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Pour la défense de la liberté académique

Lucie Lamarche,  Ligue des droits et libertés, 20 août 2021

Les médias ont accordé une timide attention aux travaux de la Commission scientifique et technique indépendante du gouvernement du Québec sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire (Commission Cloutier) qui tient des audiences depuis le 24 août dernier. On comprend aisément que les citoyennes et citoyens ont actuellement la tête ailleurs. On comprend aussi qu’en apparence, le sujet semble niché. De quoi se plaignent donc les enseignant-e-s des universités ? Si l’on considère toutefois l’université (et les cégeps) comme des cités dans la cité, on saisit rapidement l’importance de la question. Les universités ne sont pas des usines de boutons ou des ministères. Elles participent dynamiquement à la vie démocratique et représentent donc des lieux où les droits et libertés de la personne doivent faire sens. Tentons en quelques lignes d’esquisser les termes du débat.

Pourquoi une Commission scientifique ?
Comme pour tant d’autres débats de société, cette Commission est née d’une conjonction de facteurs. On se rappellera la douloureuse affaire Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa et les réactions nombreuses et divergentes qu’elle a suscitées. Dans le contexte québécois, le tsunami créé par cette affaire doit toutefois être envisagé dans le contexte de la publication par le Scientifique en chef du gouvernement du Québec du rapport L’Université québécoise du futur, lequel consacre un chapitre aux conditions d’accomplissement de la mission universitaire et notamment, à la liberté académique et à l’autonomie institutionnelle. En quelque sorte, ce chapitre pose les termes du débat : comment réconcilier l’autonomie institutionnelle universitaire et la liberté académique ?
Qu’est-ce que la liberté académique (ou universitaire) ?
La liberté académique est attachée à la fonction d’enseignant-e universitaire. À l’échelle internationale, elle a été énoncée et reconnue dans la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur adoptée par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 1997. L’article 4 de la Recommandation de l’UNESCO énonce que : Les établissements d’enseignement supérieur et plus particulièrement les universités sont des communautés d’érudits qui ont pour mission de préserver et diffuser le savoir traditionnel et la culture, d’exprimer librement leur opinion à ce sujet et de poursuivre leur quête de la connaissance sans être entravés par des impératifs doctrinaires. L’exploration et l’application des nouvelles connaissances se situent au cœur du mandat des établissements d’enseignement supérieur […]. L’article 17 de la Recommandation énonce que l’une des fonctions de l’autonomie institutionnelle consiste à protéger la liberté académique des titulaires concernés et les droits et libertés de la personne.
Au Québec, la liberté académique est consacrée dans les chartes constitutives de certaines universités, dans les lois qui les gèrent et dans les conventions collectives liant les institutions aux personnels enseignants de celles-ci. Et pourtant, il y a de l’eau dans le gaz de la liberté académique au Québec. Les lignes qui suivent proposent trois courtes déclinaisons du problème.
La liberté académique dans la salle de classe
Par définition, une liberté n’est pas prédéfinie. Elle est toutefois balisée par les chartes des droits et libertés de la personne dont la Charte québécoise des droits et libertés. Ceci fait la différence entre l’idée que l’on peut énumérer ex ante les propos, ouvrages et exemples énoncés en classe et cette autre idée qui veut que ces propos sont soumis aux limites des libertés prévues par la Charte. Les propos haineux, dégradants ou discriminatoires sont évidemment proscrits. Il en va différemment des propos controversés qui, gérés avec civilité et sensibilité, sont plutôt bienvenus dans la cité universitaire, en théorie du moins. Accueillir des propos controversés dans la cité universitaire emporte que la communauté ne vogue pas toujours sur une mer tranquille. Et c’est bien pourquoi et comment l’université participe au débat démocratique.
De récents événements laissent toutefois croire que les universités sont parfois tentées d’évincer de la définition de l’autonomie universitaire l’un de ses objets : protéger la liberté académique. En effet, il est bien tentant pour les universités « d’acheter la paix sur le campus » en jetant à l’occasion sous l’autobus l’un-e ou l’autre titulaire de cette liberté. Parfois de manière moins brutale et plus subtile, l’université aura plutôt tendance à gérer la liberté académique par voie de guides, de circulaires, de politiques et d’offres de gabarit documentaire qui, en fin de compte, peuvent avoir pour effet de brider, encadrer, voire bâillonner la liberté universitaire. Le ou la titulaire de la liberté universitaire devient ainsi l’arroseur arrosé. On lui reprochera en cas d’exercice litigieux de sa liberté académique dans la salle de classe d’avoir failli à son devoir de loyauté envers l’institution. Mais l’enseignant-e n’est pas un fonctionnaire et l’université n’est pas un employeur ordinaire. Il a un devoir particulier qui consiste à protéger la liberté académique et à cet effet, il doit résister à la séduisante tentation de baliser ex ante celle-ci en énumérant des listes de comportements et de propos interdits. À cet égard, c’est la Charte des droits et libertés de la personne qui a le dernier mot et non le gestionnaire universitaire qui tenterait, consciemment ou inconsciemment, de lui échapper. Reste un problème : au Québec, nulle loi n’affirme ni ne protège explicitement la liberté académique. J’y reviendrai.
La liberté académique et la recherche
