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Premier bilan sur les élections italiennes

Le «laboratoire italien» a, une fois de plus, produit un résultat qui devra être étudié avec sérieux par ceux et celles qui refusent de se bercer de slogans. La bipolarisation politique est confirmée, comme dans l’Etat espagnol. Les formes américanisées de la politique s’accentuent.

Entretien avec Pietro Basso*, conduit par Charles-André Udry**

Le Parti démocrate (PD) de Walter Veltroni est un parti bourgeois, libéral-démocrate, comme le sont, avec des nuances ne touchant pas à la substance, les organisations social-démocrates en Europe. Nous l’avons affirmé et réaffirmé depuis plus de 15 ans. Cela en observant les évolutions sociologiques des cercles dirigeants, leurs liaisons organiques avec des secteurs du capital, leur déconnexion pratique et culturelle – et aussi existentielle – avec le gros des salarié·e·s, outre l’orientation politique qu’ils ont défendue et mise en pratique. D’ailleurs, la proposition faite par des dirigeant·e·s du PD, dès le lundi soir 14 avril, de pouvoir conduire «une partie des réformes ensemble» (avec Berlusconi) en dit long sur le projet de système bi-partisan.

Certes, les analogies faites avec les formations politiques aux Etats-Unis risquent d’être trompeuses. En effet, des correspondances construites à la va-vite ne tiennent pas compte des formations sociales, de l’histoire politique de chaque pays européen. Raisonner en termes de similarité est une erreur.

Néanmoins, comprendre que l’on ne se trouve plus dans le même champ politique organisé que dans le passé – malgré des éléments de continuité, des résurgences conjoncturelles liées au passé mais avec leur dose de faux-semblant, les réflexes de classes propres à l’histoire des pays européens – relève d’un impératif.

La mémoire est courte en ce domaine. Il y a encore quatre ans, certains affirmaient que sans le PCF en France, il n’y avait pas possibilité de construire un parti anticapitaliste, pour ne pas dire communiste ou socialiste (selon le terme plus utilisé dans le monde anglo-saxon). Aujourd’hui, le discours a changé en France. D’autres voyaient, il y a encore cinq ans, dans PRC (Parti de la refondation communiste de Fausto Bertinotti), le creuset d’une force anticapitaliste en Italie. Il semble aussi que les paroles de cette chanson ont changé, comme son tempo.

Enfin, une approche continuiste ou alludant sans cesse au passé nourrit des contresens. Certes, il relève d’un fait d’évidence que l’on ne repart pas de zéro; ou encore qu’on ne recommence pas «en partant du milieu», mais plus exactement du lieu où se nouent les contradictions dynamiques des courants historiques qui, eux, ont une temporalité différente de la politique, prise en tant qu’activité plus immédiate, plus à court terme.

Le continuisme comme le «tout est nouveau» peuvent conduire, moins paradoxalement qu’il n’y paraît à première vue, à une autoproclamation organisationnelle et à une réaffirmation des formules rassurantes. Tout cela aboutit à ne pas prendre en compte la façon dont s’articulent les conflits de classes – et leurs «dérivés» – dans cette période de mondialisation du capital. Une période marquée, de même, par une crise à facettes multiples, d’une vaste ampleur et avec des expressions difficiles à prendre en compte, tant elles sont diffuses et se situent à des niveaux différents. Dès lors, la saisie de leurs articulations et causalités réciproques est délicate. Pour faire exemple: de la crise dite écologique, à celle «alimentaire», en passant par les guerres impérialistes et leurs effets ou le chômage et la réduction drastique du salaire social avec le renforcement de formes d’oppression entre genre ou, encore, la décomposition de mégalopoles urbaines, sans insister sur le recul du politique favorisant un religieux politisé, etc.

Effectuer un premier bilan, à chaud, des élections en Italie, est une façon d’offrir des éléments pour une réflexion allant au-delà des élections. Car, la situation en Italie démontre de même comment la social-démocratie (sous la forme du PD, issu, par étapes, du PCI) – on ne parle même pas ici du Parti socialiste italien qui a réuni 1% des votes et n’a plus sa place dans le parlement – et les «refondateurs communistes» ont participé, à leur façon, à une sorte de politicide.

Ce politicide ne peut pas être imputé, seulement, à Berlusconi, à la télévision, à la «culture américanisée» importée en Italie. Y ont participé des appareils syndicaux et des groupes dirigeants de la «gauche» qui ont, sans cesse et sur la durée, contrebattu les mobilisations sociales nombreuses, mobilisations qui, dès lors, retombaient, tel un soufflé.

