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Pour rehausser la littératie de la population étudiante au collégia

PERSPECTIVES. Publié dans Nouveaux Cahiers du Socialisme numéro 26 automne 2021.

La pandémie a forcé le monde de l’enseignement à mettre en veilleuse certains dossiers importants qu’il ne faudra pas perdre de vue une fois que la situation sanitaire sera revenue à la normale. L’un de ceux-là est celui de la littératie au collégial. Les enseignantes et enseignants du comité École et société du Cégep de Sherbrooke ont voulu se pencher sur la question en raison du nombre important de difficultés en lecture et en écriture rencontrées dans leurs classes. Et il est fort à parier que cela n’ira pas en s’améliorant sans que l’on agisse collectivement sur ce problème[2]. Dressons d’abord quelques constats afin de pouvoir ébaucher un plan pour orienter les actions à venir.

Selon le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), la littératie est « la capacité des adultes de comprendre, d’évaluer, d’utiliser et d’analyser des textes écrits pour participer à la société, atteindre leurs objectifs, perfectionner leurs connaissances et développer leur potentiel[3] ». Il existe une échelle d’évaluation de la littératie qui comporte plusieurs niveaux de compétence allant du niveau inférieur au niveau 1 jusqu’au niveau 5.

Cynthia : la place des 2 tableaux peut être différente.

Tableau 1 – Définition des niveaux de compétence en littératie et pourcentage de la population québécoise âgée de 16 à 65 ans à chaque niveau en 2012[4]

Niveau Posséder des compétences en littératie,

c’est être capable, par exemple, de :

Pourcentage de la population québécoise âgée de 16 à 65 ans
1 ou moins
  • lire des textes numériques ou imprimés relativement courts, sous une forme continue ou non;
  • situer une information, identique ou similaire à celle donnée dans la question ou la consigne;
  • remplir des formulaires simples et comprendre du vocabulaire de base.
19 %
2
  • intégrer, à la suite de la lecture d’un texte, au moins deux informations en fonction de critères, les comparer, engager une réflexion à leur sujet;
  • effectuer des inférences de faibles niveaux;
  • repérer les informations dans différentes parties d’un document.
34 %
3
  • comprendre des textes denses ou longs et y réagir adéquatement;
  • cerner, interpréter une ou plusieurs informations et effectuer des inférences adéquates;
  • effectuer des opérations comportant des étapes multiples et choisir des données pertinentes à partir d’informations concurrentes pour formuler des réponses.
36 %
4 ou 5
  • interpréter et évaluer des affirmations au sein d’un discours;
  • sélectionner des informations clés et évaluer la fiabilité des sources d’information.
11 %

Le Conference Board du Canada estime que des compétences en littératie inférieures au niveau 3 sont insuffisantes[5] pour la majorité des emplois, même pour ceux qui ne demandent pas de diplôme d’études collégiales. Ce niveau est nécessaire entre autres pour les personnes qui veulent réussir une formation pour un emploi en particulier ou qui veulent pouvoir lire l’information liée aux mesures de sécurité. De plus, l’utilisation grandissante de la technologie exige des compétences accrues en lecture et en écriture. Des entreprises qui s’étaient longtemps basées sur les seules compétences techniques pour recruter du personnel admettent à présent que certaines difficultés à intégrer de nouvelles personnes dans la culture de l’organisation sont souvent reliées à des lacunes en littératie[6].

La situation au niveau collégial

Selon le Rapport québécois du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA)[7], publié en 2012, au Québec, dans la population des 16 à 65 ans qui avait atteint un niveau de compétence en littératie inférieur à 3, on retrouve :

  • 63,1 % des personnes diplômées du secondaire;
  • 40,6 % des personnes ayant un diplôme d’études postsecondaires de niveau inférieur à un baccalauréat;
  • 26,7 % des personnes ayant un baccalauréat ou un diplôme de niveau supérieur.

