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Patience, persévérance et courage, L’histoire de la grève des travailleuses et travailleurs du Vieux-Port de Montréal

La stratégie de la grève était basée sur les points suivants : patience, persévérance et courage. La patience nous permettait de ne pas perdre la face devant les gestionnaires en leur faisant savoir qu’on serait prêts à résister à toutes les barrières qu’ils mettaient devant nous, même si on devait piqueter l’hiver. La persévérance accentuait cette idée qu’on pouvait être constants dans l’exécution de nos actions, avec une résilience hors pair. Ce sont ces éléments qui ont fourni du carburant à notre courage, afin de se battre convenablement pour les demandes que nous avons mises de l’avant lors de notre grève :

  • Que le salaire minimum soit augmenté à 15 dollars de l’heure (15 $/h), puisque 40 % des travailleurs et travailleuses du Vieux-Port de Montréal (VP) et du Centre des sciences de Montréal (CSM) recevaient un salaire inférieur alors que l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) considère que 15 $/h est un salaire décent[2]. Le salaire minimum inscrit dans nos conventions collectives à ce moment était de 10,67 $/h, un taux inférieur au salaire minimum du Québec qui était de 10,75 $/h.
  • Que le taux d’indexation de nos salaires, conventionné à 1 % par année, soit supérieur à l’inflation qui était de 1,5 % à l’été 2016 au Canada.
  • Que tous les travailleurs et travailleuses obtiennent des congés de maladie. Les deux tiers de nos membres, soit tous ceux et celles qui n’étaient pas permanents, n’en avaient aucun. Ceci peut facilement compliquer les choses pour les personnes monoparentales.

Lors de la grève, le comité de stratégie de notre section locale, composé du comité de négociation et du comité exécutif, avait adopté l’approche suivante avec nos membres : être toujours à l’écoute, transparents et ouverts à toutes et tous dans nos interactions quotidiennes. Ceci était important pour moi, car je voulais créer un environnement basé sur l’entraide et le partage. Ceci a contribué à renforcer notre persévérance tout au long des presque six mois que nous avons passés dans les rues de Montréal. La force de notre équipe était sa capacité de rester unis et calmes dans l’adversité, sa capacité de toujours arriver à un consensus lors des prises de décisions difficiles et surtout, sa créativité. À notre sens, ceci nous a permis de toujours rester deux pas en avant ou de pouvoir nous adapter, au besoin, sans problème.

L’importance d’une bonne préparation

Le succès de notre mouvement a commencé avec une bonne préparation, même un an avant le début des négociations avec notre employeur. Nous avons tout d’abord repris le bilan des négociations de 2014, ce qui est devenu le point de référence afin de ne pas répéter les erreurs du passé. Ce document est devenu notre « plan de match ». Nous avons par la suite créé notre journal, Le Syndicaliste, utilisé pour informer et éduquer nos membres. Dans ce journal, nous avons inclus les recherches qui ont été effectuées à l’interne, par notre comité de recherche, qui faisait les comparaisons salariales entre les travailleurs du VP et du CSM et ceux d’autres milieux de travail comparables. De plus, nous avons ajouté l’étude effectuée par l’IRIS sur le salaire viable. Nous avions effectué un sondage auprès de nos membres afin d’avoir une idée claire de leurs priorités lors des négociations. Le résultat du sondage ainsi que d’autres éléments ont été présentés lors de plusieurs assemblées générales : les recherches effectuées concernant nos salaires en comparaison au marché, l’étude de L’IRIS, la présentation du bilan de 2014 et la stratégie, en partie, que nous allions adopter. Nous avions aussi commencé à sensibiliser les membres sur le mouvement qui se passait aux États-Unis pour augmenter le salaire minimum à 15 $ de l’heure. L’éducation et le partage d’information avec nos membres étaient à la base de notre préparation afin de créer quelque chose qui serait beaucoup plus qu’une simple négociation de contrat de travail. La base du mouvement était établie.