Avec l’enseignement, la recherche représente le système nerveux central de l’université. On a largement dénoncé au fil des dernières décennies la transformation de l’université. Bien que chaque cas mérite une attention particulière, on dit de l’université qu’elle se mercantilise, se commercialise, se met au service des intérêts de l’industrie, ou encore au service des intérêts de l’État. Ceci a intimement à voir avec le financement de la recherche, qui, et c’est encore ici une affaire de cas à cas, empêche le ou la chercheur-e de partager librement les résultats de sa recherche, voire le ou la soumet à un exigence de confidentialité.
Plus globalement, reconnaissons qu’il est fort concevable que la diffusion des résultats d’une recherche dérange certains acteurs. Le ou la chercheur-e est donc un être vulnérable et sa liberté académique l’est tout autant. Cela est plus évident dans certains secteurs tels l’environnement, la pharmaceutique ou l’énergie. Que comporte alors l’affirmation voulant que l’institution d’enseignement supérieur a le devoir de protéger la liberté académique du ou de la chercheure ? Simplement que l’institution a le devoir de prendre fait et cause pour le ou la chercheure advenant une remise en cause de l’intégrité des résultats de sa recherche, voire, de son intégrité de chercheur-e. Ce devoir a pris un nouveau sens à l’heure des poursuites-bâillons, de vastes entreprises d’intimidation envers les chercheur-e-s et l’ensemble des acteurs de la société civile.
Le ou la gestionnaire universitaire aura donc tendance à encadrer strictement le ou la chercheur-e afin de s’éviter des frais… et des désagréments réputationnels. Il semble que la tendance soit à restreindre l’expression de la liberté académique. Par exemple, on espérerait que le ou la chercheur-e s’abstienne de toute intervention publique sauf en ce qui concerne strictement la diffusion des résultats de sa recherche dans son champ d’expertise. Non seulement des balises en ce sens sont impossibles à définir, mais en sus, elles porteraient atteinte à la liberté académique qui défend le rôle de l’universitaire dans la cité. Imaginons une seconde les médias québécois sans la contribution généreuse des universitaires, des chercheur-e-s et des intellectuel-le-s appartenant au monde universitaire ?
J’y reviens encore une fois. L’université n’est pas une usine de boutons ou un quelconque ministère soumis aux règles de la fonction publique. Ceci dit, bien malin celui ou celle qui, au-delà du cas à cas aux résultats souvent malheureux pour le ou la titulaire de la liberté académique, peut affirmer les contours de l’obligation de défendre, de protéger et de promouvoir la liberté universitaire. Encore une fois, la loi est muette.
La liberté académique et la gouvernance universitaire
La gestion collégiale distingue l’institution universitaire. On pourrait même dire qu’elle est nécessaire à une communauté qui est d’abord et avant tout le lieu des titulaires de la liberté académique et des étudiant-e-s. Pour prendre un raccourci, disons qu’au Québec, cette idée de la collégialité s’est historiquement manifesté par la création d’ensembles d’instances consultatives à tous les niveaux. Un modèle que l’on peut qualifier de bottom up et qui, aux dires de plusieurs, est peu à peu remplacé par un modèle top down. On consultera avec intérêt pour des illustrations concernant l’Université de Montréal le mémoire déposé auprès de la Commission Cloutier par le professeur Michel Seymour.
On peut comprendre qu’à l’ère de la gouvernance technocratique, les universités sont tentées de réagir aux récents événements dans la salle de classe et aux enjeux contemporains en matière de financement et de gestion de la recherche par des politiques-cadres constituant à vrai dire des frappes préventives. C’est une conception de l’autonomie universitaire. Elle est toutefois difficilement conciliable avec le devoir de protéger la liberté universitaire, alors considérée comme un risque de gestion. Mais une liberté n’est pas un risque. C’est une richesse à protéger.
La question est importante car elle influe sur la compréhension des relations entre l’État et les institutions universitaires. Ces dernières souhaiteraient qu’on leur fiche la paix et qu’on les laisse se gouverner souverainement, et, il faut bien le dire, de manière de plus en plus technocratique. D’un autre côté, les citoyens et citoyennes de la cité universitaire estiment qu’il est temps de consacrer dans une loi l’objet de la liberté académique et les obligations qu’elle entraine pour l’institution. Il semble que la protection offerte par les conventions collectives ne suffise plus, les titulaires de la liberté académique se retrouvant trop souvent en position défensive.
Une loi sur la liberté académique au Québec?
C’est la proposition de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université. Rappelons que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec est muette sur la question. Le projet de loi proposé par la Fédération énonce les composantes de la liberté d’expression (la définit). Il fait ensuite de son respect une composante de la notion d’autonomie universitaire. Enfin, il prévoit l’obligation des universités de respecter, garantir et promouvoir la liberté académique.
L’idée d’une éventuelle loi sur la liberté académique au Québec est susceptible d’intéresser les militant-e-s de la Ligue des droits et libertés et j’espère avoir posé en quelques lignes les termes du débat qui a cours au sein de la Commission Cloutier. Militante de longue date auprès de la Ligue des droits et libertés, je suis la première à reconnaître l’apport significatif des universitaires à sa mission et j’en profite pour les remercier.

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