Les Montréalais qui espèrent que les élections du 3 novembre permettront à leur ville de se refaire une virginité suite aux nombreux scandales qui ont éclaboussé son administration, ces dernières années, risquent d’être amèrement déçus. La grande catharsis, qui les aurait libérés de leur sentiment d’impuissance citoyenne, ne se produira probablement pas.
D’abord, parce que le personnel politique ne se renouvellera pas de façon suffisante. En effet, plusieurs conseillers de la défunte Union Montréal, dont la plupart des poids lourds de l’administration Tremblay, seront de retour sur les banquettes du conseil municipal; cette fois-ci sous la houlette de Denis Coderre. Ce contingent de conseillers, qui naguère n’ont pas su voir les magouilles se tramant à l’hôtel de ville, seront même, à moins de surprises, les plus nombreux au sein de la formation qui détiendra le plus de sièges au conseil de Ville. Quelle triste perspective qu’un conseil municipal éclaté dirigé par un maire minoritaire sans autorité sur des conseillers qu’il faudra rassembler sur le plus petit commun dénominateur, comme l’a souligné un observateur. Cela viendra s’ajouter aux structures administratives dysfonctionnelles qui paralysent Montréal depuis la saga des fusions-défusions du début des années 2000.
Il était pourtant prévisible depuis le début que la campagne électorale se dirigerait vers un cul-de-sac semblable. Quand on veut donner un coup de balai assez vigoureux pour effectuer un vrai nettoyage électoral, il faut être équipé en conséquence. On ne peut avoir se contenter de partis qui sont des ersatz démocratiques. Il ne peut en être autrement lorsque trois des quatre principales formations en lice (l’Équipe Denis Coderre, la Coalition Montréal de Marcel Côté et le groupe du Vrai changement pour Montréal de Mélanie Joly) sont des organisations champignons improvisées. Ces assemblages hétéroclites appuient un chef autoproclamé. Ce dernier désigne des candidats pour former un semblant d’équipe dont la durée de vie est généralement éphémère se disloquant si le succès électoral n’est pas instantanément au rendez-vous.
Distinguer le vrai du toc
Le plateforme électorale de ces groupes est peu étoffée: le ramassis de quelques idées bien emballées grâce aux techniques éprouvées du marketing électoral. C’est à s’y méprendre, on croirait avoir affaire à un contenu authentique, bien réfléchi alors qu’il ne s’agit que du toc: quelques idées à la mode présentées dans un emballage accrocheur. Peu importe, on escompte bien que les électeurs, dont une bonne partie sont plus ou moins politisés, n’y verront que du feu. Et on n’a pas tort hélas!
C’est bien différent d’un parti comme Projet Montréal qui est inspiré par une vision urbaine cohérente et articulée. Un parti qui compte des membres, qui est doté de structures démocratiques prévoyant l’élection de ses dirigeants. Un parti dont le programme issu des associations d’arrondissement est adopté par un congrès et d’où sont extraits les éléments de la plateforme électorale. Un parti aussi où les candidats sont choisis lors d’assemblées d’investiture auxquelles tous les membres peuvent présenter leur candidature.
Malheureusement le format des débats publics tenus au cours de la campagne n’a pas permis de rendre justice à un tel genre de programme parce que les chefs en présence n’avaient que quelques minutes pour débiter quelques lignes de leur plateforme électorale. Ils ne pouvaient vraiment échanger. Il fallait être bien perspicace pour distinguer le vrai du toc. Ce qui prévaut alors dans de telles circonstances c’est l’image plus ou moins racoleuse que les chefs projettent dans les médias surtout à la télévision.
Un système électoral boiteux
Le système électoral aussi est boiteux et nécessite une réforme en profondeur. Mais étonnamment aucune des formations en lice, même Projet Montréal, ne l’a proposée. Motus et bouche cousue semble être le mot d’ordre qu’on s’est transmis d’un commun accord sur cet enjeu pourtant vital pour la démocratie montréalaise.
