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Personnes immigrées et logement : le grand défi

LE DÉFI DE L’IMMIGRATION AU QUÉBEC : DIGNITÉ, SOLIDARITÉ ET RÉSISTANCE - État des lieux - NCS no 27, Hiver 2022

S’installer dans un logement décent et abordable dans un quartier accueillant et sécuritaire constitue une étape primordiale de l’établissement des nouveaux arrivants et arrivantes au pays. Plus qu’un simple toit, le premier logement permanent permet d’organiser la vie quotidienne et d’accéder aux services d’insertion linguistique et économique. Souvent, ce premier logement répond aux exigences de base, sans plus, à cause du contexte migratoire, des ressources financières très restreintes des personnes immigrées ou de leur faible connaissance du marché. Ces personnes aspirent cependant à améliorer leur qualité de vie à moyen terme, d’où la deuxième étape qui consiste idéalement à passer de la situation de locataire à celle de propriétaire; cela revêt une importance autant symbolique que matérielle et représente un gage de réussite de l’insertion dans la société nord-américaine.

À Montréal, les immigrantes et les immigrants des années 1960 et 1970, issus principalement des pays d’Europe du Sud, accédaient à la propriété en plus grande proportion que les autres ménages, parce qu’ils cumulaient les revenus de plusieurs membres de la famille en vue de l’achat et de la remise en état d’un immeuble de type « plex » alors disponible à très bon marché dans les quartiers centraux. Or, de nos jours, les ménages qui immigrent au Québec dépendent plus souvent et plus longtemps du marché locatif. Dans le Grand Montréal, les immigré·e·s arrivés il y a 15-20 ans affichent un taux de propriété plus faible (52 %) que les non-immigré·e·s (59 %)[1]. Cela s’expliquerait par la plus grande précarité économique des cohortes récentes d’immigré·e·s ainsi que par le resserrement du marché locatif abordable qui frappe presque tous les arrondissements de la ville. Ainsi l’accès au logement constitue-t-il un enjeu de plus en plus important pour les personnes immigrées, surtout celles arrivées depuis moins de 10 ans[2].

Abordabilité du logement : la population immigrante durement touchée

Le logement social ne rejoint qu’une petite proportion des ménages québécois. La capacité de se loger convenablement sans se priver d’autres nécessités de la vie dépend de l’accessibilité du logement sur le marché privé et se mesure au pourcentage du prix du loyer par rapport au revenu. Or, les personnes immigrées, surtout celles établies depuis moins de 10 ans, sont plus susceptibles que la population en général de vivre une grande précarité financière. Un résident du Québec sur neuf (11,1 %) touche généralement un revenu en deçà du seuil de faible revenu après impôts. Or cette proportion s’élève à un sur sept (14,3 %) chez les personnes qui se sont établies au Canada entre 2001 et 2010 et atteint 22,6 % chez celles arrivées il y a moins de cinq ans (chiffres de 2016). La vaste majorité des immigrantes et immigrants au Québec relèvent, en langage administratif, de la catégorie économique. Si, pour bon nombre de ceux-ci, l’insertion économique va bon train, plusieurs se trouvent au rang des travailleurs pauvres en raison de la non-reconnaissance de leurs titres de compétences et leur expérience de travail à l’étranger. Comme on peut s’y attendre, le faible revenu est plus fréquent chez les personnes admises comme réfugiées et moins fréquent chez celles qui relèvent de la catégorie de réunification familiale car ces dernières peuvent compter sur le soutien de leurs proches[3].

La mesure des besoins en logement la plus souvent déployée à des fins de politiques publiques est l’indice des « besoins impérieux en matière de logement ». Cet indice tient compte de l’accessibilité financière (le coût du logement ne doit pas dépasser 30 % du revenu), de la taille du logement (au regard de la composition du ménage) ainsi que de la qualité du logement (besoin de réparations majeures).

Parmi les locataires du Grand Montréal, plus d’un ménage sur cinq était en situation de « besoins impérieux » en 2016. Ce taux s’élevait à 26,4 % chez les ménages dont le soutien avait immigré au Canada moins de cinq ans plus tôt. Or, à Montréal, ce taux varie beaucoup selon la catégorie d’admission au pays; il s’élève à 35 % chez les ménages admis en tant que réfugiés et à 45 % chez les réfugiés pris en charge par le gouvernement ou par un groupe de parrainage privé[4].