Les résultats électoraux sont clairs: au Sénat, 47,2% des votes pour la droite (Peuple de la liberté, Lega Nord, Mouvement pour l’autonomie; 38,1% pour le Parti démocrate et l’Italie des Valeurs de di Pietro – IdV); à la Chambre: 46,6% pour la droite et 37,7% pour le PD et l’IdV. La droite dispose d’une majorité lui permettant de «commander» pour cinq ans. Des résultats plus détaillés sont donnés dans le cours des entretiens,

Le premier a été fait avec Lidia Cirillo, membre du cercle dirigeant de la Sinistra Critica, auteure, entre autres, de Da Vladmir Ilich a Vladimir Luxuria, Edizione Alegre, 2006. Le second a été fait avec Pietro Basso, professeur de sociologie à l’Université de Venise et auteur, en langue française, de l’ouvrage Temps modernes. Horaires antiques (Editons Page deux, 2006). Les deux entretiens ont été conduits le mardi matin 15 avril 2008.

Ces deux «chercheurs-militants» ont, depuis des années, abordé la dialectique entre l’ancien et le nouveau en Italie; chacun·e à sa manière et à partir de son angle de vue. La lecture des entretiens montre les points de convergence de leur réflexion, même si cette dernière porte sur une question d’actualité qui a des traits journalistiques: un bilan électoral. (Charles-André Udry)

Nous reproduisons ici le deuxième de ces deux entretiens. (NDLR – CAP)


Question. Tout le monde parle d’une victoire de la droite, mais de quelle droite et de quelle victoire ?Pietro Basso : Il est clair que c’est un tournant à droite. La droite a gagné, plus exactement la coalition de Berlusconi. Cette coalition a rompu les liens avec l’organisation centriste UDC (Union des démocrates-chrétiens et des démocrates du centre) dont le leader reconnu est Pier Fernando Casini, ancien président de l’Assemblée nationale lors d’un précédent gouvernement Berlusconi. Il en découle que la victoire de la coalition – connue sous le nom de Parti de la Liberté (PDL) – est celle d’un regroupement de forces qui se profilent effectivement très à droite. De ce point de vue, ce n’est pas exactement une répétition des victoires précédentes de Berlusconi, par exemple celle qui donna lieu au gouvernement Berlusconi formé en avril 2005. Cette victoire est donc plus marquée par une caractéristique de droite.On peut ajouter à cela un deuxième élément, le suivant : à l’intérieur de cette victoire se profile avec une grande force la victoire de la Lega Nord d’Umberto Bossi et de Stefano Marroni. Elle atteint à l’échelle nationale 8,1% au Sénat (23 sénateurs) et 8,6% à la Chambre des députés (46 députés). Mais le fait le plus significatif est que dans la partie la plus industrialisée de l’Italie, diverses régions du Nord, là où se trouve une concentration de petites et moyennes entreprises et aussi de grandes, la Lega a obtenu des scores à hauteur de plus de 20%, parfois 25%.

Certes, c’est un vote de petits employeurs, de petits patrons, mais il y a une forte composante ouvrière, de salarié.e.s, qui ont donné leur voix à la Lega. Cela au point que Bossi, hier soir [lundi 14 avril], lors d’une émission télévisée, s’est permis d’affirmer : « Le prolétariat est avec nous. » Il s’est même adressé à Bertinotti – pour faire une allusion indirecte à la base ouvrière de la Lega et discréditer les porte-parole du Parti démocrate (PD) – en disant que l’ancien secrétaire général du Parti de la refondation communiste « savait au moins, lui, ce qu’était un ouvrier, même si son parti et lui ne disposaient de plus aucun siège au parlement ». Oser se présenter en quelque sorte comme le « nouveau parti des travailleurs » (formule utilisée) revient à infliger un coup sévère à ceux qui se réclament, historiquement et effectivement, d’une perspective communiste, mais n’ont rien à voir avec le stalinisme sous ses diverses formes et l’évolution des formations politiques qui en sont issues.

Toutefois, le fait que la Lega ait obtenu un appui fort au sein des travailleurs et qu’elle l’ait obtenu en développant une propagande brutale anti-travailleurs immigrés – et contre la population du Sud – constitue un signal d’alarme encore plus grand. D’où ressort la nécessité de poser la question des travailleurs et travailleuses immigré·e·s et du salariat sous un angle de classe englobant et effectif.

