’émission Enquête de Radio-Canada diffusée le 3 novembre 2011, <www.radio-canada.ca/emissions/enquete/2011-2012/Reportage.asp?idDoc=179088>.

[45] Raymond Corriveau, émission Enquête de Radio-Canada, op. cit.

[46] « La présente loi affirme la priorité accordée par l’administration gouvernementale, dans l’élaboration et l’application des règles d’administration publique, à la qualité des services aux citoyens ; elle instaure ainsi un cadre de gestion axé sur les résultats et sur le respect du principe de la transparence. » Gouvernement du Québec, Loi sur l’administration publique, Québec, 2000.

[47] Pierre Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009, p. 354-355. On se méprend lorsqu’on réduit le néolibéralisme à un désengagement de l’État et, par la privatisation de services publics, à un élargissement des domaines de l’accumulation du capital.

[48] Pour l’origine et la genèse de ce « très vaste mouvement de réorganisation des administrations, auquel Christopher Hood a donné en 1991 le nom générique de nouvelle ‘‘gestion publique’’ (New Public Management) », voir Dardot et Laval, op. cit., p. 377-384.

[49] Francois L’Italien, op.cit., p. 72.

[50] Ibid., p. 71.

[51] Gouvernement du Québec, Portail Québec, Ministères et organismes, <www.gouv.qc.ca/ portail/quebec/pgs/commun/gouv/minorg>.

[52] Le plus grand gestionnaire de fonds institutionnels au Canada verra sa mission se transformer en profondeur: le rendement financier prendra, en 2004, le pas sur le développement économique du Québec, <www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/ projets-loi/projet-loi-78-37-1.html>. Voir aussi Olivier Clain et François L’Italien (dir.), Le capitalisme financiarisé et la crise économique au Québec et au Canada, Montréal, Nota bene, 2011.

[53] Pensons, par exemple, à la création d’une régie de l’énergie en 1995 qui dépolitisera la hausse des tarifs, l’arrivée à la direction d’André Caillé en 1996 qui fut synonyme d’une orientation nettement commerciale et d’une ouverture vers la privatisation de la production énergétique et, enfin, la loi 116 en 2000 séparant Hydro-Québec en trois unités distinctes, déréglementant la production de l’électricité et créant le tarif patrimonial.

[54]  En 2009, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a décerné à Hydro-Québec le prix Noirceur. Ce prix est remis à « l’organisme public qui manifeste le moins de transparence et pose le plus d’obstacles à la diffusion de l’information ». Christian Duperron, « La FPJQ décerne son prix de la noirceur à Hydro-Québec », Le Trente, 14 novembre 2009, <http://trente.ca/2009/11la-fpjq-decerne-son-prix-de-la- noirceur-a-hydro-quebec/>.

[55] L’émission de télévision la plus populaire au Québec – dans laquelle la ou le téléspectateur, complice, malgré lui, d’une mise en scène où il peut s’identifier au concurrent chanceux qui reprendra un peu d’argent que le Banquier lui vole dans la vraie vie – « enseigne aux millions de QuébécoisEs qui, chaque semaine, cherchent une raison d’espérer, qu’ils feraient bien mieux de se résigner à l’indigence du bonheur que leur société consent à leur offrir ». Lire l’excellente analyse adornienne effectuée par Philippe Langlois, « Le Devoir de philo – Adorno, le bonheur et le banquier », Le Devoir, 8 novembre 2008, <www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo/214848/ le-devoir-de-philo-adorno-le-bonheur-et-le-banquier>.

[56] Alors que, depuis plusieurs années, plusieurs services essentiels ne sont plus assurés par la Régie de l’assurance-maladie du Québec, le gouvernement libéral de Jean Charest a, sans aucun débat public préalable, obtempéré aux souhaits de Madame Snyder- Péladeau, remplissant ainsi les goussets des propriétaires des cliniques privées de traitement de l’infertilité. Pourtant, il y avait de quoi débattre : la question de la filiation intergénérationnelle, la redéfinition de la médecine comme production du vivant, les causes sociales et environnementales de l’infertilité, etc. Voir à ce sujet les travaux de la sociologue Louise Vandelac. Bizarrement, de ce gaspillage des fonds publics et de ces enjeux essentiels, vous n’aurez aucun écho dans les médias de l’empire…

[57] « Ce gars-là (PKP) se promène comme un voyou. Il est en train de faire dérailler un des systèmes télévisuels qui a le plus de succès dans le monde. » Voilà donc les gros mots proférés contre l’empereur PKP et qui ont valu à son auteur, le président (à cette époque) des services français de Radio-Canada, Sylvain Lafrance, une poursuite en diffamation devant la Cour supérieure (la saga s’est terminée finalement par une entente hors cour). Mais il est dommage que ce différend occulte ce que l’héritier et l’ex-dirigeant du service public (maintenant professeur à HEC Montréal) partagent irrémédiablement : une même conception – pour faire court – de la culture (ici réduite, essentiellement, au divertissement) et du rôle des médias dans la diffusion de la culture et de l’art « qu’aucune demande ne précède [et dont] seule l’offre est en mesure de générer une attente ». (Jean-Marie Hordé, Le Démocratiseur. De quelle médiocrité la démocratie culturelle est-elle aujourd’hui l’aveu ?, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2011, p. 12) Je ne peux m’attarder ici là-dessus. Cependant, je suggère à la lectrice et au lecteur intéresséE par « la longue marche du technocrate » Lafrance (celle-là même qui l’a conduit à faire « la job de bras » – commandée par des politiciens incultes et sans envergure – consistant à détruire la chaîne culturelle de Radio-Canada) et, plus généralement, par le thème de l’inculture de nos médias grand public, les excellents textes des Georges Leroux, Pierre Lefebvre, Étienne Beaulieu, Michel Seymour, Eric Méchoulan et Gilles McMillan publiés respectivement dans les numéros des revues québécoises suivantes: l’Inconvénient (n° 12), Liberté (n° 278 et 290), Spirale (n° 219), Arguments (vol. 10, n° 2), À Bâbord! (n° 12 et 40).

