Pour un printemps québécois !

Un printemps québécois prend forme. Amorcé par la mobilisation historique des étudiants contre la hausse des droits de scolarité, il se poursuit en amenant avec lui la colère, le sentiment d’impuissance et de dépossession d’une majorité de citoyens face à leur élite politique et économique, jugée non-représentative de leurs intérêts et préoccupations.

Les étudiants, dans leur lutte, sont inspirants. Ils donnent envie à des citoyens de tous les milieux de prendre la parole, de se faire entendre. Ils nous ont rappelé que, lorsque nous pensons qu’il n’existe plus d’espace pour faire entendre notre voix, il y a encore la rue pour amener les débats dans l’espace public et politique. Les étudiants nous ont donné un élan, une envie, celle de se réapproprier le bien commun. Parce que la question que pose la jeunesse dépasse largement celle des droits de scolarité. La question fondamentale derrière ce débat, c’est : « Dans quel genre de société voulons-nous vivre? ». Nous les remercions de nous avoir sortis de notre hiver.

Le printemps québécois tel que nous l’entendons se traduit par une volonté de reprise en main de notre destin collectif. Il est l’expression, en somme, d’un désir de reprendre le contrôle démocratique dans un certain nombre de domaines, soit l’éducation, les ressources naturelles, l’environnement,  l’économie, et enfin, l’espace politique.

Le bien commun, c’est d’abord l’accès à l’éducation pour tous. Le savoir doit être partagé, et il doit être si bien partagé qu’il doit permettre la mobilité sociale. Par exemple, c’est au Québec que nous retrouvons le plus grand nombre de médecins issus de milieux modestes, et le fait que l’accès à l’éducation supérieure est plus abordable que dans le reste du Canada y est très certainement pour quelque chose. La conception de l’éducation et du savoir, telle que proposée par le gouvernement actuel, nous présente l’éducation supérieure comme un simple investissement économique individuel. L’éducation remplit pourtant d’autres fonctions, tout aussi importantes pour une société qui se veut intelligente, créatrice et dynamique. Des citoyens éduqués partageant une culture commune forte constituent les fondements d’une société juste et démocratique qui aspire à durer dans la paix et la cohésion.

Le bien commun, c’est aussi nos ressources naturelles et notre territoire. Ces ressources nous appartiennent. Nous devrions être adéquatement informés, avoir notre mot à dire relativement à leur exploitation ainsi qu’à leur éventuelle nationalisation. Les richesses naturelles issues de notre territoire devraient profiter à tous. Ce n’est toutefois pas ce que l’on constate dans la réalité. Au cours des dernières années, nous avons été les témoins impuissants de la complaisance du gouvernement envers des intérêts privés qui exploitent nos ressources, avec des redevances qui frisent le ridicule. Pendant ce temps, ce sont tous les contribuables qui paient pour les routes et les infrastructures permettant à ces entreprises d’accumuler les profits.

Le bien commun, c’est également reprendre le contrôle de notre environnement. Quand le Canada se retire du protocole de Kyoto, il ne parle pas en notre nom. Dans la vallée du Saint-Laurent, l’industrie des gaz de schiste se prépare à forer avec la bénédiction du gouvernement du Québec, sans que nous soyons sérieusement consultés. Nous voulons plutôt d’un développement qui ne serait pas axé sur le pétrole et le gaz, mais qui ferait une large part aux énergies renouvelables et aux économies d’énergie. Nous voulons un développement qui respecte notre eau, l’air que nous respirons et les espèces vivantes qui nous entourent. Nous voulons léguer aux générations à venir un environnement et un climat habitables.

Le bien commun, c’est une économie au service de tous. Nous contribuons tous à l’économie, et pourtant elle nous échappe. Au fil des ans, nous avons vu l’écart entre les riches et les pauvres se creuser.  La classe moyenne s’effrite, s’endette, s’épuise. L’économie s’est progressivement détournée de la création d’emplois de qualité faisant vivre des familles, pour mettre l’accent sur la quête de profit et une création de richesse axée sur la spéculation financière. Cette situation est brillamment illustrée par le slogan « Nous sommes le 99% » des indignés de la mouvance Occupy Wall Street.

Le bien commun, c’est enfin reprendre le contrôle de nos institutions démocratiques. Une grande partie de la population est désillusionnée de la politique. Les divers scandales mis à jour dans l’industrie de la construction et, plus largement, la gestion de projets d’infrastructures ont miné la confiance de la population face à ses représentants. Nous avons de plus en plus l’impression que la classe politique au pouvoir sert ses propres intérêts, plutôt que d’être au service du peuple qui l’a élue. Cette crise de confiance est notamment alimentée par un mode de scrutin qui pénalise les petits partis en leur donnant un pourcentage de sièges nettement en deçà de leur appui populaire réel. À titre d’exemple de distorsion, on peut penser à notre gouvernement fédéral majoritaire qui n’a en réalité récolté que 39,6% des votes aux dernières élections.

Tous ces combats et tant d’autres sont reliés à cette idée que le Québec est notre milieu de vie et celui de nos enfants. La croissance pour la croissance, c’est de la pure folie. Ce que nous voulons, c’est bien vivre, c’est vivre bien. C’est le bien commun. Un grand «ménage du printemps» québécois est maintenant à l’ordre du jour et il commence par le fait de s’indigner en masse, de prendre la rue dans le cadre de vastes alliances rejoignant toutes les sphères de la société. Le mouvement lancé par les étudiants doit être contagieux, s’étendre à d’autres mouvements sociaux, et nous amener à nous réapproprier notre destin collectif.

Voici donc un appel à donner vie à ce printemps québécois (voir les actions possibles sur la page http://facebook.com/printempsquebecois). C’est de notre société qu’il s’agit. Faisons-nous entendre!

  • Philippe Boudreau, professeur de science politique, Collège Ahuntsic ; 
  • Jean-Félix Chénier, professeur de science politique, Collège de Maisonneuve; 
  • Julie Cloutier, professeure de philosophie, Collège Ahuntsic; 
  • Simon Labelle, professeur de physique, Collège de Valleyfield.

Les signataires font partie du collectif « Profs contre la hausse »

 

Articles récents de la revue

L’Université ouvrière de Montréal et le féminisme révolutionnaire

L’Université ouvrière (UO) est fondée à Montréal en 1925, sous l’impulsion du militant Albert Saint-Martin (1865-1947). Prenant ses distances avec la IIIe Internationale communiste, l’Université...