AccueilX - ArchivesGauche / Mouvements sociauxNotes d’introduction pour une réflexion collective

Notes d’introduction pour une réflexion collective

Le chaos climatique est une nouvelle donnée structurelle provoquée par le réchauffement atmosphérique d’origine humaine (en l’occurrence capitaliste). L’actuel chaos géopolitique semble lui aussi une nouvelle donnée structurelle provoquée par la mondialisation capitaliste et les choix imposés par les bourgeoisies impérialistes traditionnelles. Car chaos il y a; et les causes en sont profondes.

Dès 2003 (au moins[1]), nous avons tenté de percevoir les conséquences en tous domaines de la mondialisation capitaliste, mais aujourd’hui, il faut vraiment tenter de faire plus systématiquement le point sur les causes du chaos géopolitique, sur les dynamiques de crise en cours, ainsi que sur la mise à jour des réponses qu’il nous faut apporter à une situation mondiale par bien des aspects inédite. Ces notes visent à aborder ces questions pour nourrir une réflexion collective[2]. Elles ne prétendent pas être exhaustives – d’autres éléments sont traités dans d’autres textes écrits par d’autres camarades. Elles s’appuient souvent sur des analyses déjà partagées, mais tentent de pousser plus avant la discussion sur leurs implications : on ne peut se contenter de répéter à l’identique ce que nous disions antérieurement. À cette fin, au risque de trop simplifier des réalités complexes, elles « épurent » les évolutions en cours, souvent inachevées, pour mettre en valeur ce qui apparaît neuf.

 

Impérialismes, temps long, temps court et changements de cadre

 

Les débats initiaux de référence sur l’impérialisme remontent au début de XXe siècle, à l’époque de l’achèvement (en Occident) de la formation des États-nations et des empires coloniaux – et de la guerre interimpérialiste en vue de modifier le partage du monde. Toutes les définitions de l’impérialisme systématisées à l’époque reflètent ce contexte géopolitique. Elles peuvent servir de « points de repère » utiles (y compris pour prendre la mesure des changements), mais surtout pas de « norme[3] ».

Les révolutions postérieures à la Première et Seconde Guerres mondiales ont bouleversé le cadre géopolitique, avec une nouvelle configuration plus complexe combinant les oppositions révolutions/contre-révolutions, « blocs » de l’Ouest et de l’Est (pas simplement superposable à l’opposition précédente), décolonisation et zones d’influences plus ou moins exclusives, rivalités interbureaucratiques (URSS/Chine) et interimpérialistes dans ce cadre. L’implosion de l’URRS, puis le basculement de la Chine dans l’ordre capitaliste mondial ont une nouvelle fois modifié la donne. On y reviendra. Le point que je veux souligner ici, c’est que le « développement organique » du capital n’explique pas tout, tant s’en faut. Les facteurs exogènes ont joué par deux fois un rôle essentiel dans la réorganisation du monde. Il faut en tenir compte pour comprendre les choix faits par les bourgeoisies impérialistes après l’implosion de l’URSS en 1991 (la mondialisation capitaliste).

Dans le temps court (des années  90 à aujourd’hui), on relève aussi un changement assez radical. Dans un premier temps, les bourgeoisies et les États impérialistes (traditionnels) ont été très conquérants : pénétration des marchés de l’Est, intervention en Afghanistan (2001) et en Irak (2003)… Puis il y a eu l’enlisement militaire, la crise financière, l’émergence de nouvelles puissances (Chine), les révolutions arabes… le tout débouchant sur une perte d’initiative et de contrôle géopolitiques : Washington réagit aujourd’hui plus dans l’urgence qu’elle ne planifie l’imposition de son ordre. La question, c’est le lien entre le tournant  post-1989 (temps long) et le tournant qui se dessine au milieu des années  2000 (temps court), pour jauger ce qui est dans la situation présente conjoncturel ou structurel.

 

Quand les bourgeoisies impérialistes s’émancipent du politique

 

Disons qu’après l’implosion de l’URSS, les bourgeoisies impérialistes ont cru que « c’était arrivé » : elles étaient libres de réaliser leur rêve; à savoir un marché mondial aux règles uniformes leur permettant de déployer à volonté leurs capitaux. Les conséquences de la mondialisation capitaliste ne pouvaient en conséquence qu’être très profondes – démultipliées qui plus est par des développements que, dans leur euphorie, lesdites bourgeoisies impérialistes n’avaient pas voulu prévoir.

