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Québec 2014 – Le moment décisif

Il y aura des élections générales au Québec en 2014. Peu après, l’exercice électoral se poursuivra au niveau fédéral. Au-delà des élections, des confrontations majeures s’annoncent à tous les niveaux de la société.

L’offensive

Depuis plusieurs années, les élites économiques et politiques s’acharnent à détruire ce qui reste de l’État-providence et à créer une société totalement polarisée, comme on l’observe aux États-Unis. Cette bataille du 1 % contre le 99 % se poursuit sans relâche, car le 1 % a l’impression qu’il peut utiliser la crise économique qui perdure depuis 2008 malgré les incessantes annonces de la « reprise ». Le chômage, la précarité, la délocalisation des emplois, la marginalisation des régions, le climat de peur entretenu contre de prétendues menaces venant des immigrant-es, tout cet ensemble d’éléments crée une atmosphère malsaine.

L’objectif des dominants pour consolider leur prédation est de produire une société où tout le monde se sent contre tout le monde… Pour cela, un rôle immense est dévolu aux médias qui, sauf quelques exceptions, répètent à peu près le même message : l’austérité est nécessaire car le Québec est trop endetté à cause de ses programmes sociaux, la mondialisation néolibérale est inévitable et irréversible, il faut limiter les dégâts de la démocratie et rétablir le pouvoir de l’autorité, nos « valeurs » sont menacées par des hordes islamiques qui partent de Kaboul et d’Alger pour infiltrer Montréal-Nord.

Le « grand projet » du PQ est épuisé

Élu de justesse en 2012, au lendemain des immenses mobilisations des Carrés rouges, le Parti québécois a tout promis et n’a à peu près rien respecté. Rapidement, le petit cercle autour de Pauline Marois a bien vu que son faible pouvoir était menacé. Au lieu de miser sur les forces du changement, le PQ est revenu aux bonnes vieilles idées des « lucides » qui, à l’époque de Lucien Bouchard notamment, avaient en bonne partie liquidé les idéaux sociaux-démocrates et indépendantistes de départ.

Pour garder le pouvoir et éventuellement gagner les prochaines élections, les stratèges du PQ misent sur un virage qui permettra à celui-ci de récolter l’appui des couches moyennes et populaires qui sont allées vers le populisme de droite de la CAQ. Également, la perspective est de marginaliser l’idée de l’indépendance et d’un nationalisme inclusif et civil au profit d’un retour de l’ethnisme, un « nous » frileux qui polarise l’opinion contre les mal-aimés de l’immigration et de la minorité anglophone, d’où l’impasse dans laquelle se retrouve le Parti libéral. Électoralement, cette stratégie semble gagnante (ça reste à voir au moment des élections), mais à moyen et long terme, c’est l’enterrement définitif du « grand projet ». Un prochain gouvernement du PQ pratiquera la « bonne gouvernance » et la « défense » du peuple québécois vu comme une grande ethnie menacée. Une comparaison vaut toujours ce qu’elle vaut, mais cela fait penser à ce que Maurice Duplessis a fait en se libérant des éléments réformistes qui l’avaient mis au pouvoir et en s’alignant sur les élites.

Les assauts qu’on prépare contre le mouvement populaire

L’année 2014 sera également le point de départ des négociations dans le secteur public. À Ottawa comme à Québec (comme ailleurs dans les autres pays capitalistes), une des grandes priorités est de démanteler une grande partie de ce secteur public, héritier des politiques keynésiennes et vecteur des réformes qui ont permis aux couches populaires d’améliorer leur sort sur le plan de la santé, de l’éducation, de l’aide sociale, des transports et communications, etc. Harper a le mérite d’être transparent à ce niveau, d’où la ribambelle d’attaques contre la fonction publique fédérale (Postes Canada, Radio-Canada, etc.).

Cette « restructuration » se fait directement en frappant les syndicats et indirectement en diminuant les transferts vers les provinces. Au Québec, quel que soit le parti qui l’emportera aux prochaines élections, il y aura une grande tentative pour mettre les syndicats « à leur place ». En fait, si on se fie aux dernières décennies, cela risque d’être pire avec le PQ qui essaie toujours de jouer la fibre nationaliste contre les intérêts des travailleurs et des travailleuses. Du côté des médias, une campagne permanente et utilisant plusieurs registres est en cours. Quels sont les arguments ? Le problème de la dette est monstrueusement gonflé même s’il ne correspond pas à la réalité, comme le disent plusieurs économistes (et pas seulement de « gauche »). Il faut « nettoyer » l’appareil d’État engraissé et couper tout ce qu’on peut, tout en permettant un transfert « naturel » vers l’entreprise privée. Si les dépenses sont trop hautes, c’est que le Québec est trop « généreux » avec ses tarifs d’électricité et les frais de scolarité universitaire trop bas.

