AccueilNuméros des NCSNo. 24 - Automne 2020Pour une république au Québec

Pour une république au Québec

Danic Parenteau
Professeur agrégé au Collège militaire royal de Saint-Jean

On observe depuis quelques années un intérêt grandissant pour le républicanisme au Québec. Ce modèle politique trouve dans le présent contexte d’essoufflement de certaines grandes catégories d’analyse et d’action ayant marqué le jeu politique depuis la Révolution tranquille, un environnement particulièrement favorable à sa réception. Son influence se laisse voir diversement : appel à la mise sur pied d’une assemblée constituante pour que le Québec se dote d’une véritable constitution écrite, sur le modèle des Républiques, appel à l’abolition du poste de lieutenant-gouverneur et son remplacement par une présidence élue, à la façon républicaine, etc. L’élément peut-être le plus visible de l’influence grandissante dont profite actuellement le républicanisme au Québec est le concept de « laïcité », qui recueille un appui important et dont la Loi sur la laïcité de l’État, adoptée en juin 2019, constitue la consécration juridique suprême.

L’appui en faveur de la laïcité tient en bonne partie à la perception répandue selon laquelle celle-ci s’inscrit dans le prolongement naturel des processus de sécularisation et de déconfessionnalisation remontant à la Révolution tranquille. En régissant un espace public neutre sur le plan religieux, le principe de la laïcité rejoint une vision de la place de la religion qui domine l’imaginaire collectif québécois depuis la fin des années 1960. Ainsi, malgré l’opposition de la part de certains groupes à l’égard de deux dispositions de la Loi sur la laïcité (articles 6 et 8), le principe de laïcité jouit d’un fort consensus au Québec.

Quel avenir pour le républicanisme au Québec, par delà la laïcité ? Car convenons que ce principe ne saurait épuiser tout le sens de ce modèle politique. Son potentiel pour articuler un projet politique plus large apparaît relativement limité. Il inspire certes une conception de l’espace public et un rapport aux institutions en misant sur ce qui fait commun, plutôt que ce qui divise. Il contribue également à restaurer une certaine conception d’un rôle fort pour l’État, à distance de la vision minimaliste libérale. Mais en fin de compte, ce principe est d’une portée politique relativement réduite.

À nos yeux, par-delà la laïcité, le républicanisme s’offre comme un modèle particulièrement fécond pour saisir certains enjeux politiques contemporains criants. Mais par-dessus tout, dans le présent contexte politique, nous croyons que son plus grand potentiel réside dans ce qu’il offre pour reconstruire la plus grande force de contestation politique et sociale qu’a connue le Québec depuis la Révolution tranquille, soit la grande alliance politique entre progressistes et nationalistes, alliance qui s’était forgée autour du projet souverainiste.

La grande alliance politique souverainiste entre progressistes et nationalistes

Pendant plus d’un demi-siècle, la grande famille souverainiste s’est imposée comme la principale force de contestation politique et sociale au Québec, face à l’ordre politique et économique établi. Sa puissance résidait dans la grande alliance politique qui la portait, réunissant derrière elle les progressistes et les nationalistes. Or, cette grande alliance s’est aujourd’hui rompue, affectant ainsi grandement le projet souverainiste qui cherche aujourd’hui à se renouveler.

