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Position de la FIQ concernant les services de première ligne et le projet de loi 11

LOI VISANT À AUGMENTER L’OFFRE DE SERVICES DE PREMIÈRE LIGNE PAR LES MÉDECINS OMNIPRATICIENS ET À AMÉLIORER LA GESTION DE CETTE OFFRE

Mémoire déposé  à la commission de la santé et des services sociaux

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec–FIQ et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec | Secteur privéFIQP sont les organisations syndicales qui regroupent le plus grand nombre de professionnelles en soins au Québec, soit plus de 76 000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques de partout dans la province. En ce sens, quoique le sujet traité par le projet de loi n⁰ 11 vise surtout les médecins omnipraticiens, les Fédérations ont tenu à déposer un avis dans le cadre des consultations entourant son étude par les membres de la commission de la santé et des services sociaux. Les professionnelles en soins du réseau de la santé québécois sont, tout comme les médecins ainsi que de nombreux-euses autres travailleur-euse-s, au cœur des enjeux qui touchent l’accès aux services de première ligne.

Au-delà des contraintes imposées aux médecins de famille, le débat qui se trouve en toile de fond du projet de loi n⁰ 11 est celui de l’élargissement de l’accès aux services de première ligne. D’entrée de jeu, la FIQ et la FIQP déplorent le fait qu’encore une fois cet accès aux soins de base dans le réseau de la santé, si problématique et pourtant essentiel à la santé de la population, ne soit considéré que par la lorgnette étroite de la profession médicale.

Ainsi, la FIQ et la FIQP entendent apporter un éclairage plus global à la question de l’accès aux soins de première ligne. Pour ce faire, cet avis s’articule autour de deux éléments : la nécessité de diversifier les lieux d’accès à ces services, notamment par le biais des CLSC, et l’importance du travail interdisciplinaire au sein de la première ligne dans le but d’assurer des soins accessibles, égalitaires, équitables, gratuits, sécuritaires et de qualité à l’ensemble de la population du Québec.

  1. POUR UNE PREMIÈRE LIGNE FORTE, PUBLIQUE ET INTERPROFESSIONNELLE

Au Québec, depuis des décennies, les soins de première ligne sont centrés sur la pratique médicale au détriment d’une pratique interprofessionnelle. Pourtant, les soins de première ligne, loin d’être l’apanage des médecins, bénéficieraient d’une diversification des types de pratiques. Tout récemment, plusieurs regroupements de médecins abondaient eux aussi dans ce sens : « Nous prônons une réorganisation en profondeur des soins de première ligne afin de faciliter le travail d’équipe interprofessionnelle, permettant ainsi au patient de voir le bon professionnel en temps opportun ».1 Avant d’approfondir cet aspect de notre avis, nous proposons d’identifier les causes de cette mainmise médicale sur la première ligne en regard des différentes réformes législatives qui ont consacré les groupes de médecine familiale (GMF) comme les portes d’entrées privilégiées de la première ligne de soins de notre réseau public de santé.

Le PL n⁰ 11, un projet de loi inscrit dans une succession de réformes pour et par les médecins, favorisant le monopole des GMF

Il apparaît essentiel de démontrer que les réformes successives du réseau de la santé et des services sociaux ont fait en sorte que les CLSC n’ont pu pleinement réaliser la mission pour laquelle ils avaient été initialement mis sur pied, en 19712, ce qui explique, en partie, les difficultés rencontrées actuellement par les médecins dans les groupes de médecine de familiale (GMF).

Dès la publication du rapport de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux (Commission Clair), en 2001, s’amorce le passage vers une première ligne structurée autour des GMF et de la pratique médicale. Ce virage s’accélère en 2003 et en 2015 lors des mégas réformes des structures du réseau de la santé sous le régime libéral et se poursuit, en 2016, avec l’adoption d’un nouveau cadre de gestion pour les GMF, cadre qui implique un transfert de ressources professionnelles, dont de nombreuses professionnelles en soins, des CLSC vers les GMF3.

Dans le cadre de la consultation particulière portant sur le projet de loi n⁰ 25 en 2003, la FIIQ (aujourd’hui la FIQ)4 mentionnait déjà craindre que la fusion des structures se fasse au détriment des CLSC et qu’elle nuise à la mission de prévention de ces derniers5. Il s’est effectivement avéré que le réseau des CLSC, porteur d’une vision sociale de la santé, a été noyé dans les CSSS, entraînant la perte de leur autonomie dans la réalisation de leur mission.

