S’il est une chose sur laquelle tout le monde s’entend c’est bien l’impact négatif qu’auront les mesures adoptées dans le cadre du projet de loi C-38, aussi appelé projet de loi omnibus, qui contenait plus de 400 pages, envers les prestataires d’assurance-emploi mais également envers l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Comment organiser la riposte ? Le Conseil national des chômeurs prône le rapatriement de l’assurance-emploi au Québec. Mais le PQ affirmait le 10 octobre dernier qu’il n’en est plus question dans les circonstances actuelles.
Le Mouvement autonome des sans-emplois, le MASSE déclare sur son site internet : « Ces changements entraîneront des conséquences dramatiques pour l’ensemble des travailleurs et attaqueront plus violemment les travailleurs saisonniers et précaires qui malheureusement sont contraints de recourir fréquemment à l’assurance-chômage. Ces changements constituent une attaque directe à la liberté de travail puisqu’ils forceront les prestataires à accepter n’importe quel emploi indépendamment de leurs intérêts ou qualifications et ce, à des salaires inférieurs à ce qu’ils sont en droit d’espérer.
Mais plus grave encore, ces mesures viendront appauvrir l’ensemble des travailleurs canadiens puisque plus on fragilise la protection contre le chômage, plus on oblige les gens à accepter n’importe quelles conditions de travail et n’importe quels salaires. Conséquemment, on crée une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de l’ensemble des travailleurs. » Le Masse a organisé depuis le début septembre une série de meetings à travers le Québec afin de dénoncer la loi et mobiliser pour créer un rapport de force. Ils fait front commun avec les centrales et groupes populaires dans l’organisation de la manifestation du 27 octobre à Thetford Mines afin de dénoncer le saccage du gouvernement Harper.
Le Conseil national des chômeurs quant à lui, a organisé une tournée pour dénoncer la loi mais dont l’enjeu porte principalement sur la question du rapatriement de l’assurance-emploi au Québec. Pauline Marois a d’ailleurs été invitée à l’assemblée générale annuelle du CNC l’an dernier afin de présenter cette position qui fait partie de son programme. Position qui avait été appuyée par Pierre Céré porte-parole de l’organisme, dans un discours qui reposait pour l’essentiel sur l’impasse de la lutte avec le reste du Canada sur cette question. Le rapatriement constituerait donc la seule solution logique et plausible, en quelque sorte un rempart contre l’offensive de Harper.
Mais la question n’est pas si simple. Le 10 octobre dernier un mois après son élection, le gouvernement du Parti Québécois, par la bouche du ministre délégué aux affaires intergouvernementales canadiennes et à la Gouvernance souverainiste, Alexandre Cloutier, affirmait qu’il n’est pas question pour l’heure de réclamer le rapatriement de l’assurance-emploi compte tenu de l’impossibilité pour son gouvernement minoritaire d’obtenir de l’Assemblée nationale une motion pour demander un amendement constitutionnel.
Pourtant durant la campagne électorale Pauline Marois avait réaffirmé de façon non équivoque la volonté du PQ : « J’espère que Stephen Harper montrera de l’ouverture, lui qui rêve de se débarrasser des programmes sociaux. Je lui propose de nous en remettre un, et s’il devait barrer la porte, les Québécois concluront que le Canada est une condition perdante pour le Québec ».(1)
Selon ses dires, elle pouvait alors compter sur l’appui d’une coalition formée de partis politiques, de syndicats, d’organismes communautaires et de défense des droits des travailleurs ainsi que de 70 municipalités ayant adopté une résolution en ce sens. Mais l’horizon du PQ est fait d’ajustements électoraux et parlementaires, la mobilisation étant un ingrédient dangereux difficile à encadrer. Dans ce contexte, bien sur les perspectives de gouvernance souverainiste incluant le rapatriement de l’assurance-emploi sont sans issue.