L’éloignement de la perspective d’un nouveau référendum sur la souveraineté du Québec a certainement contribué à cette rupture. Mais elle trouve également sa source à même des transformations idéologiques propres aux camps progressiste et nationaliste, dont les univers de pensée apparaissent aujourd’hui de plus en plus mutuellement incompatibles. Longtemps camarades de route autour du projet souverainiste, progressistes et nationalistes québécois s’affichent aujourd’hui de plus en plus comme des adversaires politiques. D’un côté, on remarque ces dernières années qu’une bonne partie des forces progressistes québécoises ont relégué au second plan le combat en faveur des inégalités économiques, faisant de la protection des droits des minorités (de genre, ethniques, religieuses, etc.) leur nouveau cheval de bataille principal. Les questions de droits touchant la discrimination, le racisme, la xénophobie ont aujourd’hui pris le dessus sur les questions de nature politique. Aussi, le nationalisme québécois s’offre-t-il désormais davantage comme un adversaire, plutôt que l’allié qu’il fût jadis : l’idéal nationaliste de défense de la nation étant perçu comme une entrave à l’émancipation des minorités. Dans pareille conjoncture, le projet de l’indépendance du Québec perd en pertinence, alors que les luttes en faveur des droits des minorités peuvent très bien se mener à l’intérieur du Canada. En vérité, l’horizon canadien multiculturaliste de 1982 s’offre même comme un terrain particulièrement favorable pour de telles luttes. De l’autre côté, le nationalisme québécois a aussi connu une importante mutation ces dernières années. Sous l’effet de la mondialisation, nous assistons partout en Occident à la montée du cosmopolitisme comme nouvel horizon d’identification et d’appartenance, un phénomène qui, bien sûr, ne touche pas que le Québec. En réaction, une bonne partie des nationalistes semble aujourd’hui engagée dans une lutte pour la protection de l’identité nationale québécoise (langue, tradition, valeurs, etc.), marquant ainsi un retour à un certain nationalisme plus culturel (ou identitaire) que politique, tel que celui qui prévalait avant la Révolution tranquille. Dans cette perspective, le discours progressiste en faveur des minorités, lequel participe largement de cette idéologie cosmopolite ou multiculturaliste justement décriée, ne peut apparaître autrement que comme un obstacle à la sauvegarde de l’identité nationale québécoise et du coup, les progressistes, désormais comme des adversaires politiques plutôt que les alliés d’antan. Au demeurant, pour ces nationalistes, l’option de l’indépendance conserve certes sa pertinence, mais sa réalisation ne présente plus l’urgence qu’elle affichait dans les années 1960, alors qu’il s’agit aujourd’hui de sauver l’identité de la nation. Ainsi, plus divisé et affaibli que jamais, le camp souverainiste cherche ses repères.

Or, sans une alliance entre progressistes et nationalistes, aucun projet politique de transformation sociale et politique d’envergure ne sera jamais possible, tant les forces du statu quo politique et économique sont puissantes au Québec. Pour les progressistes et les nationalistes, faire bande à part, c’est se condamner à l’échec.

Le modèle républicain pour articuler une nouvelle contestation de l’ordre politique canadien

Si le républicanisme peut contribuer à refonder une nouvelle alliance entre progressistes et nationalistes, c’est qu’il offre une manière de repenser le champ politique sur des bases renouvelées, à distance de l’imaginaire libéral anglo-saxon dominant.

Le républicanisme offre d’abord la possibilité d’insuffler un nouveau sens au projet indépendantiste, en refondant celui-ci autour du principe de la souveraineté du peuple, en rupture avec le paradigme « souverainiste », dominant depuis la Révolution tranquille, lequel apparaît aujourd’hui inactuel et impuissant à rallier une majorité de Québécois et Québécoises. Dans les années 1960, lorsqu’émerge le mouvement indépendantiste, s’impose rapidement le néologisme « souverainisme ». Popularisé entre autres par le Parti québécois, et empruntant au langage du droit constitutionnel, ce terme devait signifier l’accession de l’État du Québec, aujourd’hui campé dans les limites d’une « province », à la pleine et entière souveraineté, telle que celle dont jouit la France, les États-Unis, le Japon, etc. Du peuple, dans un tel paradigme, il n’en était que très peu question. Or, dans une perspective républicaine, faire sécession du Canada doit certes contribuer au renforcement des pouvoirs de l’État du Québec, qui récupérerait alors les pouvoirs actuellement dévolus au niveau fédéral de gouvernement dans le présent régime canadien, mais doit par-dessus tout consacrer la souveraineté du peuple québécois. L’indépendance du Québec doit d’abord et avant tout exprimer un geste de volonté collective par et pour le peuple québécois, qui entreprendrait alors, en fondant la République du Québec, de se doter d’institutions politiques bien à lui, conformes à ses valeurs et fidèles à ses ambitions collectives, ce dont il est entièrement privé dans l’actuel régime. D’où l’importance de premier plan que revêt la démarche constituante dans la feuille de route indépendantiste, en remplacement de la stratégie du « tout référendum ». L’idéal républicain de souveraineté populaire est selon nous parfaitement compatible avec les univers idéologiques des progressistes et des nationalistes québécois, pour peu toutefois qu’ils s’approprient pleinement tout le potentiel politique attaché à la notion centrale de « peuple ».