Le Rapport indique aussi que les compétences en littératie s’atrophient avec le temps, et que la perte s’accélère si les compétences sont peu ou pas utilisées. Par exemple, on constate chez les diplômé·e·s du collégial ayant un niveau 1 ou moins en littératie, une différence importante entre les plus jeunes et les personnes plus âgées, comme le tableau 2 en témoigne.

Tableau 2 – Pourcentage des diplômé·e·s de niveau postsecondaire inférieur au baccalauréat ayant un niveau 1 ou moins en littératie,

selon le groupe d’âge, au Québec, en 2012[8]

Groupe d’âge Pourcentage des diplômé·e·s de niveau 1 ou moins

en littératie

16 à 24 ans 25 %
25 à 34 ans 39 %
35 à 44 ans 47 %
45 à 54 ans 55 %
55 à 65 ans 67 %

On doit également interpréter que si, en 2012, 40,6 % des individus qui ont un diplôme d’études postsecondaires de niveau inférieur à un baccalauréat (généralement un diplôme d’études collégiales) ont un niveau de compétence en littératie inférieur à 3, ce pourcentage tient compte de personnes de divers groupes d’âge et que les plus âgées d’entre elles contribuent à le hausser, comparativement à la population étudiante présente dans les cégeps; cette dernière regroupe un très grand nombre de jeunes qui ont entre 16 et 24 ans. Il n’en demeure pas moins que dans ce groupe d’âge, 25 % des personnes diplômées auraient un niveau 1 ou moins en littératie, ce qui est fort inquiétant.

Si on regarde en amont des études collégiales, certains résultats peuvent laisser croire que tout est rassurant. En effet, l’enquête du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) de l’Organisation de coopération et de développement économiques[9], qui a testé, en 2018, les compétences de plus de 600 000 élèves de 15 ans à travers le monde, révèle que le Québec et le Canada font mieux en ce qui a trait à la lecture et à l’écriture que la plupart des 78 autres pays considérés. Cependant, 12 % des jeunes Québécois et Québécoises de 15 ans n’ont pas le « niveau de base du rendement en compréhension de l’écrit requis pour poursuivre des études et participer pleinement à la vie dans la société moderne[10] ». De plus, au Québec, ainsi qu’au Canada, le rendement en lecture a diminué entre 2000 et 2009, mais est resté assez stable par la suite jusqu’en 2018[11].

Si on regarde maintenant en aval et que l’on examine les compétences attendues par les universités de la part des personnes diplômées du programme d’études en sciences humaines, il ressort, dans le cadre de l’analyse du profil attendu défini en 2017, que « l’élément qui a suscité le plus d’observations tout au long des travaux est lié aux habiletés langagières. Des difficultés sont observées tant à l’oral qu’à l’écrit de même que dans la compréhension de textes[12] ».

Devant ce constat, nous pouvons, comme intervenantes et intervenants, tenter d’agir et de contribuer, sans sacrifier le niveau des cours, à faire baisser le nombre d’étudiantes et d’étudiants qui ont un niveau en littératie inférieur à 3. C’est sur la base de cette intention d’agir et afin de soutenir la population étudiante face aux difficultés qu’elle peut rencontrer en lecture et écriture que nous proposons le plan d’action suivant.

Plan d’action pour rehausser les compétences en littératie

Les travaux de réflexion du Réseau de lutte en analphabétisme[13] ont permis de déterminer différentes dimensions de la lutte à l’analphabétisme, dont l’appropriation de la lecture et de l’écriture et les conditions de vie. Certains établissements de niveau collégial agissent déjà quant aux conditions de vie des élèves, grâce, par exemple, à des repas à petits prix pour les parents-étudiants, aux banques de livres usagés et à l’accompagnement pour effectuer des demandes de prêts et bourses. Les centres d’aide en français et les services adaptés aux étudiantes et étudiants en situation de handicap permettent également d’aider l’élève relativement à ses difficultés à l’écrit.

Afin de lutter contre l’analphabétisme fonctionnel[14], en tant que société, il faut agir sur plusieurs fronts : tenir compte de la réalité des personnes peu ou pas alphabétisées, s’appuyer sur une vision globale et cohérente du problème, de ses causes et de ses conséquences et instaurer des mesures structurantes.