Dans ce mémoire, la FIIQ dénonçait également que la réforme ne fasse jamais référence à la promotion de la santé, au développement communautaire local ou à des interventions visant la diversité des déterminants sociaux de la santé, des caractéristiques propres à la mission CLSC. La FIIQ faisait alors le constat que le projet de loi n⁰ 25 se concentrait sur le volet curatif, alors même que c’est plutôt dans la prévention de la maladie et la promotion de la santé à long terme que résident l’atteinte et le maintien de la santé individuelle des citoyen-ne-s. Pour les Fédérations, perpétuer cette approche gouvernementale médicalo-centriste en 2022 est toujours aussi difficile à justifier.

Le projet de loi n⁰ 10, qui a accéléré et accentué la fusion des établissements, n’a fait qu’aggraver cette tendance à concentrer le financement de la santé autour des actes médicaux et à articuler l’ensemble des services autour des médecins. À titre d’exemple éloquent, même s’il s’éloigne de la première ligne de soins, notons la gestion de la première vague de la pandémie de COVID-19. La Protectrice du citoyen, dans son rapport spécial sur la gestion de la crise sanitaire dans les CHSLD lors de cette première vague, note que l’un des facteurs importants qui a aggravé la situation a été la conception hospitalo-centriste qui a été au cœur de la préparation à la pandémie par le réseau de la santé et le gouvernement :

« Au départ, les autorités du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ont tenu pour acquis que les hôpitaux allaient être l’épicentre de la crise de la COVID-19. C’est ainsi que les CHSLD ont été appelés à contribuer à l’exercice de délestage de lits hospitaliers, sans pour autant être pourvus de mesures ni de moyens additionnels pour faire face adéquatement aux éclosions à venir. De l’avis du Protecteur du citoyen, cela démontre que les résidentes et résidents de ces milieux de vie n’ont pas été considérés à leur juste potentiel de vulnérabilité au virus. »6

Le projet de loi n⁰ 20 – Loi édictant la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée, a également contribué à renforcer cette mainmise des médecins et des GMF sur la première ligne de soins.

En mars 2016, une directive du ministère de la Santé et des Services sociaux a eu pour effet d’atrophier les CLSC en forçant le transfert de centaines de professionnel-le-s vers les GMF et les GMF-Réseau et donc d’une partie des services offerts dans ces milieux de soins que sont les CLSC7. Pour sortir de l’approche médicalo-centrée et soutenir la première ligne, il faut augmenter les ressources en première ligne. Or, avec sa directive ministérielle, le ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque a retiré des ressources au sein même de la première ligne et les a transférées vers… une autre première ligne8! Retirer des ressources professionnelles des CLSC, c’est compromettre la mission des CLSC dans son intégralité.

Un effritement du réseau public à l’avantage des intérêts privés

Un gouvernement qui souhaiterait favoriser le privé en santé n’aurait aucun mal à convaincre la population que les cliniques privées, les GMF et les super-cliniques constituent une option plus intéressante que les CLSC. Le meilleur moyen de vendre le privé en santé, n’est-il pas de rendre le réseau public inefficace? Qu’adviendra-t-il alors de la mission de prévention et de promotion de la santé qui apparaît aujourd’hui si importante et qui semble, pour le moment, échapper à la grande vague de privatisation de la première ligne de soins?

Voyant que les médecins désertaient les CLSC, le gouvernement a réorganisé les soins en déplaçant entre autres les usagers vers les lieux où se trouvaient les médecins, soit dans les GMF et les super-cliniques. L’actuel projet de loi n⁰ 11, loin d’ouvrir un élargissement de la première ligne à d’autres lieux de pratique, conforte cette propension à concentrer les soins dans les mains des médecins tout en confiant la gestion de l’offre de ces soins aux GMF.

Or, bien qu’ils offrent tous les deux des soins de première ligne normalement gratuits, les GMF et les CLSC n’ont pas les mêmes missions ni les mêmes objectifs. À la différence des CLSC, les GMF ne sont pas des établissements publics : la grande majorité des GMF sont la propriété privée des médecins. Cela signifie que même si ces établissements sont entièrement financés par des fonds publics, leur gestion est entièrement privée : ce sont les médecins qui gèrent eux-mêmes « leur » clinique. Même si le MSSS a révisé le cadre de gestion et que certaines balises ont été introduites, les décisions concernant leur fonctionnement, comme les heures d’ouverture et l’organisation du travail, notamment, sont la prérogative des médecins à qui appartiennent ces cliniques. Cela signifie également que les GMF n’ont pas à se conformer à une mission définie par l’État, comme c’était le cas des CLSC9.