L’entassement : un réel défi

À Montréal, comme dans les autres grandes villes, l’abordabilité est le principal facteur qui contribue aux besoins impérieux de logement des personnes, immigrantes et non immigrantes. Toutefois, les immigrants récents sont un peu plus susceptibles que les Montréalais de vivre dans un logement qui nécessite des réparations majeures. Une enquête de 2021 confirme l’expérience de terrain des organismes communautaires œuvrant dans les quartiers d’accueil des nouveaux arrivants : le logement des néo-Montréalais est plus souvent insalubre[5].

De plus, l’entassement dû à l’exiguïté du logement par rapport à la taille et à la composition du ménage est une source plus importante de besoins impérieux chez les immigrants récents et particulièrement chez les personnes récemment réfugiées. Ainsi, le groupe des Syriens admis en 2015-2016 comprend un taux important – et inattendu – de familles nombreuses et multigénérationnelles. Selon les données canadiennes de 2016, 31 % des ménages de réfugiés récents comportent six membres et plus, comparativement à 16 % pour les immigrants récents admis selon les programmes d’immigration économique ou de réunification familiale. La pénurie de logements abordables de taille convenable jumelée à la faiblesse de la prestation mensuelle octroyée aux familles réfugiées pose un défi herculéen aux organismes communautaires et aux groupes de parrainage chargés de leur trouver un premier logement; ces familles ont d’ailleurs tendance à y demeurer plusieurs années. Les réfugié·e·s (demandeurs d’asile ou réfugiés rétablis) arrivés seuls doivent composer avec des contraintes financières encore plus importantes parce qu’ils ne sont pas admissibles à l’allocation pour enfants. Cette situation mène très souvent au partage d’un petit logement avec d’autres personnes seules. Si cette situation peut apporter un soutien social, elle peut aussi créer un sentiment d’insécurité[6].

Les personnes immigrantes vivent aussi plus souvent dans des familles multigénérationnelles : c’est le cas, en 2016, de 6,6 % des immigrants et de presque 9 % des immigrants arrivés entre 1980 et 2000, comparativement à 3,3 % des Montréalais non immigrants. Elles vivent également plus souvent dans des familles nucléaires auxquelles s’ajoutent d’autres personnes apparentées ou non : en 2016, 6,7 % des immigrants récents et 5,5 % des immigrants sont dans cette situation contre 3,7 % des Montréalais non immigrants. Ce sont là des expressions de solidarité familiale, culturelle et économique, comme on l’a observé dans des cohortes antérieures d’immigrants des pays méditerranéens. Or, en raison des plus grandes difficultés d’insertion économique et de la flambée des prix immobiliers, ces familles sont plus à risque de vivre une situation d’entassement[7].

L’impact de la pandémie

Enfin, la pandémie de la COVID-19 a mis en évidence l’importance des conditions d’habitation sur la santé des résidents et résidentes. Le risque de transmission au sein du ménage s’accroît lorsque la taille du logement est insuffisante pour permettre l’isolement d’une personne atteinte du virus. L’entassement dans les logements s’est ainsi avéré un facteur de risque additionnel, surtout dans le cas des ménages dont des membres travaillent dans les secteurs des services essentiels, situation fréquente chez les personnes immigrantes et réfugiées. Et si le ménage est multigénérationnel, le risque est encore plus grand pour les aîné·e·s qui y vivent. En ce qui concerne la santé mentale, le stress associé aux cycles de confinement prolongés et répétés serait aggravé chez les personnes et les familles vivant dans des logements exigus, sans espaces extérieurs privés où se détendre et jouer. Ainsi, les inégalités relatives à la qualité de l’habitat s’associent aux inégalités sociospatiales observées lors de la pandémie qui, à Montréal comme dans d’autres grandes villes, a frappé plus durement les quartiers à forte densité d’immigrantes et immigrants récents ainsi que de minorités racisées[8].

Des obstacles particuliers, des barrières discriminatoires

Qu’il s’agisse de la recherche du premier logement ou de celle d’un logement plus convenable, de nombreuses études scientifiques, dont des enquêtes menées à Montréal, montrent que les immigrantes et immigrants récents font très souvent face à des obstacles qui ne relèvent pas de leur capacité financière ou de la pénurie de logements abordables convenant à la taille de leur famille. L’absence de références ou de cote de crédit émises au Canada est une barrière fréquente. Alors que la Société canadienne d’hypothèques et de logement a instauré un programme d’aide aux nouveaux arrivants sans antécédents de crédit qui veulent devenir propriétaires, les locataires n’ont droit à aucun programme de ce type. Souvent, les propriétaires exigent un dépôt élevé ou un garant, ce qui pose un défi majeur aux personnes sans parents ou amis déjà établis au pays. De surcroît, un nombre préoccupant de nouveaux arrivants vivent des problèmes de logement en raison de la discrimination fondée sur le statut, notamment les demandeurs d’asile, ou sur l’origine ethnique. De telles pratiques, illégales selon la Charte des droits et libertés de la personne, ont pour effet de restreindre le choix d’un logement et d’accroître le risque de se trouver dans un immeuble mal entretenu ou dans un logement insalubre[9].

