Dans la presse internationale, un fait important semble être passé inaperçu : l’un des premiers pays, après le Vatican et l’Allemagne, à avoir reconnu le nouveau gouvernement mis en place au Paraguay suite à un « coup » d’Etat parlementaire est le Canada. Via son ambassade à Buenos Aires active au Paraguay, le gouvernement canadien a réalisé depuis 2009 un intense lobbying en faveur de l’entreprise extractive et électro-intensive Rio Tinto Alcán qui souhaite s’installer dans ce pays sud-américain |1|.
Que représente Rio Tinto Alcán ?
L’entreprise Rio Tinto Alcán (RTA) est la deuxième plus grande raffinerie d’aluminium au niveau mondial. En outre, elle se consacre à l’extraction de différents minerais et est présente sur les cinq continents.
Les dénonciations contre RTA portent sur les faits relatés dans les lignes qui suivent.
Génocide et crimes contre l’humanité
En Papouasie Nouvelle Guinée, l’île de Bougainville, on l’accuse d’avoir provoqué en 1980 un soulèvement armé qui a entraîné le recours à des forces militaires et engendré des milliers de morts. Ensuite, après que les travailleurs ont commencé à saboter la mine en 1988, RTA fut accusée d’avoir conspiré pour imposer un blocus qui entraîna jusqu’en 1997 la mort de quelques 10 000 civils. L’affaire est actuellement devant la Cour des Etats-Unis d’Amérique en fonction d’une loi nord-américaine intitulée Alien Tort Statute, pour l’affaire « Sarei et al. V. Rio Tinto Plc et al », 9ème Cour d’appel, n° 02-56256 |2|.
Le journaliste paraguayen Guido Rodriguez Alcalá retrace un historique bref mais implacable de l’action de RTA dans le monde : appui au régime raciste de l’Afrique du Sud ; le gouvernement norvégien a mis RTA sur une liste noire pour avoir porté atteinte à l’environnement et aux droits de l’homme ; pour des raisons similaires, le mouvement « Fuera del Podio » (Hors du Podium) désire retirer RTA des sponsors des Jeux Olympiques. La liste continue |3|.
Les investissements au Paraguay : une énorme consommation d’énergie
Il est important de préciser que le Paraguay est producteur d’énergie hydroélectrique et qu’il partage des centrales binationales avec ses voisins, l’Argentine et le Brésil. Pourtant, les 4/5ème de cette énergie sont exportés et seul 1/5ème est consommé dans le pays. RTA souhaite consommer à bas prix une quantité équivalente (1/5ème). La question des investissements de RTA avait divisé le gouvernement paraguayen. Alors que le Président de la République s’opposait à un subventionnement du prix de l’énergie, le Ministre de l’Industrie et du Commerce, Francisco Rivas – confirmé dans son poste ministériel par le nouveau président Federico Franco – et l’ex-Vice-président Federico Franco avaient accepté les conditions imposées par RTA pour son implantation au Paraguay. Le Vice-ministre de l’énergie avait cependant affirmé que les subsides à l’énergie octroyés à RTA atteignaient 200 millions de dollars US par an, à revoir à la hausse |4|. D’autres ministres non libéraux partageaient cette opinion.
Position à la fois complaisante et critique du Gouvernement
Suite aux deux audiences publiques réalisées par le gouvernement, l’opinion publique semblait divisée |5|. Constituant un sujet très populaire et recueillant un appui majoritaire, les investissements de RTA ont petit à petit engendré des critiques provenant des secteurs les plus variés |6|. La division de l’opinion a atteint son apogée lorsque le Vice-président d’alors critiqua publiquement la Vice-ministre des Mines et de l’Energie, d’après le quotidien Ultima Hora du 30 mai dernier : « Alors, j’ai dit au Président de la République (Lugo) : pourquoi m’avez-vous envoyé au Canada et fait en sorte que nous étudions cela si, finalement, une Vice-ministre (Mercedes Canese) va s’y opposer. J’ai le droit de penser que ce que l’on cherche à faire est de continuer à favoriser l’économie brésilienne parce que je ne parviens pas à croire qu’il y ait des gens qui s’opposent à ce projet alors qu’on pourrait vendre l’énergie beaucoup plus chère que celle que nous cédons au Brésil, ce qui générerait de l’emploi, de l’impôt et des devises » |7|. Des articles similaires peuvent être consultés dans d’autres médias |8|.
L’affirmation de Franco est un faux dilemme car la vente de l’énergie paraguayenne d’Itaipu au Brésil engendre des devises pour le développement et les investissements. En outre, ce que propose RTA est de payer à des prix inférieurs – au départ 32 $US/MWh et à présent 42 $US/MWh – à ceux payés par le Brésil actuellement (52 $US/MWh) qui ne génèrent qu’un petit bénéfice (8,4 $US/MWh) mais couvrent en même temps les coûts de production (43,8 $US/MWh).
