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Octobre 1970 : 40 ans plus tard

L’historiographie retient habituellement d’octobre 1970 les évènements dramatiques autour de l’occupation militaire du Québec et des enlèvements organisés par le Front de libération du Québec (FLQ). Mais au-delà de cette confrontation peu banale, il y a un contexte qu’il importe de mieux comprendre. Plus encore, cette période qui commence au tournant des années 1960 et qui s’échelonne jusque dans les années 1970 est un moment dans un cycle de luttes dont l’impact marque profondément le mouvement populaire. Aujourd’hui, les luttes actuelles ont certes un autre «langage» et une autre identité. La période de 1970 peut apparaître comme totalement révolue, où rien de ce qui se fait aujourd’hui n’a un rapport quelconque avec les mouvements de l’époque. Mais globalement, nous pensons que cette vision est erronée. Le mouvement social contemporain n’est pas né sur une «page blanche». En fait aucun mouvement ne part «à zéro». Le passé forme comme des sédiments, des fondements sur lesquels s’édifie le présent. On comprend alors l’importance de revenir sur les acquis, mais aussi les limites, les contradictions, voire les erreurs des mouvements anti systémiques antérieurs. Or il faut le faire sans nostalgie ni cynisme, ce qui exige un effort. Ce «devoir d’histoire» est celui de ceux et celles qui veulent comprendre, mais aussi et surtout qui veulent reprendre ce qu’on disait à l’époque, «ce n’est qu’un début, continuons le combat» !


L’irruption des jeunes

Octobre 1970 est impensable sans le mettre en contexte dans un moment caractérisé par l’irruption d’un vaste mouvement contestataire parmi les jeunes. À partir des années 1960 et surtout en 1968 et 1969, des dizaines de milliers de jeunes scolarisés se mettent «en marche» dans une spirale de mouvements contestataires. La «révolte étudiante» se combine alors avec une volonté d’affronter un système de domination encore archaïque, autoritaire, répressif. La jeunesse radicale du Québec regarde bien sûr du côté de mai 68 en France et en Italie, mais aussi du côté des mouvements de libération nationale en Amérique latine (Chili) en Afrique (Algérie), en Asie (Vietnam). L’idée d’une grande révolution, d’un renversement de l’ordre existant, prend forme sous toutes sortes d’expressions spontanées et organisées, aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine culturel. C’est sur ce fonds que se produit la jonction avec un corpus assez flou mais chargée d’une utopie révolutionnaire influente et attirante.

Le réveil ouvrier et populaire

Assommées par des années de «démocrature» (pseudo démocratie) duplessiste, les masses populaires sont elles-aussi à l’époque dans un mouvement effervescent. Sous l’impulsion des catholiques de gauche, prennent forme ici et là des «mouvements de citoyens», de plus en plus enclins à l’affrontement dans toutes sortes de secteurs et dans toutes sortes de régions. Sur le plan syndical, une nouvelle génération de jeunes militants et militantes réussit à relancer la lutte, dans le secteur public notamment. Les structures d’encadrement et de répression mises en place par les structures syndicales de connivence avec l’État craquent de toutes parts. Les secteurs les plus déterminés du mouvement syndical constituent une alternative politique au niveau municipal, le FRAP.

Dislocation des dominants

Ces divers élans d’émancipation qui traversent alors la société québécoise disloquent, jusqu’à un certain point, les classes dominantes. Au clivage traditionnel entre la droite «dure» (l’Union nationale) et le Parti Libéral se superposent des affrontements d’orientation stratégique. L’idée qui apparaît, y compris au sein de l’Union nationale, est qu’il n’est plus possible de «garder le cap» dans le cadre d’un État réactionnaire, clérical et qu’il faut que ça «change». Tout au long de ces années 1960, cette recherche du «changement» fait en sorte que les dominants hésitent, tergiversent, ne savent plus par où aborder la nécessaire relance du capitalisme sous sa forme québécoise, essentiellement subordonnée. Voilà alors que surgit une autre contradiction.

Grande scission

Une partie des élites, surtout au sein d’une couche technocratique qui se développe dans les interstices de l’État, estime qu’il faut aller au-delà d’une réforme des institutions (la «révolution tranquille»), mais vers la constitution d’un État indépendant, une revendication qui trouve des échos grandissants au sein de la jeunesse et des secteurs populaires pour qui la domination de classe au sein du dispositif canadien s’exprime contre les aspirations démocratiques et nationales du peuple québécois. Au Québec, le parti bourgeois «moderne» qu’est le PLQ craque sous cette pression, d’où l’irruption d’un nouvel acteur, le Parti Québécois (PQ).

L’«aventure» de la guérilla

C’est dans ce contexte turbulent que se développe un projet de lutte armée sous le label du FLQ. Mouvance décentralisée plutôt que mouvement organisé, le FLQ et ses diverses «générations» ont alors une influence sur le mouvement social. L’idéologie au départ nationaliste du FLQ se radicalise pour adopter une posture anticapitaliste et anti-impérialiste et réussit à attirer une frange des jeunes étudiants et travailleurs activistes de l’époque pour qui la lutte pour le socialisme est imbriquée dans celle pour l’indépendance. À l’époque où la guérilla urbaine prend son envol en Amérique latine notamment, de jeunes révoltés pensent en effet légitime de prendre le chemin des armes puisque l’espace politique semble bouché, surtout après la cinglante défaite électorale du PQ en 1969. Tout au long des années 1960, le FLQ mène une activité militaire de portée limitée. Les attentats sont surtout symboliques contre les symboles de la domination sur le Québec (baraques de l’armée canadienne et édifices fédéraux notamment), et aussi en appui à des luttes populaires et syndicales. Pour des raisons diverses, les dominants, avec comme dispositif central l’État fédéral, font du FLQ un «grave danger» et des centaines de jeunes sont emprisonnés pour diverses activités «illégales». Mais au tournant de la décennie, les cellules dispersées du FLQ entreprennent de porter un «grand coup», tout en restant dans les confins de leur vision volontariste et substituiste.

