Réunis à Paris à la fin du mois passé, les représentantEs des organisations membres du conseil international (CI) du Forum social mondial ont réfléchi sur l’avenir du FSM dans un nouveau contexte marqué par l’essor des mouvements populaires dans les pays arabes.
Agir dans l’épicentre de la crise
Depuis déjà plusieurs années au Maghreb et au Machrek, des mouvements populaires sont à l’œuvre pour élaborer de nouvelles stratégies. Constamment sous la menace des régimes que cela soit celui des dictatures corrompues ou des pseudo démocraties (les « démocratures » comme les avait justement nommé le regretté Abraham Serfati), ces mouvements subissent les assauts également de courants réactionnaires qui agissent sous le couvert de la religion. Comme nous l’ont rappelé nos camarades marocains, tunisiens, égyptiens, chaque situation est singulière, caractérisée par des configurations politiques, sociales, culturelles, spécifiques. Les contributions de Kamal Labhib, de Gustave Massiah et de Samir Amin, notamment, nous ont permis de mieux comprendre leur complexité et les défis que cela comporte pour les mouvements populaires dans une démarche de longue durée.
Une intervention est nécessaire
Entre-temps pour les organisations sociales du monde entier, la priorité est de résister aux diverses offensives impérialistes qui visent à (re)sécuriser cette partie du monde par rapport aux objectifs géopolitiques et géo-économiques des dominants. Le démembrement en cours de la Libye, qui s’ajoute à celui de la Palestine, de l’Irak, de l’Afghanistan, du Soudan et d’autres pays de l’« arc des crises » s’inscrit dans une stratégie de « gestion de crise » dont le but est d’empêcher tout réel changement. Pour les parties composantes du FSM, tout cela veut dire porter attention à cette situation et se solidariser, également confronter les classes dominantes dans les pays où ces mouvements sont localisés, et enfin appuyer le dur labeur de la construction des réseaux entrepris par le Forum Maghreb-Machrek et une myriade d’organisations dans la région depuis quelques années. En fonction de tout cela, il est permis d’espérer qu’un FSM à Tunis ou au Caire en 2013[1] aurait un effet réellement mobilisateur, un peu comme cela a été le cas pour les premiers FSM en Amérique latine.
Repenser le processus du Forum
On le sait depuis au moins trois ans, une discussion est en cours pour renforcer le processus du FSM. Tout au long de la décennie, le FSM a marqué les avancées du mouvement populaire, surtout en Amérique latine. Les « excroissances » du FSM en Asie, en Afrique et en Europe ont également eu plusieurs aspects positifs. Néanmoins, il est clair que la formule des grands rassemblements permettant au mouvement populaire de se « visualiser » doit être relancée. D’ailleurs, le dernier Forum de Dakar a démontré la vitalité d’un certain nombre d’innovations. On pense notamment à des espaces d’élaboration stratégique pour des mouvements et des réseaux qui vont au-delà des diagnostics de la crise et qui mettent en lumière des hypothèses stratégiques. De telles explorations requièrent beaucoup de préparation, via des recherches, des consultations, des dialogues croisés entre plusieurs mouvements. Le processus implique davantage que l’organisation d’une ou de conférences au moment du Forum, mais un labeur de longue durée. Les organisations et réseaux qui iront dans ce sens dans les prochaines années seront celles qui ajouteront de la valeur au FSM.
Retour sur le local
Par définition, l’importance du FSM a été justement de rendre visible une mondialisation des mouvements, via l’élaboration d’une plateforme de discussions et donc de problématiques communes. Aujourd’hui, si cet objectif demeure valable dans plusieurs parties du monde où le processus du FSM est encore embryonnaire, il est moins prioritaire pour plusieurs mouvements, notamment en Amérique latine et en Europe, encore qu’il faille distinguer les réelles différences qui séparent l’expérience dans les divers pays. Cependant, il se dégage une certaine tendance à vouloir enraciner le Forum sur des échelles locales, régionales, voire municipales, où la convergence des mouvements peut avoir un impact immédiat. Ces forums locaux ont également l’avantage de se focaliser sur un certain nombre de thématiques, qui correspondent aux priorités locales justement, ce qui facilite la tâche des mouvements qui veulent aller dans le sens de l’élaboration de stratégies.
Une réorganisation nécessaire
Le FSM n’a pas été conçu au départ comme une « conférence » ou un « évènement », mais comme un processus facilitant l’accumulation des expériences utiles aux mouvements populaires dans leur résistance au néolibéralisme et leur élaboration d’alternatives. Certes, l’importance d’organiser de grands rassemblements était évidente dans cette première période, mais il ne faut pas en faire un principe absolu. Il faut aussi considérer les intérêts divergents qui s’expriment à ce sujet dans le forum et qui impliquent des mouvements altermondialistes, des syndicats, des ONG, des réseaux féministes, paysans, écologistes, etc. Le principe de la pluralité et des dialogues croisés doit demeurer au premier plan. Également centrale est l’idée que ces dialogues croisés doivent « déboucher », c’est-à-dire permettre une meilleure articulation des pratiques à la lumière d’élaborations théoriques et ce, en s’intégrant aux cultures politiques diverses et aux stratégies distinctives mises de l’avant par les mouvements populaires.
Repenser les ressources
Lié à ce débat est celui des ressources. Le FSM est l’émanation des mouvements sociaux, et non un « projet » proposé à des fondations libérales, encore moins à des États peut-être « accueillants », mais dont les objectifs sont antinomiques avec les mouvements. Un FSM qui respire et qui dégage par exemple, doit intégrer la dimension écologique dans la lignée de la gigantesque bataille mondiale pour Pachamama, ce qui est contradictoire avec une dépendance financière par rapport à ceux qui préconisent le « développement » par les énergies fossiles. Une fois dit cela, il faut que les organisations sociales prennent en main l’organisation et le financement du Forum. C’est tout à fait possible, comme l’ont démontré nos camarades états-uniens avec l’organisation du Forum USA l’été dernier à Détroit. Dans ce sens, les propositions du comité sur les ressources du comité international ont permis d’identifier plusieurs pistes prometteuses pour autonomiser le FSM sur ce plan.
Le FSM des dix prochaines années
Il est très probable que le processus du FSM soit relancé et renforcé en fonction des pistes évoquées plus haut. D’une certaine manière, le leadership doit se renouveler et passer la main à une nouvelle « génération ». Les Brésiliens et d’autres mouvements latino-américains qui ont beaucoup donné savent intuitivement que ce « passage « est nécessaire même si leurs réseaux doivent continuer d’être actifs dans le Forum, sans peser du même poids et sans prendre le rôle central qu’il sont occupés ces dernières années. Cette transition doit se faire par étape et être en phase avec le développement des réseaux dans les diverses régions. Entre-temps, de nouvelles initiatives sont en train d’être développées un peu partout pour construire au sein des mouvements populaires de nouveaux « intellectuels collectifs », dans la tradition de Gramsci et de Bourdieu, des « intellectuels collectifs » enracinés dans les mouvements, capables de développer les savoirs inscrits dans ces mouvements, et de produire des élaborations stratégiques permettant aux mouvements de construire de véritables outils contre-hégémoniques.
[1] La décision finale d’organiser le prochain FSM dans cette région du monde a été reportée à la prochaine réunion du CI à Dhaka à l’occasion du Forum social de l’Asie en octobre prochain.