Puisque les GMF sont gérés par les médecins, il y a un risque réel à l’accroissement de la médicalisation des problèmes de santé et tout particulièrement celle des problèmes psychosociaux. Or, à l’inverse, la mission d’un CLSC « est d’offrir en première ligne des services de santé et des services sociaux courants et, à la population du territoire qu’il dessert, des services de nature préventive ou curative, de réadaptation ou de réinsertion, ainsi que des activités de santé publique. Le centre intégré qui assume cette mission doit s’assurer que les personnes ayant besoin de tels services pour elles-mêmes ou pour leurs proches soient jointes, que leurs besoins soient évalués et que les services requis leur soient fournis à l’intérieur de ses installations ou dans le milieu de vie des personnes, c’est-à-dire à l’école, au travail ou à domicile. Au besoin, il s’assurera que ces personnes sont dirigées vers les centres, les organismes ou les personnes les plus aptes à leur venir en aide »10.

Il apparaît clairement qu’une approche centrée sur les services médicaux, sur laquelle sont basés les GMF, ne permet pas d’accroître la responsabilité populationnelle. Même si le gouvernement souhaitait que les GMF s’y soumettent, l’expérience passée illustre que l’État a peu de contrôle sur ce qui se fait en GMF, et ce, contrairement aux autres missions qui sont encadrées par la LSSSS. Plutôt que d’adapter la pratique médicale aux véritables besoins de la population, le ministre affaiblit la performance du réseau de la santé.

Pour une plus grande autonomie des professionnelles et une meilleure interdisciplinarité en soins dans la première ligne

Pour la FIQ et la FIQP, il apparaît peu probable que l’esprit d’interdisciplinarité vécu au sein d’un CLSC se reproduise spontanément en GMF, car la vocation de ce dernier est complètement différente de celle d’un CLSC. La structure hiérarchique du GMF place à son sommet les médecins et reproduit la vision que l’on retrouve au sein de la mission hospitalière des CISSS/CIUSSS. Dans une étude comparative entre les CLSC et les GMF11, la chercheuse Anne Plourde analyse les différences entre les deux lieux de prestation de soins de première ligne :

« Au cœur du modèle des CLSC se trouve ainsi le travail en équipes multidisciplinaires visant à favoriser la prise en charge la plus complète, continue et cohérente possible des personnes et des familles par une même équipe de soins (approche globale). La Commission Castonguay-Nepveu était d’ailleurs très claire sur le fait que le travail d’équipe devait dans les CLSC dépasser la simple pratique en groupe : le CLSC doit être une véritable équipe de la santé et non pas un groupe de professionnels qui ont leurs cabinets sous un même toit et partagent simplement certains services administratifs et utilisent les mêmes installations. La notion d’équipe implique un groupe de professionnels de la santé (médecins, infirmières, travailleurs sociaux, dentistes, pharmaciens, psychologues, et autres) interdépendants par leurs connaissances, leur expérience et les types de soins à donner à l’individu et à la population. L’organisation du travail en équipe suppose de plus une délégation des responsabilités et un partage des tâches, de sorte que chaque membre de l’équipe fournisse un rendement maximum et que le malade reçoive des soins intégrés et complets. »12

La chercheuse compare cette organisation des soins à celle vécue en GMF où c’est davantage « la pratique médicale de groupe que le travail en équipes multidisciplinaires qui est au cœur du modèle. L’objectif dans les GMF est avant tout une meilleure accessibilité aux soins médicaux de première ligne, la pratique en groupe permettant aux médecins de se partager le suivi des patient-e-s inscrit-e-s et d’offrir des heures d’ouverture étendues ». 13

Toutefois, il est à noter que le modèle des GMF prône aussi l’intégration d’infirmières cliniciennes ou praticiennes spécialisées ainsi que le développement de contrats de service pour permettre aux GMF d’avoir accès aux ressources professionnelles des CLSC. Mais jusqu’à maintenant, cette interdisciplinarité ne s’est pas actualisée à une hauteur appréciable. Comme le note Anne Plourde, les directives de 2016 sur la gestion des GMF, précédemment citées dans cet avis, confortaient également cet état de fait, notant que « ces modalités formalisent au contraire des rapports d’autorité entre les médecins et les autres professionnel-le-s qui, dans les GMF, leur sont subordonné-e-s. En effet, les ressources transférées, y compris les ressources psychosociales, sont officiellement placées sous « l’autorité fonctionnelle » de l’équipe médicale du GMF, ce qui signifie que celle-ci est responsable de l’organisation du travail et des activités cliniques au quotidien »14.