Les établissements d’ordre collégial ne peuvent agir seuls dans cette lutte, le rehaussement des compétences en littératie est l’affaire de tous et de toutes. Il est essentiel de réfléchir à un plan d’action qui implique toutes les personnes du milieu de l’éducation, de l’enseignante ou de l’enseignant en classe avec ses élèves jusqu’au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). Les pistes d’action concrètes suivantes nous semblent importantes à considérer[15].

  • Le MEES devrait diffuser auprès du personnel enseignant et des conseillers et conseillères pédagogiques des établissements de niveau collégial les résultats de travaux de recherche sur l’efficacité de méthodes d’enseignement qui favorisent le développement de la littératie au niveau collégial.
  • Le MEES devrait rendre disponibles des ressources au niveau national pour permettre à des enseignantes et des enseignants du niveau collégial de se pencher sur la problématique de la littératie à ce niveau et d’identifier des avenues possibles permettant de soutenir efficacement les étudiantes et les étudiants face à leurs difficultés en littératie.
  • Le MEES, à l’instar du Gouvernement du Canada[16], devrait prévoir systématiquement dans les devis ministériels des différents programmes d’études techniques un portrait des tâches que les diplômé·e·s auront à accomplir dans leur profession et qui font appel à la lecture, à l’utilisation de documents et à l’écriture. Le ministère devrait avoir la même préoccupation pour les devis des programmes préuniversitaires, afin que les personnes diplômées de ces programmes soient adéquatement préparées aux études universitaires, en ce qui a trait aux compétences en littératie.
  • La direction de chaque établissement collégial devrait travailler de concert avec les centres de services scolaires (les ex-commissions scolaires) et les groupes populaires en alphabétisation de sa région pour développer une stratégie régionale de lutte à l’analphabétisme fonctionnel, et ce, de la petite enfance à l’âge adulte, en se mobilisant pour rendre tangibles les problèmes liés à la littératie, en demandant que soit rehaussé le financement des groupes populaires en alphabétisation et en fixant des objectifs ambitieux en matière de rendement des élèves en matière de littératie.
  • La direction de chaque établissement collégial devrait soutenir les comités de programme en traçant pour chaque famille de programmes d’études un portrait le plus objectif possible des problématiques particulières observées chez les élèves en ce qui a trait à la littératie.
  • Chaque établissement collégial devrait sensibiliser la population étudiante dès son arrivée au collège quant à l’importance de la lecture et de l’écriture dans les études de niveau supérieur et quant aux conséquences de l’analphabétisme fonctionnel à moyen et long terme.
  • Les enseignantes et les enseignants des divers départements devraient réfléchir à la possibilité d’introduire dans leurs cours les spécificités des textes de leur discipline, de mettre aussi souvent que possible les étudiants et les étudiantes en contact avec des livres ou des articles liés au contenu de leurs cours et de leur présenter, si possible, des textes d’auteurs et d’autrices d’expérience, d’essayistes ou de vulgarisateurs et vulgarisatrices scientifiques, afin qu’ils et elles tirent de cette observation des exemples de savoir-faire en littératie.

Un travail colossal nous attend, mais il est nécessaire si l’on veut vraiment s’attaquer aux racines du problème. Un système d’éducation qui vise le développement de la personne et la formation d’une relève autonome, responsable et engagée doit prendre tous les moyens afin de permettre à ses jeunes de savoir s’informer adéquatement et de pouvoir bien exprimer leur pensée, tant à l’oral qu’à l’écrit. Plus largement, cela implique aussi que l’éducation soit au cœur d’un véritable projet de société[17]. Aux grands maux, les grands moyens !