Mais fondamentalement, croire que Stephen Harper acceptera de délester le gouvernement fédéral du programme d’assurance-emploi parce qu’il veut se débarrasser des programmes sociaux, c’est ne pas comprendre ses véritables motifs. On ne parle pas ici d’économies pour le gouvernement fédéral, les employeurs et les salariéEs sont les seuls contributeurs au régime. Les modifications visent dans un premier temps à obliger les sans-emplois à accepter des conditions de travail et des salaires moindres et à limiter les possibilités d’appel de la part des prestataires. Cela aura pour effet direct d’encourager les entreprises à offrir des salaires plus bas et des conditions de travail moins avantageuses.
Mais cela comporte également un deuxième effet, cela mettra une pression à la baisse sur les travailleurs et travailleuses qui occupent déjà un emploi. D’une part parce que la dégradation des salaires et des conditions de travail auront un effet d’entraînement et tendront à se généraliser, et d’autre part parce que la perte d’un emploi sera plus lourde de conséquences. Le patronat et les services gouvernementaux auront alors un atout supplémentaire dans leur manche. Telle sont les véritables intentions du gouvernement Harper derrière ces réformes, mettre au pas le mouvement ouvrier et libérer le patronat de toute contrainte.
Il n’a aucun intérêt à laisser échapper à son contrôle ce pouvoir de contrainte et il est bien placé pour le préserver. Comme l’ont déjà mentionné George Campeau et Jacques Beaudoin dans leur article : « on ne peut s’empêcher de souligner la difficulté constitutionnelle d’un tel rapatriement. » Pour y arriver il faut s’attendre à une bataille rangée, ce à quoi le parti québécois ne semble de toute évidence pas prêt à adhérer.
La nécessité d’une riposte commune aux politiques rétrogrades du gouvernement Harper est une question incontournable. L’expérience des luttes syndicales au niveau fédéral a démontré que sans la solidarité des travailleurs et travailleurs du reste du Canada et du Québec nous n’aurions pas pu arracher les gains que nous avons obtenu. Telle est l’expérience du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses des Postes (STTP), même si certains ont proclamé que le fer de lance se situait au Québec, jamais nous n’aurions pu résister aux assauts répétés visant la privatisation du service postal sans la mobilisation de l’ensemble des syndiquéEs partout au Canada.
Par ailleurs un rapatriement hypothétique de l’assurance-emploi au Québec ne pourrait constituer à lui seul un rempart et une protection pour les travailleurs et travailleuses. On ne peut nier l’impact des législations fédérales sur celles du Québec, particulièrement lorsque les gouvernements partagent des objectifs similaires. Les reculs imposés au régime de pension fédéral ont été tout de suite ajustés à son pendant québécois le Régime des Rentes du Québec (RRQ) par le gouvernement du Québec. Le PLQ et la CAQ ont démontré que leur vision est la même que celle de Harper. Quant au PQ, son bilan tant économique que social a largement démontré qu’il est plus sensible aux pressions du patronat et des financiers. Les coupures de milliers d’emplois dans le secteur de la santé et de l’éducation en font foi. Dans ce contexte, si la question du rapatriement de l’assurance-emploi au Québec se pose, elle doit l’être dans le cadre du débat sur un Québec souverain, et du nécessaire contrôle des travailleurs et travailleurs sur l’emploi. Mais ce débat ne doit pas servir à un repli sur le Québec ni à remplacer la lutte essentielle la plus large et unitaire possible au Québec et avec le reste du Canada.
L’offensive généralisée au niveau mondial contre les travailleurs et travailleuses appelle à une riposte organisée. À l’heure des discussions pour une zone de libre-échange Canada-Europe, les pressions que nous imposera l’offensive néolibérale en Europe qui a pour conséquence un taux de chômage grandissant et des salaires à la baisse, ne peuvent être sous-estimées. Surtout à l’heure où cette politique bénéficie de l’appui du PQ, parti qui se prétend le défenseur de la souveraineté du Québec.
(1) Site web Radio-Canada 8 août 2012, Élections Québec 2012