Il faut encore ajouter un élément : La Destra-Fiamma Tricolore – c’est-à-dire la formation ouvertement fasciste dirigée par Francesco Storace et qui présentait comme candidate Daniela Santanche – a obtenu à la Chambre 2,4% et au Sénat 2,1%. En outre, pour compléter ce triste tableau, le très à droite Mouvement pour l’autonomie (MPA), membre de la coalition conduite par Berlusconi, a réuni 1% des voix au Sénat et 1% à la Chambre. La droite fasciste de Storace, à Rome, a certainement obtenu de bons résultats dans les quartiers périphériques et pas nécessairement dans les quartiers huppés. La Destra a mis en avant – au-delà de la forme donnée à sa politique de communication avec Daniela Santanche (qui est fort riche) – des thèmes très proches de ceux de la Lega Nord pour ce qui a trait à la sécurité, aux immigrés, aux Roms, etc. Cela combiné avec des propositions censées appuyer les familles italiennes paupérisées. Sur le fond, La Destra traduit une formation transitoire, dans le sens où elle exprime des courants plus profonds de reconfiguration du champ politique.

La Sinistra Arcobaleno (avec sa composante PRC) sera absente du parlement, ce n’est pas un changement secondaire dans l’histoire politique italienne…

P. Basso : Pour ce qui concerne le centre gauche, une brutale simplification est intervenue. La gauche réformiste sous le logo de Gauche arc-en-ciel (Sinitra Arcobaleno) – coalition qui intègre le Parti de la refondation communiste (PRC), les Verts et la gauche démocratique (Fabio Mussi), c’est-à-dire ce secteur qui n’a pas voulu rejoindre le Parti démocrate de Walter Veltroni – a été chassée du parlement.

C’est un changement significatif, pour le moins. Cela a été provoqué, entre autres, par le fait que le Parti démocrate (PD), en réalité un parti libéral-démocrate, bourgeois, a participé à la campagne de démonisation de la gauche, du « socialisme », du « communisme ». Une démonisation venant donc du PD et de la coalition de centre droit, même si la Gauche arc-en-ciel a clairement rompu les liens avec une perspective socialiste-révolutionnaire, communiste, y compris au sein de PRC. Et, ironie de la politique italienne, la droite accusait encore le PD – lors de la campagne électorale – d’avoir sur lui le poids du passé « communiste ».

En outre, la disparition du cadre institutionnel de cette Gauche arc-en-ciel est le résultat d’un échec d’une orientation politique qui avait promis d’aiguillonner à gauche le gouvernement précédent de Romano Prodi. Une orientation qui a échoué clairement. Elle n’a rien obtenu, même pas une limitation de ladite politique des sacrifices, ou des initiatives belliqueuses du gouvernement Prodi en Irak ou en Afghanistan, ou encore son appui à la vaste opposition s’exprimant contre la base américaine à Vicenza (Il Molino).

Cette victoire de la droite na va-t-elle permettre à la fraction dominante du Capital de se doter des institutions et des modalités de gouvernance qu’elle réclame depuis longtemps ?

P. Basso : D’un certain point de vue, on peut parler de la naissance d’une Troisième République (voir à ce propos l’article paru dans le N° 2, avril 2008, de la revue La brèche, pp. 4-9). En effet, l’apparition de deux pôles fondamentaux de référence – la coalition de Berlusconi avec un enracinement populaire spécifique au nord de l’Italie et le PD de Walter Veltroni – ouvre une situation nouvelle.

La droite au Nord possède une base dans ce que l’on peut nommer les couches moyennes participant à l’accumulation du capital (petits employeurs de divers secteurs), mais aussi dans les couches de salarié·e·s, comme indiqué plus haut.

Face à cette droite existe une alternative démocratique mais libérale-démocratique. Il y a une bipolarisation et plus d’un commentateur le soir des élections a parlé de la forme américanisée de la scène politique italienne.

Il existe des convergences entre la droite berlusconienne et cette force libérale-démocratique sur une série de thèmes fondamentaux, propres à la reconstruction compétitive de l’Italie. Il y a des points de divergence réels mais circonscrits.