Le comité École et société du Syndicat du personnel enseignant du Cégep de Sherbrooke-CSN[1]


  1. Les membres du comité sont : Mélissa Blandford, Ginette Bousquet, Marie-Claude Brosseau, Louis Desmeules, Jean Fradette, Philippe Langlois, Joannie Roberge.
  2. L’UNESCO a lancé une récente alerte à ce sujet car, en raison de la pandémie, on estime à 20 % la hausse du nombre d’élèves à travers le monde qui, en 2020, n’auront pas acquis les compétences en lecture de base. Voir : <https://fr.unesco.org/news/100-millions-denfants-supplementaires-natteignant-pas-niveau-minimum-lecture-cause-du-covid-19>.
  3. Institut de la statistique du Québec, Les compétences en littératie, en numératie et en résolution de problèmes dans des environnements technologiques : des clefs pour relever les défis du XXIe siècle, Rapport québécois du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), Québec, 2015, p. 25.
  4. Voir le site du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, <http://www.education.gouv.qc.ca/adultes/references/litteratie/>. Données tirées du Rapport québécois du PEICA, op. cit.
  5. <https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/competences-essentielles/profils/guide-sommaire.html>. Consulté le 19 janvier 2020.
  6. Collège Lionel-Groulx, Journée de réflexion sur les conditions et les voies d’action permettant d’agir sur le rehaussement et le maintien des compétences des adultes ayant un niveau insuffisant de littératie, Propositions et pistes de réflexion du collège Lionel-Groulx, <http://www.formationcontinue.clg.qc.ca/fileadmin/formcont/entreprises/Propositions_du_College_Lionel-Groulx_avis_du_CSE_sur_la_litteratie.pdf>.
  7. Rapport québécois du PEICA, op. cit., p. 81.
  8. Source : Rapport québécois du PEICA, dans Michel Simard, Des solutions novatrices et efficaces pour le rehaussement des compétences en littératie des adultes dans les programmes de formation et en emploi, Sainte-Thérèse, Formation continue et services aux entreprises du Collège Lionel-Groulx, 2015, <http://www.formationcontinue.clg.qc.ca/fileadmin/formcont/entreprises/La_pertinence_d_integrer_la_litteratie_dans_les_programmes_de_formation_aux_adultes.pdf>.
  9. Desrosiers, « Le Québec, un premier de classe qui pourrait faire encore mieux », Le Devoir, 6 décembre 2019.
  10. Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMEC), À la hauteur : Résultats canadiens de l’étude PISA 2018 de l’OCDE. Le rendement des jeunes de 15 ans du Canada en lecture, en mathématiques et en sciences, Toronto, 2019, p. 12, <https://www.cmec.ca/Publications/Lists/Publications/Attachments/396/PISA2018_PublicReport_FR.pdf>.
  11. Ibid., p. 32.
  12. Jacques Belleau, Le profil attendu des étudiants diplômés du programme d’études préuniversitaires Sciences humaines à leur admission à l’université, Centre collégial des services regroupés, février 2017.
  13. <http://lutteanalphabetisme.ca/luttons-ensemble/>.
  14. Définition de l’alphabétisme fonctionnel adoptée par l’UNESCO en 1978 : « Une personne est alphabète du point de vue fonctionnel si elle peut se livrer à toutes les activités qui requièrent l’alphabétisme aux fins d’un fonctionnement efficace de son groupe ou de sa communauté et aussi pour lui permettre de continuer d’utiliser la lecture, l’écriture et le calcul pour son propre développement et celui de la communauté ». <https://fr.wikipedia.org/wiki/Analphab%C3%A9tisme>.
  15. Plusieurs de ces propositions ont été soumises à l’assemblée générale du syndicat pour discussion et approbation par les membres.
  16. Pour un grand nombre de professions nécessitant l’obtention d’un diplôme d’études postsecondaires, le Gouvernement du Canada a dressé un portrait de diverses tâches que les travailleurs et les travailleuses doivent accomplir dans leur profession et qui font appel à la lecture, à l’utilisation de documents et à l’écriture.
  17. Voir à ce sujet : Dominique Lassare, UNSA Éducation, Pour une société éducative. Une réflexion syndicale sur l’école et la société, Paris, ESF, 2001.

 

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