  1. Le schéma classique des rapports Nord-Sud ou Centre-Périphérie (le Nord exportateur de marchandises et le Sud de matières premières) a été bouleversé avec l’internationalisation des chaines de production et des pays du Sud devenant des exportateurs majeurs de marchandises industrielles (notamment en Asie : la Chine, « atelier du monde »). Même si la domination économique du « centre » perdure par d’autres voies (haute technologie, statut du dollar US, financiarisation, capacité militaire des États-Unis, etc.), ces modifications ont évidemment des implications considérables pour le mouvement ouvrier, mais aussi pour les bourgeoisies impérialistes : cela contribue à relativiser l’importance de leurs pays d’origine et facilite leur émancipation du politique.
  2. Constituer un marché mondial « uniformisé » implique en effet de s’émanciper du politique. Les « modes appropriés » de domination bourgeoise produits par l’histoire spécifique des pays et régions (compromis historique de type européen, populismes de type latino-américain, dirigisme étatique de type asiatique, clientélisme redistributif de multiples types…) sont progressivement illégalisés, car tous érigent des relations spécifiques avec le marché mondial, donc des entraves au libre déploiement du capital impérialiste. Cependant, rendre inopérables ces modes de domination « appropriés » conduit nécessairement à des crises de légitimité, voire d’ingouvernabilité, d’autant plus que les politiques néolibérales agressives déchirent le tissu social dans un nombre croissant de pays. Ce qui est frappant, c’est que les bourgeoisies impérialistes semblent n’en avoir cure, pour autant que leur accès aux matières premières, aux centres de production, aux voies et nœuds de communication, etc., reste assuré. Du temps des empires, il fallait assurer la stabilité des possessions coloniales – ainsi (bien que dans une moindre mesure) que des zones d’influences du temps de la guerre froide. Disons qu’aujourd’hui, cela dépend du lieu et du moment… Le rapport au territoire change. Disons encore que si les chefs d’État continuent à soutenir « leurs » transnationales, ces dernières ne se sentent plus dépendantes de leur pays d’origine : le rapport est plus « asymétrique » que jamais.
  3. Le rapport au territoire change; et donc à l’État. Les États ne sont par exemple plus les copilotes de projets industriels d’ampleur (voir le développement du nucléaire en une décennie en France…) ou d’infrastructures sociales (éducation, santé…). Il doit contribuer à instaurer les règles universalisant la mobilité des capitaux, ouvrir tous les secteurs aux appétits du capital (santé, éducation, retraites, etc.), détruire les droits sociaux et maintenir sa population dans les clous. Un chef d’État est aujourd’hui un simple majordome. Bien entendu, certains pays restent plus égaux que d’autres et les États-Unis se permettent des choses qu’ils n’autorisent pas ailleurs. L’État états-unien garde des fonctions régaliennes mondiales que d’autres n’ont plus – ou dont ils n’ont plus les moyens.
  4. La mondialisation capitaliste conduit ainsi aux crises pour des raisons diverses, dont une occupe une place particulière : une classe ne domine pas durablement une société sans médiations, compromis sociaux, légitimité (d’origine historique, sociale, démocratique, révolutionnaire…). Les bourgeoisies impérialistes liquident des siècles de « savoir-faire » en ce domaine au nom de la liberté de mouvement du capital; mais le rêve du financier est irréalisable. Il débouche ultimement sur un état de crise permanent. C’est déjà le cas dans des régions entières.

La particularité du capitalisme mondialisé, c’est donc qu’il semble s’accommoder de la crise comme d’un état permanent  : elle devient consubstantielle au fonctionnement normal du nouveau système global de domination. Si c’est bien le cas, il faut modifier profondément notre vision de « la crise », comme un moment particulier entre de longues périodes de « normalité » – et nous n’en avons pas fini d’en mesurer, d’en subir les conséquences.

 

Les nouveaux fascismes

 

L’une des premières conséquences de la phénoménale puissance déstabilisatrice de la mondialisation capitaliste est la montée tout aussi spectaculaire de nouveaux fascismes à base (potentielle) de masse. Certains prennent des formes relativement classiques, comme Aube dorée en Grèce, ou se logent dans de nouvelles xénophobies et replis identitaires. Mais le phénomène aujourd’hui dominant est l’affirmation de courants fascistes aux références religieuses (et non plus le triptyque « peuple/État, race, nation »). Ils se manifestent dans toutes les « grandes » religions (chrétienne, bouddhiste, hindouiste…). Ils représentent aujourd’hui une menace considérable dans des pays comme l’Inde ou le Sri Lanka. Le monde musulman n’a donc pas le monopole en ce domaine; mais c’est bien là qu’il a pris une dimension internationale particulière, avec des mouvements « transfrontaliers » comme l’État islamique ou les talibans (voir la situation au Pakistan) et des réseaux qui se connectent plus ou moins formellement du Maroc à l’Indonésie, voire (potentiellement seulement?) au sud des Philippines.