De plus, dans les CLSC, en l’absence de médecins, les professionnelles en soins ont beaucoup d’autonomie, elles travaillent en interdisciplinarité et remplissent une mission unique en son genre, alliant action communautaire et services de santé. Combinant les compétences d’une diversité de professionnel-le-s comme des travailleur-euse-s sociaux- ales, des inhalothérapeutes, des nutritionnistes, des psychologues, des ergothérapeutes, par exemple, l’exemplarité de cette pratique interdisciplinaire est reconnue mondialement. De plus, comme nous l’avons déjà mentionné, l’universalité, l’accessibilité ainsi que l’approche populationnelle caractérisent la grande richesse des CLSC et en font des fleurons de notre système public de santé.

Un réel travail interdisciplinaire et l’autonomie des professionnelles en soins en première ligne sont devenus non plus seulement nécessaires, mais urgents! Pourtant le projet de loi n⁰ 11 fait complètement abstraction de cette réalité puisqu’il soutient une dispensation entière des soins de première ligne en GMF en leur confiant la pleine gestion de la prise de rendez-vous.

 

  1. LES PROFESSIONNELLES EN SOINS : UN APPORT CENTRAL À LA PREMIÈRE LIGNE

Les Fédérations estiment que si le gouvernement avait réellement voulu augmenter les services de première ligne offerts à la population, il aurait misé sur les compétences de tous les membres de l’équipe de soins. De fait, les services de première ligne ne sont pas uniquement médicaux. Les professionnelles en soins y participent et surtout, elles y participeraient bien davantage si les médecins et les directions des établissements de santé leur offraient les conditions adéquates pour le faire. Pour rehausser la contribution des professionnelles en soins en première ligne, une pleine autonomie dans l’exercice de leurs activités professionnelles et un véritable travail d’équipe interdisciplinaire sont essentiels.

Les médecins ne fournissent pas tous les services de première ligne

Les médecins omnipraticiens ne sont pas les seuls à offrir des soins et des services de première ligne, loin de là. Les professionnelles en soins en dispensent également, le service le plus connu étant probablement la ligne téléphonique Info-Santé 811.

De plus, l’inscription de la population auprès d’un médecin de famille ne reflète pas à elle seule l’accès aux services de première ligne. Le rapport de la vérificatrice générale du Québec déposé en 2020 rapporte que 71 % des visites à l’urgence en 2018-2019 avaient pour objet des problèmes peu ou non urgents (P4 et P5). Pourtant, 72 % des patient-e-s avaient alors un médecin de famille. Ce rapport en déduisait que l’inscription de patient-e-s à la charge de travail de médecins de famille ne garantit pas la disponibilité pour rencontrer ces médecins lorsque la situation le requiert. 15.

Le potentiel des professionnelles en soins en première ligne

La FIQ et la FIQP sont convaincues que les compétences des professionnelles en soins pourraient être davantage mises à contribution dans les services de première ligne destinés à la population québécoise. Déjà en 2009, le Commissaire à la santé et au bien- être recommandait d’« accroître l’interdisciplinarité en première ligne »16.

Martin Beaumont, ancien directeur général du CSSS du nord de Lanaudière et actuel président-directeur général du CHU de Québec-Université Laval, observait en 2015 que la majorité des besoins de santé en première ligne étaient « de nature primaire » et qu’ils pouvaient « être pris en charge par une équipe interdisciplinaire supportée par une infirmière d’expérience »17.

Une démarche de consultation approfondie menée en 2016 auprès de 6 000 citoyen-ne-s par le CSBE montrait que recevoir des services de santé de la part de professionnel-le-s non-médecins est socialement accepté :

« Alors que plusieurs de ces services (les services de santé et les services sociaux) doivent continuer d’être prodigués par les médecins de famille, de nombreux citoyens estiment que d’autres professionnels pourraient faciliter un accès rapide, permettre la résolution de problèmes divers et contribuer à la prise en charge interdisciplinaire »18.

Un sondage réalisé en 2020 pour le compte de l’Association des infirmières praticiennes du Québec19 (AIPSQ) réaffirmait cette acceptabilité sociale. Les résultats du sondage montraient que la population québécoise était ouverte et prête à recevoir des soins et des services de santé de la part d’infirmières praticiennes spécialisées en première ligne (IPSPL). Plus de 80 % des 1 001 répondant-e-s se disaient prêt-e-s à recevoir un diagnostic et un traitement par une infirmière praticienne spécialisée (IPS) pour un problème de santé.

