Danielle Carbonneau et Carole Morache. Nouveaux cahiers du socialisme, L’école publique au temps du néolibéralisme, no. 26, automne 2021. (enseignantes retraitées de Techniques d’éducation à l’enfance).
Le Québec se distingue par son offre de services de garde éducatifs à la petite enfance, tant sur le plan de la qualité que sur celui de l’accessibilité. En 2019, selon Statistique Canada, le pourcentage des enfants de 0 à 5 ans du Québec qui recevait des services de garde éducatifs officiels ou informelstait de 78 %. Il s’agissait de la plus forte fréquentation au Canada[1].
Si le Québec peut se réjouir d’occuper le haut du palmarès en ce qui concerne l’accueil de la petite enfance, cela ne nous dispense pas de jeter un œil sur la situation. Nous devons analyser les types de services qui sont offerts et leur qualité au regard des enjeux pédagogiques, sociologiques, économiques et politiques qui sont ceux de la société québécoise et traiter des différentes avenues qu’ont empruntées les gouvernements à leur endroit. Le Québec est-il une société qui prend réellement soin de ses enfants ? Quelle place les enfants occupent-ils dans ses priorités politiques ? Quels sont les objectifs poursuivis par les choix effectués à leur endroit ? Qu’en est-il du personnel qui œuvre dans les services éducatifs, les centres de la petite enfance (CPE), les garderies, les maternelles 4 ans et les maternelles 5 ans ?
En 1991, le ministre de la Santé et des Services sociaux recevait le rapport Un Québec fou de ses enfants[2]. Les auteurs recommandaient d’investir d’abord massivement et de façon systématique auprès des tout-petits en mettant sur pied un programme de stimulation infantile dans les milieux où les besoins des enfants et de leurs familles l’exigeaient.
Un peu plus tard, le rapport final de la Commission des États généraux sur l’éducation recommandait de « remettre l’école sur ses rails en matière d’égalité des chances[3] » et déterminait dix chantiers prioritaires, dont l’un spécifiait qu’il fallait étendre et améliorer le réseau des services à la petite enfance. Le rapport concluait « qu’une politique intégrée relative aux services à la petite enfance permettrait de préciser le rôle des différents ministères et partenaires en cause, d’assurer une coordination plus efficace et une cohérence accrue des actions à accomplir dans ce domaine[4] ».
Plusieurs s’entendent pour dire aujourd’hui que ces deux rapports ont contribué à la création d’un réseau de centres à la petite enfance.
En 1997, le Parti québécois fait un pas de géant en faisant adopter sa réforme de la politique familiale dont les grandes lignes s’appliquent encore aujourd’hui. Son livre blanc, Les enfants au cœur de nos choix[5], prévoyait notamment l’implantation graduelle de services de garde éducatifs à contribution réduite, cinq dollars par jour. Pour le gouvernement péquiste, ce réseau de services de garde permettait de matérialiser sa relance économique par « des politiques plus incitatives au travail[6] », et les CPE constituaient un modèle en matière d’économie sociale. Il faut ajouter que cela répondait à une demande sociale car beaucoup de femmes voulaient s’intégrer au marché du travail, ce qui nécessite des services de garde.
La création des CPE offrait dès lors des services complémentaires : garde dans une installation pouvant accueillir jusqu’à 80 enfants, garde en milieu familial, halte-garderie, jardin d’enfants et lieu d’accueil pour les parents. Elle répondait aux attentes maintes fois exprimées par différents groupes. Enfin, la vision avant-gardiste de l’accueil et de l’éducation de la petite enfance se concrétisait au Québec. C’est sur cette lancée que les CPE se sont développés. L’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral de Jean Charest a marqué le début d’une importante dégradation. Ainsi, en décembre 2005, par un décret adopté sous bâillon, ce gouvernement a entrepris le démantèlement de la structure multiservice des CPE en créant les bureaux coordonnateurs des services de garde en milieu familial. À partir de ce moment, les CPE ont également dû composer avec une série de coupes budgétaires et de hausses des tarifs, alors que, parallèlement, la porte a été grande ouverte à l’implantation de garderies à but lucratif par des politiques en ce sens[7].
Vingt-cinq ans après la création des CPE, il est pertinent de se demander où en est le Québec relativement à la réalisation de la vision de départ.
L’accès aux services éducatifs des enfants de 0 à 5 ans
L’accès universel aux services éducatifs pour les enfants de 5 ans est à peu près atteint. En 2019, ce sont 93 307 enfants qui fréquentaient la maternelle 5 ans[8], ce qui représente, estime-t-on, 98 % des enfants de cet âge[9].
Par contre, la situation est plus mitigée en ce qui concerne les enfants âgés de 0 à 4 ans : seuls 62,6 % d’entre eux se retrouvent dans un service de garde à l’enfance reconnu ou en éducation préscolaire, dont 21,5 % dans un CPE (figure I). Il faut ajouter les quelque 10 997 enfants de 4 ans accueillis par le programme Passe-Partout en 2017-2018; ce programme, instauré en 1978, est destiné aux parents et aux enfants de 4 ans de milieux défavorisés et a pour but d’offrir aux familles un soutien parental[10]. Enfin, 24 000 enfants âgés de 0 à 5 ans fréquentent annuellement, selon des horaires variés et atypiques, les haltes-garderies communautaires.
Les centres de services éducatifs fréquentés par les enfants âgés de 0 à 4 ans sont donc diversifiés, mais une proportion relativement élevée d’enfants ne s’y retrouve pas. Dans certains cas, il s’agit du choix des parents, mais ces statistiques soulignent plutôt le manque de places et les coûts élevés.
Répartition des enfants âgés de 0 à 4 ans, selon qu’ils reçoivent ou non des services éducatifs, Québec, 2019[11]
Types de services éducatifs |
Nombre |
% |
|
|
|
En SGEE reconnu ou au préscolaire |
269 890 |
62,6% |
En Service de garde éducatif à l’enfance (SGEE)Milieu familial reconnuCentre de la petite enfanceGarderie subventionnéeGarderie non subventionnée |
261 09767 66992 71845 36955 341 |
60,515,721,510,512,8 |
Au préscolaire 4 ansMaternelle 4 ans à demi-tempsMaternelle 4 ans à temps plein |
8 7931 7917 002 |
2,00,41,6 |
Hors SGEE et hors préscolaire 4 ans |
161 391 |
37,4 |
Ensemble des enfants (0-4 ans) en 2019 |
431 281 |
100,0 |