La grève

Les négociations qui ont débuté en janvier 2016 ne mènent à rien. Les gestionnaires du Vieux-Port ne font aucun effort pour négocier; ils ne bougent sur aucun point, en présentant trois fois la même offre. De notre côté, notre créativité nous avait permis de présenter plusieurs scénarios différents dans le but de nous rapprocher d’une entente. La dernière offre de l’employeur sur laquelle les membres allaient devoir voter est présentée aux travailleurs syndiqués du Vieux-Port le 23 mai 2016. Les leadeurs de la section locale demandent aussi un vote pour un mandat de grève. L’offre de l’employeur est rejetée à 76 %, tandis que le mandat de grève est adopté à 80 %. En ne voyant aucune ouverture à un changement de position de la part des gestionnaires, qui disaient vouloir reprendre les pourparlers à un moment ultérieur, soit plusieurs semaines plus tard, nous annonçons la grève pour le 27 mai 2016.

À 11 h 30 ce jour-là, les 300 travailleurs et travailleuses du Vieux-Port de Montréal et du Centre des sciences sortent de leurs lieux de travail et se dirigent vers la place Jacques-Cartier pour une conférence de presse. Nous étions touchés et excités de voir que tous nos allié-e-s étaient à nos côtés pour cette conférence de presse. Il y avait plein de journalistes venant de partout. L’équipe de Québec solidaire, le Centre des Travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) ainsi que tous leurs réseaux communautaires, Alternative Socialiste, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), le Conseil régional FTQ Montréal métropolitain, l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), la Ligue communiste et plusieurs syndicats étaient présents ! Ces alliances se sont renforcées et multipliées durant toute la durée de la grève.

Des embuches lors de ces cinq mois et demi, il y en a eu plusieurs. Nous avons fait du piquetage sur le site du Vieux-Port lors des trois premiers jours de la grève (vendredi, samedi, dimanche, 27-28-29 mai). Nous avons aussi réalisé des perturbations d’activités, le ralentissement et le contrôle de la circulation, du squattage à volonté et j’en passe. C’est lors de ces premiers jours que débutent nos confrontations nombreuses avec les briseurs de grève. Le lundi qui a suivi cette fin de semaine, nous avons reçu une injonction disant que nous n’étions plus autorisés à faire du piquetage sur le site du Vieux-Port. À partir de ce moment, le Vieux-Montréal et toute la ville de Montréal sont devenus notre champ de bataille, incluant aussi les nombreuses heures qu’on avait passées sur la rue de la Commune et aux intersections devant le Vieux-Port, le Centre des sciences ainsi que devant le 333 de la Commune, bureau administratif des gestionnaires de la Société du Vieux-Port.

Lors des premières semaines, nous étions souvent dans les rues en faisant beaucoup de bruit, un bruit très agressant avec nos gros klaxons, nos grosses trompettes, une panoplie de casseroles et de sifflets. Lors de nos marches, nos membres devaient même mettre des bouchons ! Cette tendance, après plusieurs semaines, ne pouvait pas continuer. Nous avons constaté qu’il est impossible d’être bruyants 24 heures sur 24, 6 jours sur 7. Il fallait aussi faire attention à nos voisins. Nous avions également réalisé qu’après quatre semaines, il fallait se préparer à une lutte qui prendrait la forme d’un marathon. L’arrivée de notre groupe de percussion (« Les Répercussionnistes ») et l’acquisition de deux haut-parleurs de 3000 watts chacun, placés sur un diable et alimentés par une batterie, ont constitué une présence imposante et ont changé la dynamique de nos marches et de nos lignes de piquetage. Nous avions de la musique qui ajoutait de l’ambiance partout où on allait, que ce soit devant nos gestionnaires à Montréal, à Toronto, à Ottawa, ou lors des rallyes impromptus. Avec un micro ajouté à cela, nous étions alors capables de sensibiliser le public de ce qu’on faisait et pourquoi on le faisait, le pouvoir des mots complétait le pouvoir de nos actions ! Cette créativité nous a permis d’être plus conciliants avec nos voisins, moins agressifs qu’avec nos trompettes, sifflets et klaxons assourdissants de bateau, en utilisation continue, et plus festifs avec notre musique et nos paroles, ce qui permettait d’expliquer par le fait même notre réalité.