Des analystes politiques mettaient l’accent, lundi soir, à juste titre, sur un fait, résultant de ces élections : pour la première fois dans l’Union européenne, existe un parlement sans présence d’un parti qui fasse référence, d’une façon quelconque, à la gauche socialiste, au communisme, même si cette référence était totalement superficielle, rhétorique et même avec des aspects plus d’une fois négatifs. Cela était le cas, selon moi, y compris pour la direction Bertinotti de PRC. A ce propos, l’éditorial du quotidien Il Libero est typique : en substance il dit « finalement, on a réussi à voir un parlement sans la faucille et le marteau ».

D’accord avec cela, mais pour Berlusconi, la Lega – entre autres – ne peut-elle pas constituer un élément mettant un peu de sable dans les rouages, à un moment donné ?

P. Basso : Certes, la Troisième République n’est pas encore là. Au sein du bloc dominant, les contradictions restent fortes, même si Berlusconi n’a pas fait une campagne électorale telle qu’on l’a connue par le passé, multipliant les promesses. Le passage à la Troisième République se heurte à deux obstacles. Le « Parti de la Liberté » n’est pas un véritable parti. C’est encore une formation indécise, avec des aspects de coalition. Le deuxième obstacle renvoie à la victoire de la Lega Nord. Bossi, avec ses liens dans les milieux de travailleurs, ne peut pas être immédiatement disponible pour mener une attaque frontale contre les quelques « garanties sociales » résiduelles issues des luttes des années 1970 et 1980. Le programme de la Confindustria, qui exige une thérapie de choc, ne peut pas être d’un coup avalisé par l’allié clé de Berlusconi au Nord.

La politique d’attaque contre l’ensemble des salariés va, dès lors, probablement passer au travers de ce que l’on peut nommer une division territoriale des salariés, une sorte de fédéralisme qui implique mise en concurrence des salarié·e·s, compétition fiscale et réduction des ressources budgétaires régionales avec leurs effets sociaux, régionalisation des accords conventionnels, quand ce n’est pas leur réduction à une entreprise. Tout cela aboutit à une division des travailleurs, qui prend la forme territoriale, sur laquelle prennent appui des expressions chauvines, localistes. Le tout sert à accroître la xénophobie et les oppositions entre secteurs de travailleurs, parmi lesquels les immigrés fragilisés servent de bouc émissaire.

Ainsi, le journal de la Lega Nord, La Padania, demande déjà aujourd’hui, mardi 15 avril, une loi Bossi-Bossi et non plus une loi Bossi-Fini, autrement dit une législation encore plus dure contre les immigré·e·s ; cela au moment où la Confindustria voudrait une politique d’immigration choisie afin de pouvoir exploiter plus aisément la force de travail dans le cadre de la bataille pour l’élévation de l’Italie dans l’échelle des « Standort ».

Donc on n’a pas encore passé le gué pour stabiliser une Troisième République. Toutefois, les conditions sont meilleures pour avancer dans cette direction. Ce d’autant plus que le risque d’un affaiblissement encore accru de ce qui reste du mouvement ouvrier organisé est très grand. Une grande partie du syndicalisme officiel, pour ne pas dire la majorité, est déjà d’accord avec une politique de « modernisation » et d’assujettissement des salariés aux besoins et exigences des entreprises.

Au Nord, il ne fait pas de doute que l’influence de la Lega Nord va contribuer à affaiblir la résistance ouvrière, car elle va fonctionner comme élément de division, de désorganisation, de confusion qui n’est pas combattu réellement par l’essentiel des organisations syndicales.

Comment envisages-tu l’étape qui s’ouvre du point de vue d’une redéfinition stratégique ?

P. Basso : Si l’on prend en considération les forces qui se présentaient comme voulant être une opposition de classe, pour les qualifier de la façon qui leur soit le plus favorable, leur expulsion des institutions parlementaires donne une indication sur la dynamique future : l’épicentre d’une réorganisation du mouvement des salariés ne pourra se faire, à cette étape, qu’en dehors des institutions.

Sans regarder d’abord en arrière, il faudra toutefois faire le bilan du résultat de tout ce qu’a représenté en Italie le réformisme se référant à la classe ouvrière. De ce point de vue, ce réformisme, y compris celui de Bertinotti, a pavé la voie au désastre actuel auquel nous assistons. Bertinotti a certainement, en partie, raison lorsqu’il attribue à la campagne de Walter Veltroni, qui a refusé au maximum l’affrontement politique avec la droite berlusconienne, une des raisons de la défaite en rase campagne.

Mais il fait l’impasse sur le rôle joué par PRC, si on s’efforce de situer le rôle de ce dernier dans une perspective à moyen terme, depuis sa naissance il y a plus de 15 ans. Le groupe dirigeant de PRC a des responsabilités majeures dans la situation sociopolitique qui existe aujourd’hui en Italie.