Des modèles de soins permettant aux infirmières de prendre en charge des patient-e-s sans référence automatique d’un médecin ont montré de bons résultats. Le Centre de prévention clinique du CLSC de Verdun20, le projet Archimède et la Coopérative de solidarité SABSA, où des infirmières jouent un rôle central en collaboration avec d’autres professionnel-le-s de la santé, en sont des exemples21 22. La Coopérative de solidarité SABSA prend en charge un nombre significatif de patients considérés vulnérables et qui sont largement délaissés par les GMF23. Le Centre de prévention clinique du CLSC de Verdun est un projet pilote mis sur pied en 2009 où les patient-e-s orphelin-e-s pouvaient rencontrer une infirmière clinicienne pour un bilan de santé24. L’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal a évalué ce programme en 201225. Cette évaluation a montré une satisfaction des patient-e-s de même qu’une détection précoce de certains facteurs de risques et de problèmes de santé émergents.

La pratique des IPS permet d’améliorer les services de première ligne. Une étude menée aux États-Unis auprès d’IPS a montré cet apport. Les résultats de la prise en charge par les IPS des patient-e-s aux prises avec des maladies chroniques étaient équivalents à ceux obtenus par les médecins26. Ces résultats sont d’autant plus pertinents que le traitement des maladies chroniques fait partie des principaux défis pour le réseau de la santé et des services sociaux du Québec27 et que leur traitement précoce est à privilégier.

Bref, un consensus se dégage : l’autonomie des professionnelles en soins est une solution centrale aux problèmes d’accès aux soins de première ligne28.

L’élargissement du rôle des professionnelles en soins

Cela fait déjà longtemps que des interventions législatives ont élargi le rôle des professionnelles en soins. L’adoption en 2002 de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé (Loi 90) devait accroître le rôle des professionnelles en soins. Cette loi « (…) voulait marquer un tournant dans l’organisation des professions de la santé en favorisant le passage d’un modèle vertical de délégation des responsabilités par les médecins à un modèle horizontal de collaboration interprofessionnelle, pour arriver à un nouveau partage des activités entre les membres du corps médical et ceux des autres professions paramédicales »29.

 

En 2012, la loi modifiant le Code des professions dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, communément appelée Loi 21, élargissait également le rôle des professionnelles en soins. Cet élargissement visait à améliorer les soins et les services à la population québécoise et à assurer la protection du public.

En 2016, les infirmières ont obtenu le droit de prescrire dans les domaines de soins de plaie, de la santé publique et des problèmes de santé courants30, enrichissant ainsi leur pratique en première ligne. Depuis, le champ de prescription infirmier n’a pas évolué – à part pour les IPS – alors qu’un tel élargissement aurait pu rehausser l’apport des infirmières en soins de première ligne. Qui plus est, seule une faible proportion des 10 381 infirmières titulaires de ce droit a pu s’en prévaloir. Les Fédérations ont constaté que peu de directions d’établissement de santé du secteur public ont permis aux infirmières titulaires d’une habilitation de prescription à offrir ce service en première ligne.

En janvier 2021, le champ de pratique des IPS s’est élargi grâce à l’entrée en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur les infirmières et les infirmiers et d’autres dispositions afin de favoriser l’accès aux services de santé (Loi 6). Les commissaires des États généraux de la profession infirmière (2021) ont estimé que cela favoriserait l’accès aux soins d’un grand nombre de Québécoises et de Québécois.

Des ordonnances collectives sont aussi en vigueur et permettent aux infirmières d’exercer certaines activités pouvant entre autres être pratiquées en première ligne. Parmi ces activités figurent les suivantes : amorcer des mesures diagnostiques et thérapeutiques, effectuer des examens ou des tests diagnostiques, effectuer et ajuster les traitements médicaux ou encore administrer et ajuster des médicaments ou d’autres substances31. Normalement, une fois validées et approuvées par les instances reconnues (CMDP, DSI, médecins prescripteurs), les ordonnances collectives s’appliquent automatiquement et favorisent la pleine autonomie des infirmières. Certaines ordonnances collectives nationales développées dans les dernières années ont eu un effet bénéfique sur les soins aux patient-e-s.

Les freins à la pleine occupation du champ de pratique des professionnelles en soins

En dépit de ces avancées, les Fédérations constatent que les professionnelles en soins n’occupent pas pleinement leur champ de pratique et que leurs compétences sont sous-utilisées dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux. Plus spécifiquement, plusieurs études mettent en lumière que 20 ans après le premier élargissement, à peine la moitié des activités prévues en soins infirmiers sont actuellement réalisées32.