Les organisations communautaires à la rescousse

Au Québec, un important réseau d’organismes communautaires de recherche de logements pour les nouveaux arrivants tente de pallier les obstacles d’accès à un logement décent et abordable. L’État et des organismes caritatifs, religieux et autres financent ces groupes communautaires et de nombreux bénévoles y œuvrent. Ces groupes collaborent avec des propriétaires plus accueillants, tiennent des inventaires de logements disponibles, expliquent aux immigrants le fonctionnement de notre système de logement, qui peut paraître opaque, et prodiguent des conseils aux personnes qui ont un problème de logement. Certains organismes offrent un soutien intensif aux réfugié·e·s pris en charge par le gouvernement afin d’assurer leur installation dans un premier logement décent, ce qui fait partie des obligations humanitaires de l’État. Malgré leur dévouement, les organismes communautaires n’arrivent pas à rejoindre toutes les personnes concernées. Ainsi, les immigrants économiques et les demandeurs d’asile recourent-ils plus souvent aux réseaux informels de leur groupe ethnoculturel pour recevoir de l’aide ou des conseils en matière de logement; or, l’information qui y circule tend à être moins fiable ou incomplète.

Que faire ?

En quoi pourraient alors consister des réponses progressistes aux enjeux et défis soulevés ? Esquissons, en conclusion, quelques éléments de politique qui tiennent compte des points de vue des intervenants clés de l’aide aux nouvelles et nouveaux arrivants consultés lors des recherches antérieures.

  • En matière de politiques d’habitation, il importe de prioriser, à tous les paliers de l’État, la remise en état des immeubles locatifs détériorés. Il s’agit notamment des immeubles modestes de trois ou quatre étages sans ascenseur construits dans les années 1950 à 1970. Les personnes immigrées et à revenus faibles et modestes sont de plus en plus concentrées dans le parc locatif situé dans les premières banlieues de l’après-guerre. Il faut privilégier le transfert de ces immeubles aux bailleurs sociaux ou à but non lucratif (OBNL) afin d’éviter les « rénovictions[10] » dans les quartiers où s’amorce la gentrification[11] ou la « studentification[12] ».
  • La planification des nouveaux besoins en logement, tant la réhabilitation des immeubles que la construction de maisons neuves, devrait tenir compte de la diversité croissante des modèles familiaux amenée par l’immigration : des familles de plusieurs enfants ou de plusieurs adultes, des familles multigénérationnelles.
  • L’octroi d’un logement social de type HLM (habitations à loyer modique) à certains nouveaux arrivants et arrivantes à statut très précaire – dont une partie des réfugié·e·s sélectionnés à l’étranger – constituerait la solution la plus durable en matière de logement abordable et convenable. Or, au-delà de l’insuffisance globale de logements subventionnés en fonction du revenu, le Québec impose une barrière supplémentaire aux immigrantes et immigrants récents en exigeant d’eux un an de résidence pour les inscrire sur la liste d’attente d’un HLM. Pourquoi ne pas diminuer ce délai, à l’instar de l’allocation pour enfants à laquelle les familles immigrantes sont admissibles trois mois après leur arrivée ?
  • Les vagues récentes d’arrivée de nombreux réfugié·e·s et demandeurs d’asile dans de courts laps de temps et dans un contexte de forte pénurie de logements abordables et convenables posent des défis majeurs aux organismes communautaires qui viennent à leur secours. Cela a fait ressortir le besoin de créer un parc de logements où les nouveaux arrivants pourraient vivre pendant environ deux ans. Gérées par des OBNL associés aux organismes communautaires d’aide à l’établissement des personnes réfugiées et immigrantes, ces résidences offriraient aussi des services sur place de façon à favoriser l’insertion sociale et économique des résidents et résidentes. Ce modèle a été bien rodé à Winnipeg[13].

Damaris Rose est professeure honoraire, Centre Urbanisation Culture Société, Institut national de la recherche scientifique.