Ce n’est pas la politique des derniers deux ans de PRC qui doit être examinée, mais où PRC a conduit les énergies de milliers de militant·e·s qui se sont engagés dans un projet de « refondation communiste » afin de réagir à ce qu’ils considéraient comme un processus de social-démocratisation du PCI. C’étaient des énergies réelles, militantes, pas des énergies carriéristes. Ces dernières ont été en grande partie dispersées et blessées dans leurs motivations profondes. Elles ont été en quelque sorte pacifiées et rendues inertes. La phase finale de participation au gouvernement était, en quelque sorte, inscrite dans la stratégie de l’essentiel du groupe dirigeant, dans son idéologie, au-delà des tournants conjoncturels.

Pour reconstruire les éléments d’un mouvement classiste indépendant, il est nécessaire de l’envisager sur le long terme, sans négliger les moments politiques et sociaux importants qui, à coup sûr, réapparaîtront.

Mais, selon moi, on ne peut pas simplement effacer les traces des années passées. Il faut les analyser, les assimiler, afin d’accroître l’efficacité politique d’une intervention face aux contradictions sociales et politiques qui vont surgir, cela d’autant plus dans un contexte de crise économique très grave.

Il y a une dimension de rage et d’explosivité difficile à appréhender en termes de temporalité d’expression et des directions politiques que cette rage peut emprunter. Mais une vraie braise couve sous la cendre. Dès lors, il faut combiner les revendications et les luttes qui vont avoir lieu avec une perspective sur le moyen et long terme qui implique de se libérer du poids d’une histoire politique et d’une idéologie qui a pesé sur un secteur militant et progressiste au sein des salarié·e·s et de la jeunesse.

Durant la campagne – et même des mois avant – une crise économique d’ampleur frappe à la porte de tous les pays européens ; cela ne va-t-il pas être un élément important pour le futur, même immédiat ?

P. Basso : Il est effectivement étonnant de constater que dans la campagne électorale – qui était en grande partie ennuyeuse – Berlusconi a beaucoup plus mis l’accent sur l’importance de la crise économique mondiale, non maîtrisée, que Veltroni. En fait, c’est le penseur de Berlusconi dans ce domaine, Giulio Tremonti, qui a le plus mis en garde sur la dimension de la crise. Et Tremonti n’a cessé de dire : nous ne pouvons pas promettre beaucoup, car il y a un contexte de crise internationale aiguë. Sur cette base, il a tenté d’articuler des mesures qui pouvaient être agréées par la Confindustria et d’autres plus « protectionnistes », défensives, qui susciteront des contradictions au sein de l’Union européenne.

Comme force anticapitaliste et communiste, nous devons faire face à la situation catastrophique à laquelle est arrivé le mouvement ouvrier traditionnel. Mais, aussi, nous nous affrontons à des impasses du capitalisme, plus grandes que jamais, depuis les années 1950 et depuis la période de récessions et crises inaugurée en 1974-75, puis en 1980-82…

Ainsi, il faut se concentrer de plus en plus sur la façon dont évolue le capitalisme, en termes de rapports sociaux et de domination, et nous libérer de conceptions imprégnées d’un passé qui a un poids bien plus négatif que positif, ce qui ne signifie pas qu’il faille faire tabula rasa et ne pas comprendre l’importance des éléments de continuité structurelle.

Il y a des processus nouveaux à l’œuvre dans les tréfonds, pas à la surface seulement ; ce qui ouvre des possibilités qu’il faut sonder, avec une grande responsabilité, car c’est un moment difficile. La Gauche Arc-en-ciel va se déliter. Les verts vont quitter, le Parti communiste d’Italie (PCDI d’Oliviero Diliberto) quitte ce bateau et PRC est devant un avenir incertain, comme la Gauche démocratique de Mussi. Sur des initiatives concrètes et au travers d’un dialogue-débat avec des militant·e·s, des courants qui, comme tous, doivent réfléchir. Cela reste à tester. C’est encore tôt.


* Pietro Basso est professeur de sociologie à l’Université de Venise et auteur, en langue française, de l’ouvrage Temps modernes. Horaires antiques (Editons Page deux, 2006).
** Entretien conduit par Charles-André Udry le mardi matin 15 avril 2008, pour La revue politique virtuelle « À l’encontre ».


Source : A l’encontre


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