Plusieurs freins expliquent cette situation. Les Fédérations ont constaté un faible engagement des établissements de santé dans le déploiement des compétences infirmières. Les gestionnaires imposent la réalisation de trop nombreuses tâches administratives et statistiques au détriment de l’exercice professionnel. Les Fédérations ont aussi constaté une culture de gestion et des outils cliniques très différents selon les établissements, créant une pratique professionnelle à géométrie variable.

Les IPS sont aussi limitées dans l’exercice de leur plein champ de pratique. Le déploiement complet des rôles conférés aux IPS par la Loi 6 tarde encore, parce que les décideurs, coincés dans une culture centrée sur la pratique médicale, n’en font pas une priorité. Les Fédérations constatent aussi une confusion dans la compréhension et dans le déploiement du rôle des IPS, particulièrement en soins de première ligne, en comparaison avec celui d’autres membres de l’équipe de soins.

Pour une pleine occupation du champ de pratique des professionnelles en soins et un déploiement accru des activités des IPS

Les Fédérations sont d’avis qu’une facilitation de l’exercice des professionnelles en soins augmenterait l’offre de services de première ligne à la population québécoise. Il aurait été souhaitable d’intégrer des mesures facilitant cet exercice dans un projet de loi comme le projet de loi n⁰ 11, qui prétend justement viser une plus grande accessibilité à la première ligne.

À l’instar des commissaires des États généraux de la profession infirmière (2021)33, les Fédérations recommandent :

      • D’introduire ou d’accroître la présence d’IPS dans divers milieux de pratique et d’assurer le plein déploiement de leur champ d’exercice, comme prévu à la Loi modifiant la Loi sur les infirmières et les infirmiers et d’autres dispositions afin de favoriser l’accès aux services de santé (Loi 6);
      • De rendre effective l’application de l’article 36 de la Loi sur les infirmières et les infirmiers dans l’ensemble du réseau, quels que soient les milieux de soins, en établissant des cibles d’occupation du champ d’exercice pour chacune des activités réservées et en mesurant annuellement l’atteinte de ces cibles dans tous les établissements de santé;
      • De rendre obligatoire et uniforme l’application des ordonnances collectives existantes;
      • De rendre l’application du Règlement sur la prescription infirmière obligatoire dans tous les milieux de soins.

Les Fédérations souhaitent aussi l’élargissement de la portée de ce règlement et le développement des ordonnances collectives pour un éventail plus large de besoins cliniques.

CONCLUSION

Pour la FIQ et la FIQP, le projet de loi n⁰ 11 perpétue une tendance que dénoncent les Fédérations, soit celle de concentrer les soins de première ligne dans le secteur médical et privé que sont les GMF, ce qui ne permet pas d’actualiser et de rendre efficace le travail en interdisciplinarité. En plaçant dans les mains des GMF la gestion de la prise de rendez- vous et la gestion des disponibilités des médecins omnipraticiens, le projet de loi n⁰ 11 est loin d’être un pas dans la bonne direction. Il règle peut-être des éléments pratiques pour faciliter la prise de rendez-vous avec un médecin, mais il manque cruellement de perspectives plus larges pour améliorer l’accès aux soins de première ligne.

Il y a lieu de changer la façon dont le gouvernement envisage le problème de l’accès aux soins de première ligne. Au-delà de l’offre de service par les médecins omnipraticiens, le plein déploiement des activités des IPS ainsi que la pleine occupation du champ de pratique des professionnelles en soins amélioreraient l’accessibilité des services de première ligne pour la population. Pour y arriver, plutôt que de viser uniquement l’offre de services des médecins omnipraticiens, comme le fait le projet de loi n⁰ 11, ne serait-il pas plus pertinent que le MSSS intensifie ses efforts pour faciliter une contribution accrue de toutes les professionnelles en soins à travers le Québec ? Le MSSS ne devrait-il pas se concentrer à mettre en place sans délai des mesures structurantes leur permettant d’occuper pleinement leur champ de pratique ? Le MSSS doit intervenir pour proposer, accompagner et forcer les directions d’établissements à développer une nouvelle offre de services et de soins de santé de première ligne. Cette offre doit s’appuyer sur une organisation du travail et sur une pratique professionnelle véritablement en phase avec les lois professionnelles.

S’il n’est pas directement du ressort des membres de la commission de se pencher sur cette question dans le cadre de la présente consultation, la FIQ et la FIQP espèrent que le message aura une résonnance auprès des député-e-s qui en auront pris connaissance, de manière qu’à l’avenir les projets de loi prévoient des changements en profondeur qui améliorent l’accès aux soins de première ligne de qualité, bonifiant ainsi l’accès à tout le réseau public de santé.


