La dernière négociation du Syndicat des travailleurs d’Olymel Vallée-Jonction–CSN (STOVJ), en 2021, n’a pas été de tout repos. Conscient de la réalité à l’intérieur de l’usine où l’on abat environ 7000 porcs chaque jour dans des conditions difficiles et pénibles, le syndicat a d’abord consulté ses membres par le biais d’un sondage auquel ceux-ci ont répondu en grand nombre. S’appuyant sur ces résultats concrets, le comité de négociation a préparé un cahier de demandes cohérentes avec les préoccupations des salarié·e·s.
La négociation a donc débuté avec l’employeur, Olymel[1]. Les membres savaient très bien qu’elle serait difficile, qu’un conflit était vraisemblablement inévitable, mais que plusieurs facteurs, dont la rareté de la main-d’œuvre, jouaient en leur faveur. Les travailleuses et les travailleurs ont mené cette lutte unis – une grève de plus de quatre mois – et toutes et tous sont fiers de l’avoir menée debout, jusqu’au bout.
L’expérience de négociation de 2021 démontre clairement qu’avec un employeur comme Olymel, si le syndicat ne se prépare pas rigoureusement, que les membres ne se mobilisent pas et qu’il n’y a pas de liens de solidarité durables avec les autres syndicats présents chez Olymel, il est très difficile d’atteindre les objectifs de négociation initiaux.
En plus de la pression exercée par la pandémie, Olymel a de nouveau utilisé l’argument du bien-être animal sur la place publique afin de tenter de faire porter aux grévistes l’odieux d’une euthanasie éventuelle des porcs en attente d’abattage. Cette ligne de communication commune de la part des entreprises dans le secteur des abattoirs place la vie des animaux voués à l’abattage devant les conditions de travail pénibles vécues par les travailleurs dans ces usines.
Finalement, le syndicat aura réussi à faire passer publiquement deux messages :
- que l’approvisionnement des abattoirs d’Olymel n’est pas de leur responsabilité;
- que les travailleuses et les travailleurs qui abattent ces porcs méritent des conditions de travail justes et adéquates, et que la pénibilité physique et mentale de leur travail dans le froid et l’humidité exige un salaire à la hauteur des efforts demandés.
Un bref retour sur le passé
À chaque négociation, le même scénario se répète : l’employeur affiche à tous coups un mépris envers ses salarié·e·s en déposant des demandes de reculs totalement déraisonnables, ce qui mène presque toujours à un conflit.
Selon cette stratégie, en 2007, les salarié·e·s de Vallée-Jonction se sont fait imposer une baisse totale de près de 40 % de leurs revenus sous la menace de la fermeture totale de l’usine. Ainsi, les plus bas salarié·e·s de cet abattoir touchaient seulement 1,13 dollar l’heure de plus qu’en 2007 – une augmentation moyenne de 0,08 $ l’heure en 14 ans –, ce qui les a fortement appauvris. Il n’est donc pas surprenant que l’employeur connaisse un grave problème d’attraction et de rétention de sa main-d’œuvre : ainsi, depuis 2015, il a dû engager plus de 1800 personnes tandis que près de 1700 salarié·e·s ont quitté l’usine.
Alors que la négociation de 2007 avait laissé un goût très amer aux membres du syndicat, un scénario similaire s’est joué en 2015. Cette fois, le syndicat a tenté de récupérer les gains perdus huit ans plus tôt. Fidèle à ses habitudes, l’employeur a de nouveau eu recours à des tactiques pour faire fléchir les travailleurs : menaces de fermeture, mises à pied signifiées par huissier, etc.
En 2021, les menaces ne suffisent plus
Même si Olymel ne le dira jamais sur la place publique, la multinationale a été forcée en 2021 de reconnaître son grave problème de rareté de main-d’œuvre en concédant une amélioration considérable des conditions de travail à des travailleuses et des travailleurs qui auraient tout simplement quitté leur emploi dans le cas contraire.
Malgré une satisfaction claire exprimée par les membres syndicat, le retour au travail après le dernier conflit ne fut pas de tout repos pour l’employeur. En ce début du mois de décembre 2021, sur les 1050 salarié·e·s syndiqués de l’usine, environ 250 travailleuses et travailleurs ont définitivement quitté l’entreprise pour un autre employeur.
L’histoire de la lutte de 2021
La chronologie de la dernière négociation nourrira assurément les autres à venir, particulièrement dans le secteur porcin.
28 février 2021
L’assemblée générale du syndicat adopte les clauses à incidences non financières dites normatives proposées par le comité de négociation.
9 mars 2021
Journée de négociation où le comité de négociation syndical dépose les demandes sans incidences financières. Pour sa part, le dépôt de l’employeur ne tient que sur deux pages qui ne contiennent que de grands principes, sans plus.
1er avril 2021
Date symbolique pour la négociation car la convention collective est arrivée à échéance le 31 mars. À partir du 1er avril, le syndicat obtient le droit de grève et l’employeur le droit de lockout.
18 avril 2021
L’assemblée générale adopte les clauses à incidences financières.
19 avril 2021
Le syndicat dépose à la table de négociation les demandes à incidences financières. Le message à l’employeur est clair : les membres veulent et méritent un enrichissement pour toutes et tous.