  1. Un tel écart n’existe pas dans les autres métropoles de l’immigration canadienne, Toronto et Vancouver.
  2. Michael Haan, « Do I buy with a little help from my friends ? Homeownership-relevant group characteristics and homeownership disparities among canadian immigrant groups, 1971-2001 », Housing Studies, vol. 22, n° 6, 2007; Société canadienne d’hypothèques et de logement, Caractéristiques, ménages avec besoins impérieux de logement, Canada, PT, RMR, Ottawa, SCHL 2020, <www.cmhc-schl.gc.ca/fr/professionals/housing-markets-data-and-research/housing-data/data-tables/household-characteristics/characteristics-households-core-housing-need-canada-pt-cmas>.
  3. Xavier Leloup, Florence Desrochers et Damaris Rose, Les travailleurs pauvres dans la RMR de Montréal. Profil statistique et distribution spatiale, Montréal, INRS-Centre Urbanisation Culture Société et Centraide du Grand Montréal, 2016; Statistique Canada, Catégorie d’admission et type de demandeur (47), certaines caractéristiques du revenu (92), statut d’immigrant et période d’immigration (10A), âge (10B) et sexe (3) pour la population dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires et régions métropolitaines de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %). Tableau 98-400-X2016367, Ottawa, 2020, <www150.statcan.gc.ca/n1/fr/catalogue/98-400-X2016367>.
  4. SCHL, Caractéristiques, ménages avec besoins impérieux de logement, Canada, PT, RMR, op. cit.; Rachel Shan, Conditions de logement des nouveaux réfugiés au Canada, Ottawa, SCHL, 2019.
  5. Thomas Gulian, Monica Schlobach, Danic Ostiguy, Yanick Tadjalogue-Agoumfo et Monica Grigore-Dovlette, Baromètre Écho 2020 de la Ville de Montréal sur l’inclusion des personnes immigrantes, Montréal, Rapport de recherche de l’Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants, 2021.
  6. Shan, op. cit.; Damaris Rose et Alexandra Charette, « Accommodating government assisted Syrian refugee newcomers : the experiences of Resettlement Assistance Program providers », dans Leah Hamilton, Luisa Veronis et Margaret Walton-Roberts (dir.), A National Project. Syrian Refugee Resettlement in Canada, Montréal, McGill-Queens, 2020.
  7. Statistique Canada, Catégorie d’admission et type de demandeur (47), statut d’immigrant et période d’immigration (11B), âge (7A), sexe (3) et certaines caractéristiques démographiques, culturelles, de la population active et de la scolarité (825) pour la population dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires et régions métropolitaines de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %). Tableau 98-400-X2016203, Ottawa, 2018, <www150.statcan.gc.ca/n1/fr/catalogue/98-400-X2016203>.
  8. Janet Cleveland, Jill Hanley, Annie Jaimes et Tamar Wolofsky, Impacts de la crise de la COVID-19 sur les « communautés culturelles » montréalaises. Enquête sur les facteurs socioculturels et structurels affectant les groupes vulnérables, Montréal, Institut universitaire SHERPA, 2020 ; Organisation de coopération et de développement économiques, What is the impact of the COVID-19 pandemic on immigrants and their children ?, Paris, OCDE, 2020.
  9. Gulian et al., op. cit.; Damaris Rose et Alexandra Charette, « Housing experiences of users of settlement services for newcomers in Montréal : does immigration status matter ? », dans Kenise Murphy Kilbride (dir.), Immigrant Integration. Research Implications for Public Policy, Toronto, Canadian Scholars’ Press, 2014.
  10. NDLR. Le terme rénoviction fait référence au processus par lequel un propriétaire évince illégalement un locataire de son immeuble sous prétexte qu’il souhaite faire des rénovations.
  11. NDLR. Plusieurs auteurs et autrices préfèrent le terme anglais gentrification à celui d’embourgeoisement qui n’aurait pas tout à fait le même sens.
  12. NDLR. Le phénomène d’afflux d’étudiants dans les quartiers traditionnellement occupés par des familles et les transformations engendrées par l’arrivée de cette nouvelle population a été désigné sous le terme de « studentification » par Darren Smith en Angleterre (2002).
  13. Jill Hanley et al., S’installer : Comprendre les enjeux du parcours et de l’intégration des demandeurs d’asile au Québec. Rapport final de recherche soumis au FRQSC – Actions concertées, Montréal, Université McGill et SHERPA, 2021; Jill Bucklaschuk, They Can Live a Life Here. Current and Past Tenants’ Experiences with IRCOM’s Model of Housing and Wrap-Around Supports, Winnipeg, Centre canadien de politiques alternatives, 2019; Écobâtiment, Bâtiments résilients, logements sains et accueillants. Feuille de route, Montréal, 2021; Rose et Charette, 2020, op. cit.

 

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