1 COLLÈGE QUÉBÉCOIS DES MÉDECINS DE FAMILLE. Plaidoyer pour des soins de qualité, [En ligne], 11 novembre 2021, [https://www.cqmf.qc.ca/2021/11/11/plaidoyer-pour-des-soins-de-qualite/] (Consulté le 15 décembre 2021).

2 Pour un aperçu de ces décisions, consulter cet article d’Anne Plourde: [https://iris- recherche.qc.ca/blogue/sante/echec-des-clsc-ou-abandon-du-ministere-de-la-sante-et-des-services- sociaux/] (Consulté le 10 janvier 2022).

3 Anne PLOURDE. CLSC ou GMF? Comparaison des deux modèles et impacts du transfert des ressources, IRIS, [En ligne], Mai 2017, [https://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2021/03/Note_CLSC_02.pdf] (Consulté le 11 janvier 2022).

4 La Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ) était la Fédération qui représentait les infirmières en 2003.

5 FIIQ. Projets de loi 7, 8, 25, 30, 31, 34, 35. Pour l’avenir des services publics. Des projets de loi inutiles, incomplets dangereux, Montréal, 2005, 54 p.

6 PROTECTRICE DU CITOYEN. Rapport spécial du Protecteur du citoyen. La COVID-19 dans les CHSLD durant la première vague de la pandémie. Cibler les causes de la crise, agir, se souvenir, 23 novembre 2021, p.11 et p. 23.

7 Jessica NADEAU. « Québec atrophie les CLSC », Le Devoir, [En ligne], 3 mars 2016, [https://www.ledevoir.com/societe/sante/464502/quebec-atrophie-les-clsc] (Consulté le 11 janvier 2022).

8 Anne PLOURDE. Des CLSC aux GMF. IRIS, [En ligne], 3 mars 2016, [https://iris-recherche.qc.ca/blogue/sante/des-clsc- aux-gmf/] (Consulté le 10 janvier 2022).

9 Ibid.

10 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. Loi sur les services de santé et les services sociaux, article 80.

11 Anne PLOURDE. CLSC ou GMF? Comparaison des deux modèles et impact du transfert de ressources, IRIS. Mai 2017, p. 10-11.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Ibid.

15 VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC. Rapport du vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2020-2021. [En ligne], Octobre 2020, [https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/rapport- annuel/165/vgq_automne-2020_web.pdf] (Consulté le 19 janvier 2022).

16 COMMISSAIRE À LA SANTÉ ET AU BIEN-ÊTRE. Rapport d’appréciation de la performance du système de santé et de services sociaux 2009. Construire sur les bases d’une première ligne de soins renouvelée : recommandations, enjeux et implications. Québec, [En ligne], 2009, [https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/1871383?docref=Pb9lQDVNS3PI- QdbFngwiwhttp://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2009_PremiereLigne/csbe-Recommandations-t4-042009.pdf] (Consulté le 19 janvier 2022).

17 Amélie DAOUST-BOISVERT. « Un remède à la « bureaucratie » aiguë », Le Devoir, [En ligne], 17 janvier 2015, [https://www.ledevoir.com/societe/sante/429203/cliniques-de-proximite-sans-medecin-un-remede-a-la-bureaucratite- aigue] (Consulté le 19 janvier 2022).

18 COMMISSAIRE À LA SANTÉ ET AU BIEN-ÊTRE. Entendre la voix citoyenne pour améliorer l’offre de soins et de services. Rapport d’appréciation thématique de la performance du système de santé et de services sociaux 2016 – Un état des lieux, Document vulgarisé, [En ligne], 2016,

[https://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2016/PanierServices_Rapport/CSBE_Document_vulgarise.pdf] (Consulté le 19 janvier 2022).

19 Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec (AIPSQ) (2020). Les infirmières praticiennes spécialisées : une réputation et une crédibilité bien établies. AIPSQ.

20 Colin Côté-Paulette. « Verdun, un modèle d’accès aux soins de santé », Métro, [En ligne], 18 octobre 2016, [https://journalmetro.com/local/ids-verdun/1037799/verdun-un-modele-dacces-aux-soins-de- sante/#:~:text=Depuis%20cinq%20ans%2C%20le%20CLSC,un%20docteur%20par%20la%20suite/] (Consulté le 19 janvier 2022).