23 avril 2021
Malgré l’engagement de l’employeur de répondre au dépôt syndical du 19 avril, celui-ci demande la conciliation et annule les dates de rencontre de négociation déjà convenues.
28 avril 2021
Le syndicat répond par le déclenchement de la grève générale illimitée.
5 mai 2021
Le syndicat dénonce Olymel qui diffuse des informations trompeuses sur la place publique et refuse de négocier lors des rencontres avec le syndicat.
18 mai 2021
L’employeur dépose un nouveau document qui contient une nouvelle série de reculs à la table de négociation.
24 mai 2021
Manifestation à Vallée-Jonction et visite à la résidence d’un dirigeant d’Olymel.
2 juin 2021
Manifestation dans les rues de Québec qui se termine devant l’Assemblée nationale, où les centrales syndicales tiennent une vigie contre le projet de loi 59 qui propose une réforme très problématique de la loi sur la santé-sécurité au travail. Par la suite, une autre manifestation a lieu à Saint-Anselme en solidarité avec les grévistes de l’abattoir de poulets d’Exceldor.
7 juillet 2021
Manifestation à Québec afin de faire pression sur le conciliateur pour qu’il convoque les parties pour négocier. Le syndicat n’accepte pas l’attitude de l’employeur de retarder indûment les négociations et demande au service de conciliation du Tribunal administratif du travail d’utiliser son influence pour convoquer les parties. Le syndicat sera entendu et les négociations reprennent les 12 et 13 juillet 2021.
15 juillet 2021
Les grévistes se rendent à Princeville pour manifester devant un autre abattoir d’Olymel et ainsi porter un message clair : fini le niaisage. Il est plus que temps que l’employeur entende ses salarié·e·s et retourne à la table de négociation.
3 août 2021
Toutes les tentatives de l’employeur de briser l’unité du syndicat sont un échec. Réunis en assemblée, les membres donnent un mandat fort au comité de négociation. Plus que jamais, elles et ils sont conscients qu’ils méritent mieux, qu’elles méritent plus.
9 août 2021
L’assemblée générale rejette la proposition d’Olymel d’horaires de dix heures sur quatre jours. Les membres indiquent au comité de négociation que les innovations de l’employeur pour trouver des solutions à la rareté de main-d’œuvre sont une « fausse bonne idée ». La solution passe par l’amélioration des conditions de travail et non par l’imposition d’un horaire de quatre jours pour le quart de travail de soir.
13 août 2021
Une première entente de principe est conclue.
17 août 2021
L’assemblée générale rejette cette entente de principe à 57 %. Le message est clair : les membres en veulent plus et l’employeur a la capacité de payer.
18 août 2021
Nomination d’un médiateur spécial, Jean Poirier.
24 août 2021
Olymel menace, de façon paradoxale, d’abolir 500 postes du quart de soir à la suite du rejet de la première entente de principe, alors que des milliers de porcs sont en attente d’abattage et qu’on est en situation de rareté de main-d’œuvre. Olymel donne un ultimatum jusqu’au dimanche 29 août à minuit pour que le syndicat revienne sur le rejet de l’entente du 13 août.
26 août 2021
Rencontre avec le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, qui invite les parties à accepter l’arbitrage. Sans surprise, Olymel accepte immédiatement devant le ministre. À la fin de la journée, le syndicat refuse, privilégiant la négociation à l’arbitrage, et demande un blitz de négociation qu’il obtiendra finalement.
29 août 2021
Les travailleuses et les travailleurs gagnent leur pari : après le blitz de négociation, une seconde entente de principe est conclue.
31 août 2021
En assemblée générale, le syndicat accepte à 78 % cette seconde entente de principe.
2 septembre 2021
Une nouvelle convention collective est signée. Elle améliore substantiellement les salaires et les conditions de travail, avec notamment la mise en place d’un régime de retraite simplifié et des augmentations de salaire de 26,4 % sur six ans, soit 4,4 % d’augmentation annuelle moyenne. Une augmentation de 10 % est prévue dès la première année. Également, la contribution de l’employeur aux assurances collectives est rehaussée de 50 % pour la couverture familiale.
Les porcs en attente d’abattage
Les chiffres suivants permettent de rectifier les informations sur les porcs en attente d’abattage, car les éleveurs de porcs ont alimenté les médias d’images de porcs entassés à la ferme, mais ils ont usé de différentes stratégies pour éviter l’euthanasie des animaux. Les chiffres démontrent que le nombre de porcs en attente d’abattage n’augmentait pas de façon démesurée pendant la grève. Rappelons qu’avant le conflit, environ 7000 porcs par jour étaient abattus à l’usine. Date Porcs en attente d’abattage
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Martin Maurice est président du Syndicat des travailleurs d’Olymel Vallée-Jonction–CSN
- Olymel est une entreprise d’origine québécoise, spécialisée dans la transformation de la viande. L’entreprise compte quelque 15 000 employé·e·s œuvrant dans 35 usines et centres de distribution en majorité au Québec. L’abattoir de Valley-Jonction est situé dans la municipalité régionale de comté de La Nouvelle-Beauce dans la région de Chaudière-Appalaches. ↑