À ce moment de la grève, des actions « agressives » ne servaient plus à rien, il fallait évoluer dans notre façon de prendre la rue. Nous avons décidé de développer notre stratégie mobilisatrice sur deux fronts : le front politique et la table de négociation. L’utilisation des médias est devenue un élément essentiel et le travail déjà établi avec nos allié-e-s s’est multiplié, ce qui nous a permis d’augmenter la qualité d’exécution de nos actions.

Actions directes

Nous avons effectué plusieurs actions directes dont voici quelques exemples :

  • marche pour le 15 $ de l’heure le 15 de chaque mois;
  • participation « forcée » à la fin du défilé de la Saint-Jean-Baptiste, où des invités comme le maire de Montréal Denis Coderre et le chef du Parti québécois Jean-François Lisée se sont joints à la partie de la marche où nous étions;
  • défilé lors de la fête du Canada le 1er juillet (rencontre avec de nombreux députés);
  • implication lors du Forum social mondial (sur l’équipe d’organisation de la marche);
  • participation active lors de la Journée de la Fierté où nous avons aussi marché dans le défilé et où nous avons interrompu le discours du premier ministre Justin Trudeau;
  • organisation de la marche pour une loi anti-briseurs de grève au fédéral;
  • occupation et camping urbain devant le 333 de la Commune et plus tard dans l’été devant le Quai de l’Horloge.
  • La Grande Marche du 15 octobre 2016 où nous avons fait partie du comité organisateur.

Nous avons organisé du piquetage et des manifestations le soir. Ce qui a aussi causé quelques moments « de forte intensité » avec les autorités policières, même si elles ont souvent collaboré avec nous et ont été empathiques à notre cause.

Nous avons aussi effectué plusieurs sit-in : au bureau de la haute gestion, à la Société immobilière du Canada à Toronto et à Ottawa, et ce, à maintes reprises, ainsi qu’au bureau des commanditaires du Vieux-Port et du Centre des sciences (Telus, Coca-cola, Hydro-Québec, Sleeman). Également, dans le bureau du ministre des Finances du Québec, Carlos Leitao, après qu’il ait fait son commentaire comme quoi « le salaire minimum établi par le gouvernement [10,75 $ de l’heure] était suffisant pour vivre ».

Nous avons fait du piquetage devant une conférence de presse au quartier général de la Société de transport de Montréal où étaient présents le maire Denis Coderre, les premiers ministres Philippe Couillard et Justin Trudeau ainsi que leurs ministres et conseillers. Ils ont tous dû passer devant nous, ils nous ont donc bien vus. Les libéraux ont envoyé leur attaché de presse pour venir nous parler et entendre ce qu’on avait à dire.

Actions politiques

Plusieurs de nos actions ont touché des personnalités politiques. Mentionnons :

  • une rencontre fortuite de M. Coderre dans le Quartier des spectacles, lors d’une de nos marches;
  • une conférence de presse avec Québec solidaire à l’Assemblée nationale avec Julien Daigneault d’Alternative Socialiste ainsi que nos allié-e-s des stationnements Indigo, pour présenter la pétition pour l’augmentation du salaire minimum;
  • une conférence de presse au Parlement à Ottawa avec le Nouveau Parti démocratique (NPD) sur la loi anti-briseurs de grève. Lors de la période de questions, le NPD a fait référence au conflit de travail du Vieux-Port, en nous citant comme exemple, afin de montrer l’impact qu’une loi anti-scabs pourrait avoir sur des travailleurs en grève;
  • l’accueil des député-e-s du Bloc québécois dans leur bureau. Le Bloc a aussi défendu en notre nom, à la Chambre des communes face au gouvernement libéral de Trudeau, notre position sur la loi anti-scabs, et demandé que les dirigeants, de Toronto, maintiennent ouverte cette institution « récréoéducative » qu’est le Centre des sciences.
  • l’appui du parti Projet Montréal;
  • le piquetage devant les bureaux de plusieurs député-e-s. Nous avons passé beaucoup de temps dans l’arrondissement de Justin Trudeau : plusieurs journées de piquetage devant son bureau à faire signer des pétitions, ainsi que la distribution de 15 000 dépliants pour sensibiliser les habitants de sa circonscription à notre cause, mais surtout à ses promesses non respectées concernant la classe moyenne. Nous avons aussi visité les ministres Marc Garneau (Westmount) et Mélanie Joly (Ahuntsic-Cartierville), et nous avons eu des entretiens avec les députés Anju Dillon (Dorval-Lachine-Lasalle), Nicolas Di Iorio (Saint-Léonard-Saint-Michel) et Marc Miller (Ville-Marie) qui nous ont reçus dans leur bureau.