21 MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX. Projet-pilote Archimède, [En ligne], 2021, [https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Projet-pilote-Archime-de-avril-2017-FINALE.pdf] (Consulté le 19 janvier 2022). ;

Paule VERMOT-DESROCHES. « Cloutier-du Rivage, d’urgence à clinique de proximité : une mission chamboulée par la pandémie », Le Nouvelliste, [En ligne], 16 octobre 2020, [https://www.lenouvelliste.ca/2020/10/16/cloutier-du-rivage- durgence-a-clinique-de-proximite-une-mission-chamboulee-par-la-pandemie-85e79546270cf4aff3633b17cbfaa9ac] (Consulté le 19 janvier 2022). ;

COOPÉRATIVE DE SOLIDARITÉ SABSA. Historique, [En ligne], 2021, [https://www.sabsa.ca/historique/] (Consulté le 19 janvier 2022).

22 Le projet Archimède du GMF de la Clinique médicale Saint-Vallier de Québec et le Centre Cloutier du Rivage du CIUSSS de la Mauricie-Centre-du-Québec en sont d’autres exemples.

23 COOPÉRATIVE DE SOLIDARITÉ SABSA. [En ligne], 2021, [https://www.sabsa.ca] (Consulté le 19 janvier 2022).

24 Ce centre de prévention clinique offrait des services préventifs aux adultes de 18 à 60 ans en attente d’un médecin de famille et n’ayant aucun diagnostic médical nécessitant un suivi particulier.

25 AGENCE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX DE MONTRÉAL. Centre de prévention clinique. Une initiative du Centre de santé et de services sociaux du Sud-Ouest-Verdun. Rapport d’évaluation d’implantation, [En ligne], 2012, [https://santemontreal.qc.ca/fileadmin/user_upload/Uploads/tx_asssmpublications/pdf/publications/978-2-89673-224- 1.pdf] (Consulté le 19 janvier 2022).

26 Mollie E ALESHIRE, Kathy WHEELER et Suzanne S PREVOST. « The future of nurse practitioner practice: A world of opportunity », Nursing Clinics, Volume 47, Numéro 2, 2012, p.181-191.

27 INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE DU QUÉBEC. La prévalence de la multimorbidité au Québec : portrait pour l’année 2016-2017, [En ligne], 2019, [https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2577_prevalence_multimorbidite_quebec_2016_2017.pdf] (Consulté le 19 janvier 2022).

28Émilie PARENT-BOUCHARD. « Une clinique sans médecin en Ontario dirigée par des infirmières de

Rouyn-Noranda », Radio-Canada, [En ligne], 25 février 2015, [https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/708662/clinique-sans- medecin-ontario-virginiatown-infirmieres-rouyn-noranda] (Consulté le 19 janvier 2022).

29 Raymond HUDON, Rachel MATHIEU et Élisabeth MARTIN. « Pouvoir médical et interventions législatives au Québec, 2001-2008 », Recherches sociologiques, Volume 50, Numéro 2, mai-août 2009, p. 255-281. [En ligne]

2009https://www.erudit.org/fr/revues/rs/2009-v50-n2-rs3406/037957ar/ (Consulté le 19 janvier 2022).

30 Règlement sur certaines activités professionnelles qui peuvent être exercées par une infirmière et un infirmier, RLRQ,

c. M -9, r. 12.001. Certaines infirmières détentrices d’un DEC ont aussi pu se prévaloir du droit de prescrire moyennant certaines exigences.

31 ORDRE DES INFIRMIÈRES ET INFIRMIERS DU QUÉBEC. Pratique professionnelle. Ordonnances collectives. [En ligne], 2021, [https://www.oiiq.org/pratique-professionnelle/encadrement-de-la-pratique/outils-cliniques/ordonnances-

collectives] (Consulté le 19 janvier 2022)

32 Danielle D’AMOUR, Carl-Ardy DUBOIS, Johanne DÉRY, Sean CLARKE, Eric TCHOUAKET, Régis BLAIS et Michèle RIVARD. « Measuring actual scope of nursing practice: A new tool for nurse leaders », Journal of Nursing Administration, Volume 42, Numéro 5, 2012, p. 248-255.

Johanne DÉRY, Sean P CLARKE, Danielle D’AMOUR et Régis BLAIS. « Education and role title as predictors of enacted (actual) scope of practice in generalist nurses in a pediatric academic health sciences center », Journal of Nursing Administration, Volume 46, Numéro 5, 2016, p. 265-270.

Johanne DÉRY, Danielle DʼAMOUR, Régis BLAIS et Sean P CLARKE. « Influences on and outcomes of enacted scope of nursing practice: A new model », Advances in Nursing Science, Volume 38, Numéro 2, 2015, p. 136-143.

33 Guylaine BOUCHER. Rapport des commissaires sur les états généraux de la profession infirmière. Reconnaître et transformer la pratique infirmière au Québec – un changement porteur d’avenir, 2021, p. 52.

 

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