RTA fait pression sur le gouvernement pour entamer des négociations
Suite aux déclarations de Federico Franco, RTA manifeste son intérêt à entamer des négociations avec le gouvernement tout en exerçant des pressions pour accélérer l’installation de l’entreprise. Ainsi, le 13 juin, on publie dans les médias le récit de la visite des représentants de RTA au Chef de Cabinet de la Présidence de la République. Juan Pazos, représentant hispano-brésilien de RTA, affirme : « Nous sommes au Paraguay depuis trois ans et demi et nous considérons que le gouvernement dispose déjà de toutes les informations nécessaires ». Le prix de l’énergie est évidemment un thème central. Il précise dans le même article qu’« on ne peut pas discuter du prix de l’énergie sans discuter du reste. Cela fait partie d’un ensemble ». Et le quotidien d’ajouter : « sans vouloir préciser le montant que la multinationale considère comme idéal pour l’énergie paraguayenne. » |9|
Le coup d’Etat est en préparation
Deux jours plus tard, le vendredi 15 juin, survient la tragédie de Curuguaty. Une juge édicte un ordre d’expulsion à la demande du chef d’entreprise colorado Blas N. Riquelme pour préserver sa supposée propriété privée. L’opération est coordonnée par le Procureur et prend fin avec la mort de 18 paysans et policiers. Il y avait moins de 50 personnes sur place au moment du massacre, et la presse a indiqué par après qu’il s’agissait d’un terrain public usurpé par Blas N. Riquelme |10|.
La suite, c’est l’histoire. Le jour même, Fernando Lugo remplace au Ministère de l’Intérieur Carlos Filizzola du Frente Guazú (Front ample) par le colorado Rubén Candia Amarilla, ex-Procureur général de l’Etat, responsable de plus de 1000 accusations à l’encontre de militants pour les droits sociaux |11|, et lié à Camilo Soares |12|, ex-Secrétaire pour l’Urgence nationale, accusé de malversation |13| et membre de l’entourage de la première heure de Fernando Lugo. Le lundi 18 juin, le Front Guasú exprime son désaccord avec cette désignation de même que le Parti Libéral Radical Authentique |14| (parti de Federico Franco et Francisco Rivas). Semant la plus grande confusion, l’Association Nationale Républicaine elle-même (parti Colorado) se désolidarise de la nomination de son représentant |15|. Le jeudi 21 juin, la Chambre des Députés approuve l’ouverture d’un procès politique contre Fernando Lugo, qui doit avoir lieu le lendemain, le vendredi 22 juin. La Chambre des Sénateurs approuve cette décision.
Coup d’Etat parlementaire
Le journal chilien La Tercera reproduit la déclaration du Secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), le Général Insulza : « … reconnaissant que l’article 225 de la Constitution du Paraguay confère à la Chambre des Députés le pouvoir d’initier un jugement politique et au Sénat d’exercer la fonction d’un tribunal, ‘ la communauté internationale a exprimé des doutes quant au respect des normes définies aux articles 17 et 18 de la Constitution du Paraguay et dans les traités internationaux auxquels ce pays a souscrit, qui consacrent les principes universels du procès en bonne et due forme et du droit légitime de tout accusé à se défendre en utilisant tous les recours de procédure, et en bénéficiant pour se faire d’un délai suffisant entre le début du jugement et sa conclusion’… » |16|. En effet, lors du procès politique à l’encontre de Lugo, le Président du Paraguay n’a eu que 24 heures pour préparer sa défense et, à l’exception de photocopies et d’articles de presse, il n’y a pas eu de preuves tangibles pour valider les accusations.
Les multinationales, parmi lesquelles RTA, premières bénéficiaires du coup d’Etat
Les analystes politiques ont désigné à juste titre les grands oligopoles de la production agricole comme étant les premiers bénéficiaires du coup d’Etat contre Fernando Lugo. Suite au massacre de Curuguaty, Fernando Lugo a été soumis à un procès politique extrêmement sommaire qui met à nu une réalité qui ne peut être ignorée : 8 millions d’hectares de terres mal acquises n’ont pas été récupérées par le Ministère de la Justice et le Paraguay pâtit de la pire répartition des terres au sein de la région |17|. Malgré le fait que l’ordre d’expulsion ait été prononcé par une Juge et l’opération policière dirigée par un Procureur, la personne jugée était Fernando Lugo. Ils ont cependant oublié un acteur clé : RTA.
Discours de Federico Franco et Francisco Rivas confirmé
Dans son discours d’Asunción, Federico Franco a largement fait référence au thème énergétique : « Il [le nouveau gouvernement du Paraguay, NdT] développera aussi le secteur énergétique pour parvenir à utiliser l’énergie générée par les centrales hydroélectriques Itaipú et Yacyretá et « pour que personne ne doive se rendre à l’étranger pour chercher du travail ». |18|. Le Canada a d’emblée reconnu le gouvernement de Federico Franco tandis que Francisco Rivas, ministre de l’Industrie et du Commerce et lobbyiste de RTA, est confirmé dans son poste ministériel |19|.
Traduit de l’espagnol par Anne Deprez
Notes
|1| http://www.paraguaymipais.com.ar/ec…
|2| http://es.reuters.com/article/idUKN2116082720100921
|3| http://www.ultimahora.com/notas/537…
|6| http://paioliva.blogspot.com/2012/06/rechazo-la-inversion-de-rio-tinto-alcan.html
|10| http://ea.com.py/blas-n-riquelme-y-las-tierras-malhabidas-de-curuguaty/
|15| http://www.abc.com.py/nacionales/anr-se-desliga-de-nombramiento-de-candia-amarilla-415557.html
|17| http://www.portalguarani.com/detalles_museos_otras_obras.php?id=60&id_obras=1167&id_otras=174