On peut discuter de la définition du concept de fascisme. Ces mouvements ne sont pas organiquement liés au « grand capital » comme dans l’Allemagne nazie, mais ils exercent une terreur de type fasciste, jusque dans la vie la plus quotidienne. Là où ils existent, ils occupent la « niche politique » du fascisme – et ils nous posent des problèmes politiques nouveaux (pour nos générations) de la résistance antifasciste à grande échelle.

Le terme d’Islam politique renvoie à un large éventail de courants qui n’entrent pas tous dans la même catégorie, tant s’en faut. Mais il n’y a pas si longtemps, une partie significative de la gauche radicale internationale considérait que la montée du fondamentalisme islamique (tel le talibanisme) avait un caractère progressiste et anti-impérialiste. Or, même quand il se confronte aux États-Unis, il représente une force contre-révolutionnaire redoutable. L’expérience aidant, plus rares sont aujourd’hui les courants qui maintiennent ces positions, mais le « campisme » reste présent en ce domaine, comme un réflexe pavlovien : en se contentant par exemple de condamner l’intervention impérialiste en Irak et Syrie (ce qu’il faut certes faire), mais sans dire ce qu’est et ce que fait l’État islamique ni appeler à y résister.

Ce type de position interdit de poser clairement l’ensemble des tâches de solidarité. Rappeler la responsabilité historique des impérialismes, de l’intervention de 2003, les objectifs inavoués de l’actuelle intervention, dénoncer son propre impérialisme ne suffit pas. Il faut penser les tâches concrètes de solidarité du point de vue des besoins des populations victimes et des mouvements en lutte. Prenons un exemple controversé : de ce point de vue, on peut être contre l’intervention impérialiste et pour la fourniture d’armes de haute puissance par nos gouvernements aux forces kurdes – c’est répondre à un appel insistant et répété des organisations kurdes : pourquoi refuser de le faire? Je ne cherche pas à me réfugier derrière un argument d’autorité, mais je trouve le texte de Léon Trotski de 1938[4], traitant précisément de ces questions, réellement intéressant et utile à nos débats d’hier (guerre des Malouines, par exemple) et d’aujourd’hui.

 

Les nouveaux (proto) impérialismes

 

Les bourgeoisies impérialistes traditionnelles pensaient après 1991 qu’elles pénétreraient le marché des anciens pays dits « socialistes » au point de se les subordonner naturellement – se demandant même si l’OTAN avait encore une fonction vis-à-vis de la Russie. Cette hypothèse n’était pas absurde comme le montrent la situation de la Chine au tournant des années 2000 et les conditions d’adhésion de ce pays à l’OMC (très favorables au capital international). Mais les choses ont tourné différemment – et cela ne semble pas avoir été initialement ou sérieusement envisagé par les puissances établies.

En Chine, une nouvelle bourgeoisie s’est constituée de l’intérieur du pays et du régime, via principalement la « bougeoisification » de la bureaucratie, cette dernière s’autotransformant en classe possédante par des mécanismes que l’on connaît maintenant bien[5]. Elle s’est donc reconstituée sur une base d’indépendance (héritage de la révolution maoïste) et non pas comme une bourgeoisie d’emblée organiquement subordonnée à l’impérialisme. La Chine est elle un nouvel impérialisme? Comme pour le concept de fascisme, il faut préciser ce que l’on entend par impérialisme dans le contexte mondial présent. Pour ma part, j’utilise la formule d’impérialisme en constitution (sans garantie de succès[6]). Il suffit de dire pour l’instant que la Chine est devenue une puissance capitaliste pour comprendre que la géopolitique du monde contemporain est bien différente d’il y a cinquante ans. On y reviendra dans le rapport concernant la situation en Asie orientale.

