Le Québec vit actuellement une des crises les plus profondes de son histoire depuis la crise d’Octobre. Le gouvernement dit que les dés sont joués, que la fatalité du destin aurait mené la société québécoise et ses universités à intégrer le capitalisme globalisé. D’autres prônent le dialogue et le consensus. Mais le dialogue est impossible. Le gouvernement autoritaire n’écoute pas : il oppose les injonctions, les matraques et l’humiliation. Il demande aux étudiant-e-s de s’excuser chaque fois qu’une poubelle est renversée. Ou qu’une banque est bloquée durant l’heure du diner. Nous sommes dans l’impasse.
Aucune de ces deux positions n’est en mesure d’évaluer la gravité de la crise qui se joue dans les sociétés occidentales, et dont la grève étudiante n’est qu’un symptôme. Il s’agit d’une crise civilisationnelle qui dépasse la crise de 1929 : il s’agit d’une crise du capitalisme dans sa forme de reproduction qui l’oppose de façon irréductible au travail, à la nature et aux acquis sociaux de l’humanité. Le capital, pour se valoriser, n’a d’autre choix que de s’attaquer au patrimoine commun de l’humanité, et d’obliger chacun à payer le prix de son inclusion dans le système. Et en porte-parole du capitalisme globalisé, l’élite économique défend bec et ongles le prix d’entrée dans ses domaines.
Cette élite a changé. Elle n’est plus de ce monde. Elle a coupé tout rapport avec le peuple, s’est retournée contre le peuple. Il s’agit d’une élite transnationale et déterritorialisée qui n’a qu’un but : profiter de la transformation des profits en rente. Pour ensuite se tirer. Le Plan Nord en est l’exemple achevé. Le détournement de la mission des universités suit derrière. En conséquence, nous assistons à la dépossession de la capacité des individus et des peuples d’agir sur leur propre destin. Désormais, pour faire partie de cette « dissociété », il faut payer un droit d’entrée pour pouvoir espérer bénéficier d’un revenu et d’un pouvoir d’achat. Mais il faut dissiper ce mirage du succès qui viendra après la lutte concurrentielle.
Partout, nous voyons la crise, en Europe comme ailleurs. Partout s’étale devant nos yeux le même spectacle d’élites accrochées à leurs mêmes privilèges, se déchaîner contre les peuples. Ne laissant ainsi aux uns que le choix de se contenter des conditions de survie de plus en plus austères et horribles, et aux autres la course concurrentielle pour faire partie des « amis de Davos » et participer aux sérails de l’élite globalisée. Pour eux, il faudra payer le prix fort, et accepter de nombreux sacrifices. Tel est l’avenir que l’on présente à cette jeunesse qui doit non seulement travailler d’arrache-pied pour atteindre un niveau d’éducation en accord avec les niveaux de la concurrence mais aussi valoriser leur diplômes, dont la « valeur » dépend du prix que l’on a bien voulu accorder sur le marché.
La jeunesse du Québec l’a bien compris et elle n’est pas dupe. Elle se bat pour défendre la société et la justice contre la barbarie et les élites qui l’ont déjà trahi. Nous sommes en présence d’un conflit proprement politique qui oppose les élites déjà globalisées et déracinées à ceux et celles qui savent que notre seul avenir est la justice et le commun. Nous lançons un appel au peuple : la seule position possible est de s’opposer résolument à ce gouvernement qui cherche à diviser le peuple. L’existence de la société, la nôtre, est non-négociable. Les élites nous ont déclaré la guerre avec une puissance économique, policière, judiciaire, médiatique qui doit trouver une réponse politique. Contre leur violence, nous appelons à la résistance. Nous appelons à l’unité des forces en lutte, par-delà les différences, pour la défense du monde commun, dans un monde dont nous avons hérité, et que nous désirons transmettre. Et pour la défense de ce qui nous constitue comme être humain, c’est-a-dire notre capacité de mettre en commun notre puissance de vivre : notre liberté.
- Benoît Coutu, chargé de cours, sociologie, UQAM.
- Eric Martin, professeur, philosophie, Edouard-Montpetit.
- Maxime Ouellet, professeur associé, école des médias, UQAM.
- François L’Italien, chercheur post-doctoral, Université Laval.
- Jean-Michel Marcoux, chercheur indépendant.
- Jacques Mascotto, professeur associé, sociologie, UQAM.