Ensuite, le républicanisme offre des ressources intellectuelles efficaces pour repenser certains enjeux politiques déterminants de notre époque, lesquels sont susceptibles de rejoindre tant les progressistes que les nationalistes québécois. Faute d’espace, offrons un survol rapide de deux de ces enjeux.

Premièrement, d’une manière générale, le modèle républicain s’alimente d’une conception active de la citoyenneté, qui rompt avec la conception libérale individualiste et relativement passive actuellement dominante. Dans une perspective républicaine, être citoyen et citoyenne, c’est entretenir une responsabilité à l’égard de sa communauté en s’engageant activement dans l’espace civique commun, la res publica, au sein duquel se réalise la vie citoyenne. Dans cette perspective, la citoyenneté ne se réduit pas au simple caractère d’être détenteur de droits, protégé par des chartes de droits. La citoyenneté républicaine porte en elle une exigence plus haute à l’égard du commun pour chaque personne, sans pour autant bien sûr rien abandonner à l’espace privé individuel. Nous sommes persuadé qu’une telle conception de la citoyenneté est susceptible de rallier les ambitions politiques des progressistes, en ce qu’elle permettrait de faire barrage à l’atomisme néolibéral, qui tend à l’impuissance politique tout le corps social, en le rendant incapable de se mobiliser collectivement. Dans le même sens, il nous apparaît évident que les nationalistes peuvent trouver dans une telle conception de la citoyenneté une manière de redonner sens à un certain attachement national, et ainsi lutter contre le cosmopolitisme ambiant, lequel s’articule le plus souvent sur la négation du sentiment d’appartenance à la communauté locale. Car dans une perspective républicaine, être citoyen et citoyenne, c’est toujours d’abord et avant tout se sentir appartenir à une communauté nationale réelle et concrète.

Deuxièmement, comme modèle politique, le républicanisme accorde une importance primordiale à la notion d’intérêt général, qui porte en elle une certaine manière de penser l’action politique, ainsi que le rôle de l’État, à distance de la vision libérale dominante. Cette notion désigne l’intérêt de la communauté dans son ensemble, non pas comme la simple addition des intérêts particuliers de ses membres, pris individuellement, mais comme la volonté supérieure du peuple, entendu comme sujet collectif capable d’ambition politique. Il revient à l’État et aux institutions politiques de promouvoir et de défendre cet intérêt général, lequel doit servir de guide aux décisions politiques. On reconnaît ainsi à l’État un rôle qui va bien au-delà de sa fonction strictement utilitaire, telle que celle qui domine dans la conception libérale. L’État est plus que le simple pourvoyeur de services aux contribuables ou l’arbitre neutre et désintéressé entre individus aux intérêts divergents, car, comme puissance publique, il incarne la volonté d’un peuple, et est un agent central au sein de la res publica. Pareille vision nous apparaît en mesure de rejoindre à la fois l’univers de pensée des progressistes et des nationalistes. Derrière la notion d’intérêt général se dégage en effet une valorisation du Bien commun, entendu comme devoir de solidarité de tout le peuple à l’égard notamment des plus défavorisé·e·s de notre société, en rupture ainsi avec l’individualisme libéral qui tend au laisser-faire et au chacun pour soi. Mais en même temps, cette notion nous semble également rejoindre la notion d’intérêt national, qui occupe une place essentielle dans la vision nationaliste du monde : l’Intérêt national désigne l’exigence pour chaque État de défendre et de promouvoir toujours et partout les intérêts supérieurs de la nation, conformément aux valeurs de celle-ci, de son histoire et de ses ambitions collectives, aussi bien sur la scène internationale qu’en politique intérieure.

Conclusion

En somme, le modèle républicain porte en lui un potentiel pour amener un rapprochement entre les progressistes et les nationalistes québécois sur de nouvelles bases. Mais, évidemment, pareille vision ne pourra susciter la pleine adhésion que si elle pointe vers un objectif politique ultime, qui lui seul peut lui garantir sa pleine cohérence, et en fixer le sens : la fondation de la République libre du Québec. Y parvenir exigera des progressistes et des nationalistes qu’ils rompent avec certaines habitudes de pensée et certains réflexes politiques bien ancrés dans leur imaginaire politique depuis la Révolution tranquille; il faudra d’abord sortir du souverainisme, pour embrasser la souveraineté du peuple.

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