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Manifeste des professeurs contre la hausse

Nous, professeurs qui souhaitons léguer un savoir à tous ceux et celles qui désirent s’instruire, appuyons les étudiants en grève dans leur défense démocratique de l’accessibilité aux études universitaires et dans leur opposition justifiée à la marchandisation de l’éducation. Nous disons à cette jeunesse étudiante qui se tient debout qu’elle n’est pas seule.

Au-delà des revendications légitimes liées à la précarité de la condition étudiante, c’est l’avenir de l’éducation et de la société québécoise qui est en jeu dans le conflit qui oppose les étudiants au gouvernement. Cette grève s’inscrit dans le prolongement des nombreuses contestations qui ont émergé au cours des dernières années à l’égard de la subordination du bien public aux intérêts privés avec le concours d’un État scandaleusement complaisant.

Une hausse qui appauvrit l’éducation

L’enjeu le plus immédiat du conflit actuel est bien entendu la hausse des droits de scolarité. Cette augmentation de 75 %, rappelons-le, succède à celle de 30 % imposée depuis 2008. En plus d’être draconiennes, ces augmentations s’inscrivent dans une logique de privatisation du financement de nos services publics. Parmi ses conséquences les plus évidentes, on peut prévoir un accroissement substantiel de l’endettement étudiant, comme on le constate dans le reste du Canada et dans l’ensemble du monde anglo-saxon, ainsi qu’une diminution significative de l’accessibilité aux études.

Cette privatisation du financement de l’université, reposant sur une prémisse néolibérale, affuble l’étudiant d’un statut de client. Afin de rentabiliser son investissement, celui-ci sera tenté de choisir son domaine d’étude en fonction de sa capacité de payer et du potentiel d’employabilité que lui confère sa formation. La logique de l’endettement l’enrégimente de facto dans l’univers financier, soumet ses décisions au banquier. L’étudiant deviendra ainsi un agent de reproduction de l’ordre social plutôt qu’un citoyen participant pleinement à l’évolution de sa société. Ce sont la liberté académique et toute la dimension critique de la formation universitaire qui semblent frappées de caducité.

Le discours des libéraux, des adé/caquistes et des administrateurs d’universités prétend que la hausse permettra de résoudre le problème de « sous-financement » des universités québécoises. Or il faut plutôt parler de « malfinancement » lorsqu’on considère l’immense transfert de fonds jadis dédiés à l’enseignement et à la recherche fondamentale vers les investissements en immobilisation, la recherche privée, la publicité et le financement d’une puissante bureaucratie. En ce sens, l’enjeu central concerne moins le sous-financement que ce que nous choisissons de financer dans nos universités. À quel point sommes-nous prêts à sacrifier les filières jugées non rentables, à réduire l’accessibilité aux études afin de répondre à l’appétit sans fin des conseils d’administration ?

D’une révolution à l’autre

Le débat sur la hausse des droits de scolarité laisse entrevoir une opposition entre différents modèles éducatifs. D’ailleurs, le ministre des Finances, Raymond Bachand, évoque une « révolution culturelle » lorsqu’il s’attaque aux acquis de la Révolution tranquille en ramenant les droits de scolarité à ce qu’ils étaient avant 1968, lorsque l’université était essentiellement réservée à une élite masculine. La création d’un système d’éducation plus égalitaire, tel que nous l’avons connu jusque dans les années 1990, fut l’aboutissement d’un large débat collectif qui s’est exprimé notamment à travers la Commission Parent et la vitalité du mouvement étudiant d’alors.

Nous constatons aujourd’hui que la révolution conservatrice mise en place par le gouvernement libéral ne résulte d’aucun débat et qu’elle nous est présentée comme une fatalité. Est symptomatique à cet égard le Pacte sur le dégel des droits de scolarité présenté en 2010. Celui-ci s’appuyait sur un simulacre de consensus donnant en spectacle les représentants de la Chambre de commerce, du Conseil du patronat, des think tanks néolibéraux (IEDM, CIRANO), et était animé bien entendu par le chantre des lucides, Lucien Bouchard lui-même. La négation de toute forme d’opposition et de dialogue a ouvert la voie aux politiques budgétaires de Raymond Bachand tout comme les injonctions des « banksters » ont imposé des politiques d’austérité ici et là dans le monde.

Par conséquent, il nous faut considérer le mouvement étudiant et ses revendications comme une voix de résistance. Depuis plusieurs années, les étudiantEs présentent une analyse intelligente des enjeux liés à l’éducation post-secondaire et réclament un débat de société sur l’avenir de l’éducation. À cette demande a été opposé un refus dogmatique d’ouvrir le dialogue et de reconnaitre les étudiants comme des interlocuteurs légitimes. Cette attitude de fermeté explique le fait que le débat s’exprime aujourd’hui dans la rue. La répression policière violente à l’endroit des étudiants est la matérialisation du mépris à l’égard de ceux et celles qui luttent, de façon souvent imaginative, pour défendre ce qu’ils savent être précieux pour chacun de nous : l’éducation comme bien public.

Tous unis contre la hausse

Considérant que la hausse des droits de scolarité masque une privatisation en cours du financement des universités, qu’elle remet en question l’universalité comme modèle d’accessibilité aux études supérieures et qu’elle contribue à la transformation des institutions du savoir en simples organisations marchandes, nous pensons que la grève générale illimitée est un moyen justifié dans les circonstances et que les revendications étudiantes concernant le gel des droits de scolarité et la gratuité scolaire sont légitimes. Les étudiants nous invitent à construire un nouvel imaginaire politique permettant de réactualiser les bases démocratiques et modernes du système éducatif et de toute la société québécoise. Dans cette perspective, nous recevons leur appel à une mobilisation générale comme une invitation à défendre non seulement le droit à l’éducation supérieure mais aussi la portée civilisationnelle de l’université. À titre de professeurs, nous répondons : nous sommes tous étudiants !

Auteurs

Benoit Guilmain, Collège Édouard-Montpetit Anne-Marie Le Saux, Collège de Maisonneuve Stéphane Thellen, Cégep du Vieux Montréal

Signataires

Normand Baillargeon, Université du Québec à Montréal Mario Beauchemin, Président de la FEC-CSQ Claire Fortier, Collège Édouard-Montpetit Isabelle Fortier, École nationale d’administration publique Gilles Gagné, Université Laval Frédéric Julien, Collège Édouard-Montpetit Anna Kruzynski, Université Concordia Benoit Lacoursière, Collège de Maisonneuve Diane Lamoureux, Université Laval Georges Leroux, Université du Québec à Montréal Karim-Mathieu Lapierre, Cégep de St-Jérôme Michèle Nevert, Université du Québec à Montréal, présidente du SPUQ Jacques Pelletier, Université du Québec à Montréal Martin Petitclerc, Université du Québec à Montréal Guy Rocher, Université de Montréal Cécile Sabourin, Université du Québec à Trois-Rivières Jean Trudelle, Collège Ahuntsic, président de la FNEEQ-CSN Louise Vandelac, Université du Québec à Montréal

Ont aussi appuyé ce texte, en date du 14 mars 2012, plus de 1600 signataires.

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