Ainsi, aux dernières élections, Gérald Tremblay et son parti Union Montréal ont obtenu une majorité absolue de sièges au conseil municipal avec seulement 36,6% des voix. Vision Montréal et surtout Projet Montréal ont été sous-représentés de façon importante à cause du scrutin majoritaire qui favorise le parti vainqueur au détriment des partis d’opposition. Le même phénomène se reproduira sans doute dimanche. Mais il est difficile de prévoir jusqu’à quel point à cause de la multiplicité des formations lice (cinq à l’échelle de la ville auxquels s’ajoutent sept autres dans six arrondissements).
Au chapitre la représentativité, les citoyens des anciennes villes de banlieue sont deux fois plus représentés au Conseil de Ville avec un élu pour 12 000 habitants que que ceux des arrondissements de l’ancienne ville qui comptent un élu pour 26 000 habitants. Il s’agit là d’un grave accroc au principe fondamental de l’égalité des votes qui se traduit dans l’axiome « un citoyen un vote » qui a été édicté par la Cour suprême comme une règle incontournable lorsqu’il s’agit de réviser la carte électorale. À Ottawa et à Québec, on respecte ce principe lors de révisions périodiques prévues dans la loi électorale. À Montréal cette question est plutôt laissée à la discrétion du parti au pouvoir à l’hôtel de ville. Pourtant une révision en profondeur s’imposait lors des fusions. Mais l’administration Tremblay ne l’a pas faite afin de ne pas mécontenter les villes de banlieue qui venaient d’arriver dans le giron montréalais. À souligner que les ministres des Affaires municipales qui se sont succédés ont approuvé cette façon de procéder.
Un fouillis qui décourage la participation
De plus, Montréal est doté d’un cadre électoral où une chatte ne pourrait retrouver ses petits. Ce fouillis provient du fait qu’on a modifié la façon de voter d’un arrondissement à l’autre. Il mêle les électeurs et les incite à rester chez eux. Il existe, en effet, quatre modèles différents de votation dépendant des arrondissements. Dimanche, les électeurs de deux arrondissements sur 19 seront appelés à voter jusqu’à cinq fois: pour élire le maire de la Ville, le maire de l’arrondissement, le conseiller du district qui siègera au conseil municipal et deux conseillers siégeant au conseil d’arrondissement. C’est le cas de Verdun et de La Salle. Dans neuf arrondissements, les électeurs voteront quatre fois: maire de la Ville, maire d’arrondissement, conseiller de district siégeant au conseil municipal mais ils éliront un seul conseiller d’arrondissement. Dans sept autres arrondissements, ils voteront trois fois soit pour le maire de la Ville, le maire de l’arrondissement et un conseiller de district siégeant au conseil municipal. Dans ce cas il existe une variante dans Outremont et l’Île-Bizard-Ste-Geneviève où le conseiller de district est remplacé par un conseiller d’arrondissement. Enfin, dans Ville-Marie ils ne voteront que deux fois (le maire de la Ville et le conseiller de district), le maire d’arrondissement étant ex-officio le maire de la Ville.
Il n’est donc pas surprenant que Montréal compte 103 élus, le plus grand nombre et de loin parmi toutes les villes canadiennes. En plus d’alourdir les structures de la Ville, cette boursouflure des institutions représentatives coûte très cher. Pourtant aucun accent n’a été placé sur cet enjeu pendant la campagne électorale, les candidats craignant sans doute de s’attirer des réactions négatives qui pourraient mettre leur élection en danger.
Enfin, un autre phénomène inquiétant est le faible taux de participation. En 2009, par exemple, le taux de participation n’a été que de 39,4% et seulement 36.6% des électeurs ont voté pour le maire Tremblay. C’est donc dire que ce dernier n’a eu besoin que de 14,4% des suffrages de l’ensemble du corps électoral montréalais pour être élu de façon majoritaire.