Actions de soutien

Nous avons aussi passé beaucoup de temps à venir en aide aux autres causes militantes contre un système qui ne favorise pas les travailleurs et les travailleuses : les employé-e-s des postes (STTP-FTQ) (participation à leur marche), le Syndicat québécois des employées et employés de service (SQEES-298 FTQ), les employés des stationnements Indigo Parc Canada (TUAC-501 FTQ), les employées de l’Hôtel des Gouverneurs Place Dupuis (CSN) et de l’Hôtel Bonaventure (CSN), le Centre de travailleurs et travailleuses immigrants ainsi que la coalition « 15 $ maintenant ».

La pièce de résistance

Selon nous, l’employeur a reçu une claque dans la face quand il a appris que nous avions commencé à mettre sur pied un projet-école. Les éducateurs et les éducatrices du Centre des sciences de Montréal avaient commencé à préparer un projet où ils allaient offrir des programmes éducatifs dans les écoles mêmes. Nous avons contacté et visité plus de 100 écoles sur l’île de Montréal pour leur offrir ce projet. Nous avions déjà eu 40 confirmations avant même d’avoir commencé le projet. Nous étions sur le point de faire une conférence de presse le 27 septembre 2016, lorsque les gestionnaires nous ont soumis une offre qui incluait les conditions que nous avions demandées.

Conclusion : le retour au travail et ses résultats

Après cette grève, nous pouvons dire que notre syndicat est plus fort, alors que le nombre de délégué-e-s passe de 19 à 27, que l’implication des membres augmente dans les nombreux comités et qu’un comité des affaires extérieures est créé pour soutenir et contribuer aux différentes actions dans la région de Montréal.

Nous avons donc plus de membres impliqués et engagés, ce qui a permis d’établir une relève forte et durable. Une fierté règne dans notre section locale à cause du niveau d’exécution de notre travail durant la grève, une fierté des membres envers eux-mêmes.

Et le respect de nos gestionnaires envers nous a catégoriquement changé. Mais le combat continue sur deux fronts : avec notre comité paritaire et avec nos allié-e-s dans notre communauté.

Il est important de dire non à toute forme d’injustice. Être payé 5 $ de l’heure de moins en moyenne qu’une autre personne qui effectue le même travail était inacceptable pour les travailleuses et les travailleurs du Vieux-Port qui sont restés debout pour dire : « Non, c’est assez! ». Nous avons fait tout le nécessaire pour que le premier ministre tant au fédéral qu’au provincial, le maire de Montréal et nos gestionnaires comprennent que nous étions prêts à nous battre jusqu’au bout, afin d’obtenir ce qui est juste dans ce pays : un salaire qui paye les travailleurs et les travailleuses à leur juste valeur, leur permettant de vivre de façon décente et avec dignité.

Konrad Lamour[1]

Notes

  1. Président, de 2012 à 2017, du Syndicat des Employés-ées du Vieux-Port de Montréal, section locale 10333 AFPC. Il fut coordonnateur et organisateur lors de la grève de 2016.
  2. Stéphanie Marin, « L’IRIS recommande un salaire minimum de 15 $ de l’heure », La Presse, 27 avril 2016; Philippe Hurteau et Minh Nguy, Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2016 ? Note socioéconomique, IRIS, avril 2016, <http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/Salaire_viable_WEB_05.pdf>.

 


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