Le «moment» d’octobre 1970

La suite, on la connaît : l’enlèvement du consul britannique puis du Ministre Laporte, l’imposition de la loi des mesures de guerre et les arrestations de centaines de personnes, la mort de Laporte, la capture subséquente des membres des cellules «Libération» et «Chénier», etc. Moment «culminant» si on peut dire du drame, il y a la lecture du Manifeste du FLQ à la télévision d’état. Le texte, visiblement, émeut une grande partie de la population pour la justesse du ton et le style poétique. Avec un accent libertaire, le FLQ encourage la population à s’auto-organiser. Il faut faire sa propre révolution dans les quartiers et les milieux de travail dit-il : «Si vous ne la faites pas eux-mêmes, d’autres usurpateurs technocrates remplaceront les fumeurs de cigares que nous connaissons aujourd’hui et tout sera à recommencer !» De plusieurs manières, octobre 1970 est le point d’arrivée, pour ne pas dire la fin de la guérilla. Devant le choc en effet, la frange militante prend conscience de l’impasse de la lutte armée et sort du cercle vicieux de l’ultra volontarisme.

Relance et essouflement du mouvement

Dès l’émotion passée en effet, le mouvement social reprend. La résistance étudiante se relance et fait une jonction remarquée avec le mouvement populaire, notamment via les «comités d’action politique». Les syndicalistes militants y compris ceux qui ont organisé le FRAP se lancent dans une réorganisation en profondeur du mouvement qui mène à des grèves dures qui culminent avec la puissante grève générale et l’occupation de certaines villes au printemps 1972. Sur le plan politique, ce radicalisme est capté par une nouvelle génération de mouvements d’extrême gauche qui mettent de l’avant l’idée d’un parti révolutionnaire organisé. Mais une importante partie des militants s’investit également dans la relance du PQ, ce qui débouche sur la spectaculaire victoire de 1976 où la perspective de l’indépendance revient au premier plan. Par la suite, jusqu’aux années 1980, le mouvement social reste ascendant. Après la défaite du référendum et le terrible affrontement entre le mouvement et le syndical et le gouvernement péquiste (1982), le désenchantement devient proéminent. Le nationalisme radical de même que les perspectives socialistes s’estompent dans les années 1980, une «décennie perdue» pour certains. Il faut attendre les années 1990 pour voir le mouvement social ré-émerger à travers les grandes mobilisations syndicales, féministes, altermondialistes, écologistes.

Questions pour aujourd’hui

Encore aujourd’hui, l’«héritage» d’octobre 1970 reste contesté. Le plus consensuel est le fait que la «lutte armée», du moins dans la forme que cela a pris sous le label du FLQ, n’est plus à l’ordre du jour. Mais cela ne clôt pas le débat. Diverses interprétations sont encore sur la table, notamment celle des dominants et de la réaction, comme quoi le gouvernement fédéral aurait «sauvé» le Canada du terrorisme séparatiste et du même coup la «démocratie». Pour des raisons qui nous semblent évidentes, nous ne portons pas beaucoup d’attention à cette « thèse ».

Plus importante est autre interprétation, notamment mise de l’avant par Pierre Vallières, et qui est celle d’un vaste «complot», qui aurait été fomenté pour utiliser le FLQ et discréditer le PQ. Ces théories du complot sont présentement habilement remises à l’agenda par divers écrits et reportages, dont celui de l’écrivain Louis Hamelin qui raconte, sous une forme fictive, la manipulation qu’ont orchestrées les forces dites de l’ordre, avec en tête l’État fédéral. (Voir son entrevue dans l’Actualité du mois de septembre). Certes, on le savait depuis longtemps, la police a bien joué ses cartes en infiltrant et en contrôlant à distance certaines cellules du FLQ : c’était de «bonne guerre» pour discréditer non seulement le FLQ mais le mouvement social radical de l’époque, et même, du point de vue d’Ottawa, le PQ. Pour autant, faire passer les felquistes comme une bande de guignols au service des flics est gravement abusif. La stratégie du FLQ avait été établie par le FLQ lui-même, avec tout ce que cela comportait d’erreurs et d’appréciations schématiques (comme l’a déjà raconté Paul Rose). Ce sont ces errements qui ont permis l’opération de manipulation policière, et non l’inverse. Aussi Paul Rose et ses camarades persistent à dire que finalement, Octobre aura été une réaction d’«autodéfense» d’une société québécoise agressée et violentée par l’État fédéral.

Pour nous cependant, Octobre est plus qu’une série d’« évènements ». Cela s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus vaste, que nous avons évoqué plus haut. Finalement, Octobre aura été en même temps un point d’aboutissement (la fin de l’aventure felquiste), et aussi un nouveau départ (essor du mouvement social des années 1970). En effectuant une rupture avec le projet du FLQ, ce mouvement social a bousculé la société en mettant en mouvement de vastes masses qui ont investi l’espace public, qui ont radicalisé le mouvement syndical, qui ont mis de l’avant les perspectives féministes, et qui ont secoué, de façon durable, l’édifice des dominants.

Sur ces interrogations, les NCS entendent poursuivre la discussion. Prochainement donc, un colloque sera organisé pour faire le point et donner la parole à plusieurs acteurs-clés. Comme on le disait au début, ce n’est par «nostalgie» ni pour se raconter des histoires entre nous. Il y a des choses à apprendre d’octobre, des choses qui sont pertinentes pour nos mobilisations et nos projets AUJOURD’HUI.

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