Les BRICS ont tenté de jouer de concert dans l’arène du marché mondial, sans grand succès. Les pays qui composent ce fragile « bloc » ne jouent pas tous dans la même cour. La Chine postule à jouer dans la cour des plus grands. La Russie, elle aussi membre permanent du Conseil de sécurité et détentrice officielle de l’arme nucléaire, voudrait bien, mais avec beaucoup moins de moyens. Le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud peuvent probablement être qualifiés de sous-impérialismes – une notion qui remonte aux années 1970 – et de gendarmes régionaux, mais avec une différence notable : ils bénéficient d’une bien plus grande liberté d’exporter des capitaux que par le passé. Voir le « grand jeu » ouvert en Afrique avec la compétition entre États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, France, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Chine…

Deux conclusions ici :

  1. La compétition entre puissances capitalistes se ravive avec l’affirmation de la Chine surtout, mais aussi de la Russie en Europe orientale. Il s’agit bien de conflits entre puissances capitalistes, donc qualitativement différents de ceux de la période antérieure. Dans le passé, sans jamais nous aligner sur la diplomatie pékinoise, nous défendions la République populaire (et la dynamique de la révolution) contre l’alliance impérialiste nippo-américaine – nous étions en ce sens dans son camp. On verra (rapport Asie) à quel point la géopolitique régionale s’est modifiée, ce qui implique de notre part un positionnement différent, « anti-campiste ».
  2. Plus généralement, concernant la liberté de mouvement des capitaux, des bourgeoisies (même subordonnées) et des transnationales du « Sud » peuvent utiliser les règles conçues après 1991 par les bourgeoisies impérialistes traditionnelles pour elles-mêmes, rendant plus complexe que par le passé la concurrence sur le marché mondial.

 

Expansion capitaliste et crise écologique

 

La réintégration du « bloc » sino-soviétique dans le marché mondial a permis une énorme expansion capitaliste qui fonde l’optimisme des bourgeoisies impérialistes. Elle fonde aussi une accélération dramatique de la crise écologique. Je ne veux pas m’étendre sur cette question, mais souligner que :

  1. Il est impossible dans ce contexte de ne poser la question de la réduction des émissions à effet de serre qu’au Nord – elle doit aussi l’être au Sud.
  2. Le règlement de la « dette écologique » au Sud ne doit pas favoriser le développement capitaliste mondial et profiter soit aux transnationales nippo-occidentales implantées au Sud, soit aux transnationales du Sud (genre agro-industrie brésilienne, etc.), ce qui ne ferait que nourrir toujours plus crises sociales et environnementales.
  3. Il y a bien toujours la nécessité d’une solidarité « nord -> sud », par exemple en défense des victimes du chaos climatique. Cependant, plus que jamais, c’est une lutte commune « anti-systémique » qui est à l’ordre du jour dans les rapports « nord-sud » du point de vue des classes populaires : c’est-à-dire un combat conjoint pour une alternative anticapitaliste, une autre conception du développement au « nord » et au « sud » (je mets des guillemets partout, car l’hétérogénéité du « nord » et du « sud » est aujourd’hui telle que ces notions peuvent être trompeuses).
  4. Si le point de départ est le combat socio-environnemental pour « changer le système, pas le climat », il a pour socle les mouvements sociaux plus que les coalitions spécifiques sur le climat. Il me semble qu’il faudrait donc rediscuter l’articulation entre les deux. Si on « écologise » pas le combat social (à l’instar de ce qui peut se faire dans des luttes paysannes ou urbaines), l’expansion numérique des mobilisations « climat » restera à la surface des choses.
  5. 5. Les effets du chaos climatique se font déjà sentir et l’organisation des victimes, leur défense et leur autodéfense font aussi partie du socle du combat écologique. Les effets du super-typhon Haiyan aux Philippines dépassent en ampleur ce contre quoi on était déjà averti. Le futur annoncé est devenu partie du présent. Cela a des conséquences déstabilisatrices qui vont bien au-delà des régions directement affectées et provoquent des tensions en chaine (voir les réfugiés du Bangladesh et les conflits avec l’Inde sur la question des migrants).

Un monde de guerres en permanence

Mon hypothèse est que nous n’allons pas vers une troisième guerre mondiale sur le mode des Première et Seconde, car il n’y a pas un conflit pour le repartage territorial du monde au sens qu’il avait dans le passé. Mais les facteurs de guerre sont très profonds et divers : nouveaux conflits interpuissances, concurrences sur le marché mondial, accès aux ressources, décomposition de sociétés, montée de nouveaux fascismes échappant aux contrôles de leurs géniteurs, effets en chaine du chaos climatique et des crises humanitaires de très grande ampleur…

Cela veut dire que nous sommes maintenant entrés de plain-pied dans un monde de guerres (au pluriel) en permanence. Que chaque guerre doit être analysée dans ses spécificités. Il nous faut cependant des « points de stabilité » pour garder une boussole dans un une géopolitique très complexe : indépendance de classe contre les impérialismes, contre les militarismes, contre les fascismes et la montée des mouvements identitaires « anti-solidaires » (racistes, islamophobes et antisémites, xénophobes, castéistes, fondamentalistes et j’en passe).