Plus encore, on se « permet » le « luxe » d’envoyer nos jeunes à l’école après le secondaire (grâce aux cégeps) et avant la maternelle (grâce aux CPE). Dans ce contexte, les histoires de mauvaise gestion et de corruption, même si elles sont réelles, deviennent autant de propositions pour jeter non seulement l’eau sale du bain, mais aussi le bébé au complet.

Bref, il faut, dit-on, réduire, voire éliminer tout cela. Ce qui veut aussi dire éliminer ceux qui se trouvent dans le chemin. Or au Québec, et c’est ce qui a été au centre de la Révolution dite tranquille, on a des mouvements sociaux, à commencer par les syndicats. Ceux-ci ont eu l’« insolence » de s’organiser et de se mettre en coalition (le Front commun). Sans leur défaite, la « restructuration » de droite n’aura pas lieu.

Résistances opiniâtres

Malgré ce battage, une majorité de la population persiste et signe. L’un après l’autre, les sondages démontrent l’attachement au secteur public et la méfiance envers les requins de la finance. Françoise David est la personnalité politique la plus populaire, ce n’est pas un hasard. Quand le projet réactionnaire est « dénudé » comme cela est le cas avec Harper, moins de 10 % des gens embarquent. C’est pourquoi des partis comme le PLC, le PLQ et la CAQ disent toujours : « Nous ne sommes pas de droite » !

Si ce sentiment progressiste était seulement un sentiment, les dominants n’auraient pas peur. Mais tel n’est pas le cas. Les Carrés rouges, que les médias se plaisent à « oublier » (« c’était un moment de délire » disent-ils), sont toujours là, même s’ils sont moins évidents. Les tergiversations du PQ sur l’éducation, le travail, l’environnement, les discours qu’on répète des deux coins de la bouche témoignent de la peur des élites de confronter le peuple sur les enjeux fondamentaux, que ce soit sur l’avenir des cégeps et des universités, la privatisation de la santé, les mégaprojets pétroliers et gaziers. Certes, dans la population, on sent un sentiment impalpable mais prévalent de peur, pour les raisons évoquées plus haut. Pourra-t-on surmonter cette peur ?

La deuxième « Révolution tranquille »

Dans les années 1960-70, le Québec s’est mis en marche. Une grande coalition s’est constituée autour d’un projet qui sans être radical avait le mérite de changer la donne. Les élites se sont coalisées contre le projet, même si elles admettaient ici et là la nécessité de quelques réformes de façade. En 1972, le mouvement populaire leur a rappelé qu’il ne se laisserait pas marcher dessus. En 1976, l’élection du PQ a été le résultat de ce grand mouvement où jeunes, enseignant-es, agriculteurs, ouvriers ont joué un grand rôle, stimulé-es par leurs organisations populaires, syndicales, étudiantes, féministes. Devant cela, les élites ont déployé un vaste arsenal pour saboter les aspirations nationales et sociales du peuple, d’où les régressions de 1980, 1982, 1995.

Depuis, c’est un face-à-face qui n’en finit plus. Aujourd’hui, devant la grande confrontation qui se prépare, ce vaste mouvement doit prendre le taureau par les cornes et coaliser toutes les forces vives, comme cela s’est produit spontanément avec les Carrés rouges. Certes, des pas ont été franchis, mais maintenant les enjeux sont énormes. Par exemple, le Front commun du secteur public doit se dépasser lui-même et devenir le mur contre lequel la « restructuration » néolibérale va se briser le nez. Un autre exemple est la relance des mobilisations contre les projets destructeurs de l’environnement. Au Québec, des communautés se défendent presque naturellement et ont déjà l’appui de la majorité des gens. Notons enfin que le projet politique encore embryonnaire porté par Québec solidaire fait son chemin, même si trop lentement.

Alors, cette deuxième révolution tranquille ? Est-ce possible ? Est-ce pensable ? Est-ce qu’il y a des risques ? La réponse à ces questions n’est pas donnée d’avance. Elle dépend de la confiance des organisations, de leur capacité d’innover, de déjouer les stratégies de l’adversaire. Elle dépend des générations militantes, surtout celles qui montent, où se développent des intellectuel-les dans la tradition de Gramsci, de Bourdieu et de Parti pris, et qui vont encore plus loin.

 

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