[58] Martin Patriquin, « The king of Quebec », Maclean’s, 4 septembre 2013, <http://m. publishing.rogers.com/macleans/share/2013-35/06a_biz_pkp.html>.

[59] C’est « la Caisse [de dépôt et de placement du Québec qui] a fait de Pierre Karl Péladeau un être tout-puissant. Ainsi, grâce à la magie des actions avec droit de votes multiples, Pierre Karl Péladeau exerce un contrôle quasi absolu sur Québecor Media, et ce, tout en ne détenant en réalité que 14,9 % des actions de l’empire médiatique le plus puissant du Québec ». Michel Girard, op. cit.

[60] Voir, entre autres, Lucien Sfez, La critique de la communication, Paris, Seuil, 1992 et Pierre Legendre, Dominium mundi. L’empire du management, Paris, Fayard, 2007. Plus récemment, le politologue québécois Alain Deneault a rendu compte de la genèse d’une notion apparentée, celle de la « gouvernance », néologisme remontant à l’ère thatchérienne et dont le projet est « d’adapter l’État aux intérêts et à la culture de l’entreprise privée ». Alain Deneault, Gouvernance. Le management totalitaire, Montréal, Lux, 2013.

[61] Pierre Musso, « Pour une critique du capitalisme informationnel », Nouvelles fondations, n° 6, novembre 2007, <www.gabrielperi.fr/Pour-une-critique-du-capitalisme>.

[62] Pierre Musso, Sarkoberlusconisme la crise finale ? La Tour-d’Aigues, L’aube, 2011, p. 153.

[63] Ou de la « post-télévision » selon les auteurs. Voir, par exemple, Jean-Paul Lafrance, La télévision à l’ère d’Internet, Québec, Septentrion, 2009.

[64] « L’État, redéfini selon le principe sous-jacent de la gouvernance, acquerra ensuite pour principale fonction celle de légitimer les modalités de fonctionnement des puissants qui l’amèneront alors à intervenir le moins souvent possible de sa propre initiative dans les affaires du monde. » Alain Deneault, op. cit., p. 28.

[65] Alors que l’espace médiatique au Québec est sous l’emprise du duopole Québecor- Power Corporation, ils sont nombreux, les commentateurs et les commentatrices, à y voir la transposition de nos sempiternels débats constitutionnels sur le front économico- médiatique. Pensons, par exemple, aux blogues de Richard Le Hir sur vigile.net célébrant le nationalisme entrepreneurial des Péladeau et au livre-pamphlet de l’auteur et militant souverainiste Robin Philpot intitulé Derrière l’État Desmarais : Power (Montréal, Les Intouchables, 2008) dans lequel l’influence démesurée qu’aurait eu feu le dirigeant du holding financier Power Corporation et de sa filiale médias Gesca sur les orientations de l’État québécois, le biais résolument fédéraliste de ses journaux et le sous-investissement économique de ses entreprises au Québec sont vertement dénoncés. Pour le premier, PKP est celui qui pourrait mener les QuébécoisEs à la terre promise de l’indépendance alors que le second tire à boulets rouges sur un prédateur (feu Paul Desmarais) dont les intérêts sont contraires à ceux du Québec.

[66] « Québecor demeure le plus grand annonceur du Québec, tous médias confondus. Sa part de bruit (selon l’expression des pros) a augmenté d’un demi-point l’an dernier pour un total de 3,3 % tous médias confondus. Le Gouvernement du Québec occupe le deuxième rang avec 2,6 % des parts de bruit. La combinaison des annonces du Gouvernement du Canada, de GM et de Rogers ne dépasse pas celles de Québecor qui a, bien sûr, tendance à s’autoalimenter en publicisant ses propres produits au sein de ses propres entreprises. » Stéphane Baillargeon, « Guide médias 2014 – La génération branchée, blanche et grise », Le Devoir, 23 septembre 2013, <www.ledevoir.com/societe/ medias/388112/la-generation-branchee-blanche-et-grise>.

[67] «Les fallacies consistent en un type d’arguments qui ne concerne pas l’essence des enjeux, mais qui vise à convaincre par une persuasion au moyen de la forme. » Anne-Marie Gingras, op. cit, p. 89.

[68] Émission Enquête de Radio-Canada,  .

[69]  À la fin octobre 2013, à la suite de l’épisode des « Jeannettes », la promiscuité entre Pierre

Karl Péladeau, Julie Snyder et le PQ est telle qu’on commence à parler dans les médias du Parti Québecor !

[70] « On ne peut remettre la pâte dans le tube de dentifrice » dira la ministre Christine St-Pierre au lendemain de la remise du Rapport Payette sur l’avenir de l’information au Québec.

[71] On retrouve là la parfaite illustration de l’indigence de la pensée souverainiste dominante caractérisée par son fétichisme de « l’économie d’abord », son souverainisme de statu quo social; un souverainisme se disant « ni-à-gauche-ni-à-droite », mais qui reconduit le déficit démocratique de l’ordre néolibéral actuel et légitime la confiscation du pouvoir décisionnel par le pouvoir économique.

[72] Gilles Gagné, « Le Québec comme marchandise », Liberté, vol. 51, n° 288, juin 2010, p. 28-29.

 

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