Dans ce contexte, l’héritage « campiste » est particulièrement dangereux. Il conduit à se ranger dans le camp d’un régime (Assad…) contre une bonne partie du peuple ou d’une puissance capitaliste (en Asie orientale : États-Unis au nom de la menace chinoise ou Chine au nom de la menace états-unienne; Russie ou Occident dans le cas de l’Ukraine)… À chaque fois on abandonne une partie des victimes (qui se trouvent être du mauvais côté), on alimente des nationalismes agressifs et on sanctifie les frontières héritées de l’ère des « blocs » alors précisément que nous devons les effacer.

Nous restons tributaires de cet héritage plus que nous le pensons. Quand, en France, nous parlons d’Europe, cela signifie en fait Union européenne ou au mieux une Europe de l’Ouest élargie – et c’est dans ce cadre que nous élaborons des alternatives. Mais l’Europe, c’est aussi la Russie et des alternatives doivent être pensées qui incluent les deux côtés de la frontière russo-ouest-européenne (voire la Méditerranée). Cette question est particulièrement importante en Eurasie, car c’est le seul continent qui a été à ce point façonné par la confrontation révolution/contre-révolution et le face-à-face des « blocs ».

 

Les limites de la superpuissance

 

Les États-Unis restent la seule superpuissance au monde – et pourtant, ils perdent toutes les guerres qu’ils ont engagées de l’Afghanistan à la Somalie. À ce point, c’en est étonnant! La faute en est probablement à la mondialisation néolibérale qui leur interdit de consolider (en alliance avec des élites locales) des gains militaires temporaires.

C’est peut-être de même une conséquence de la privatisation des armées, les firmes de mercenaires jouant un rôle croissant, ainsi que les bandes armées « non officielles » au service d’intérêts particuliers (grandes entreprises, grandes familles…). Décidément, l’État n’est plus ce qu’il était.

C’est aussi que cette puissance, toute super qu’elle soit, n’a pas les moyens d’intervenir tous azimuts dans des conditions d’instabilité structurelle. Elle aurait besoin d’impérialismes secondaires capables de l’épauler. Mais la constitution d’un impérialisme européen a avorté; la France et la Grande-Bretagne n’ont plus que des capacités très limitées; le Japon doit encore briser les résistances civiques à sa remilitarisation complète.

Les guerres sont donc là pour durer, sous de multiples visages. Nous devrions donc nous intéresser à nouveau à la façon dont elles sont menées, en particulier par les résistances populaires, pour mieux comprendre les conditions d’une lutte, la réalité d’une situation, les exigences concrètes de la solidarité…

Qui dit guerres devrait dire mouvement antiguerre. Les guerres étant très différentes les unes des autres, la constitution de mouvements antiguerres en synergie ne va pas de soi. Le regard militant porté d’Europe (occidentale) sur cette question semble pessimiste, tant le « campisme » a rongé et rendu impotentes les principales campagnes engagées sur ce terrain. Mais mouvements antiguerres il y a, en Asie notamment – et en Eurasie, le dépassement des frontières héritées de l’ère des blocs se fera en particulier sur cette question, il me semble.

 

[1] Voir la résolution du XVe Congrès mondial de la Quatrième Internationale disponible sur ESSF en français (article  3973), Les résistances à la mondialisation capitaliste, une chance pour un nouvel internationalisme

[2] Les contributions à cette réflexion seront reliées par le mots clé DebateGeopol.

[3] Pour une présentation de cette question, voir notamment Michel Husson, Notes sur l’impérialisme contemporain – Théories d’hier, questions d’aujourd’hui.

[4] Disponible sur ESSF (article 32791) en français, Un texte sur l’internationalisme pratique en temps de guerre : Il faut apprendre à penser. Conseil amical à l’adresse de certains ultra-gauches

[5] Voir Au Loong Yu, China’s Rise : Strength and Stability, Merlin Press, Resitance Books, IIRE, 2012. Traduction française partielle : La Chine : un capitalisme bureaucratique. Forces et faiblesses, chez Syllepse (2014).

[6] Voir sur ESSF (article  32424), Ambitions chinoises – Un impérialisme en constitution http://www.europe-solidaire.org/spi…

 

Europe solidaire sans frontières, 15 octobre 2014

Articles récents de la revue

Penser politiquement les mutations du capitalisme à l’ère de l’intelligence...

La plupart des écrits qui abordent la question de l’intelligence artificielle à l’heure actuelle, qu’ils soient critiques ou apologétiques, ont la fâcheuse tendance à...