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Ne soyons pas des écologistes benêts

Aurélien Bernier vous êtes l’auteur avec Michel Marchand de Ne soyons pas des écologistes benêts, paru aux éditions Mille et une nuits. En quoi les écologistes pourraient-ils être benêts ?

Pour commencer, il ne faudrait pas dire « les écologistes », qui sont loin de former un ensemble cohérent. Certains écologistes sont par contre directement concernés par le titre du livre. Les écologistes benêts sont d’abord ceux qui ne veulent pas faire de politique, comme si tout se jouait sur le plan individuel et moral. Ce sont également des écologistes engagés dans des partis, mais qui prônent la révolution du brossage de dents. A l’image des socio-démocrates, ils veulent simplement aménager le système en jouant là encore sur les comportements individuels (fermer le robinet lorsqu’on se brosse les dents, trier ses déchets…) et en verdissant le capitalisme. On ne touche pas aux logiques d’exploitation des hommes et de la planète, on remplace juste les énergies fossiles par des renouvelables, les véhicules traditionnels par des voitures électriques. La caricature de l’écologiste benêt est Arthus-Bertrand, dont le discours est politiquement vide, moralisateur, mais qui est financé par une grande multinationale (Pinault Printemps La Redoute – PPR). Il n’y a pas de hasard. Si M. Pinault, l’une des plus grandes fortunes de France, finance le film d’Arthus-Bertrand, c’est que ce discours lui convient parfaitement. Il laisse intact ses privilèges, il détourne l’attention. A l’inverse, je serais très étonné que le groupe PPR fasse de la publicité pour notre livre !

D’emblée vous vous attaquez au capitalisme néolibéral et au productivisme en estimant, à juste titre je crois, qu’ils sont les responsables du réchauffement climatique. En quoi le capitalisme dominant est-il un danger pour la Planète, et pourquoi est-il devenu, il faut bien l’admettre, le modèle économique de référence ?

Le capitalisme ne peut prospérer que dans une logique productiviste. L’origine des profits, c’est la vente de marchandises. Plus la production est massive et plus la consommation est massive, plus les profits le sont. Ensuite, on rajoute une couche de financiarisation qui permet d’augmenter ces profits, mais à la base, le capitalisme se doit d’être productiviste.

La forme actuelle du capitalisme est un système mondialisé où la production et la consommation peuvent s’organiser au niveau planétaire et où la finance s’est considérablement développée. Les taux de profit peuvent être accrus en allant chercher les coûts de production les plus faibles et en mettant les économies en concurrence. C’est le capitalisme dans sa version « néolibérale ».

La gauche, elle, a trop souvent été productiviste. Mais, à l’inverse du capitalisme qui a besoin du productivisme, le productivisme de gauche est une erreur d’analyse. Dès lors que la satisfaction durable (et j’insiste sur le mot durable) des besoins sociaux est mise au centre des préoccupations, on est nécessairement anti-productiviste. Le capitalisme est donc un système qui porte en lui la destruction de la planète. Il s’est imposé comme modèle de référence par le lobbying et la propagande, en déployant des stratégies redoutables. Le lobbying des grandes puissances financières a permis d’obtenir que les Etats acceptent le libre-échange, c’est à dire la possibilité d’installer la production n’importe où, de la vendre n’importe où et de faire circuler les marchandises et les capitaux sans « entrave », ce qui signifie en fait sans régulation politique. Pour ce qui est de la propagande, le commerce fut d’abord présenté comme un moyen d’instaurer la paix, ensuite de sauver les pauvres et aujourd’hui de protéger l’environnement. Mais les faits démentent ces affirmations. Des guerres surviennent encore, y compris en Europe, les populations non solvables meurent toujours de pauvreté, les écarts entre riches et pauvres s’accentuent et les indicateurs environnementaux (empreinte écologique, émissions de gaz à effet de serre…) se dégradent continuellement.

Vous ne dissociez pas l’écologie du social. Pensez-vous que les écologistes n’ont pas pris la mesure de l’élément social dans leur analyse ? D’autre part, vous reprochez à nombres d’écologistes de ne pas prendre en compte la dimension politique du débat. La pensée écologique est-elle compatible avec la politique telle qu’elle est pratiquée dans notre pays ?

Certains écologistes font clairement passer l’environnement avant le social. Fermer des usines polluantes en Europe ne signifie pas que ces usines disparaissent. Les activités se redéploient simplement dans les pays à bas coût de main-d’œuvre. Au final, il n’y a aucun progrès environnemental et des emplois sont détruits. Je crois au contraire qu’il faut relocaliser en priorité les activités polluantes pour les contrôler démocratiquement et les faire changer, et recréer de l’emploi en Europe. Un autre exemple d’écologie antisociale, c’est la taxe carbone, qui fait payer aux plus pauvres le prix des gaz à effet de serre. On a amusé la galerie en prétendant que l’augmentation des combustibles serait compensée. Mais si les combustibles augmentent, c’est l’ensemble des prix des biens et des services qui augmentent, et ça, personne ne l’a jamais évoqué ! Dernier exemple, celui des emplois « verts ». On entend un discours unique qui explique que ces nouveaux emplois seront meilleurs que les autres et non délocalisables. Mais c’est faux ! Plus de 50% du matériel pour l’éolien et le solaire vendu dans le monde est déjà fabriqué en Chine. Quant aux emplois de proximité, la « Directive Services » de l’Union européenne prévoit une mise en concurrence qui permettra aux entreprises des pays de l’est de venir truster des marchés dans les pays de l’ouest, en créant du dumping.

C’est en cela que de trop nombreux écologistes sont à côté des vrais débats. Un travail rigoureux amène obligatoirement à poser des questions très politiques. La plus importante est de savoir si l’on peut faire vraiment de l’écologie et du social en se pliant au traité européen. La réponse est évidente : c’est non ! Les écologistes devront donc choisir entre l’Union européenne et la protection de l’environnement. Ils doivent sortir de leur européisme, qui relève de l’irrationnel, du quasi-religieux.

La pensée écologiste doit donc évoluer et intégrer la situation politique réelle, les rapports de forces, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Elle doit être présente en politique, mais pas sur une ligne « ni droite ni gauche » comme le veut Cohn-Bendit. La meilleure chose qui pourrait arriver à Europe écologie serait de se débarrasser de Cohn-Bendit et, sur le fond, de reconsidérer totalement leur vision de la construction européenne. Il deviendrait alors possible de créer avec eux un front large à gauche, avec des revendications sociales et environnementales cohérentes. Les propositions qui en sortiraient seraient des propositions de rupture avec le système, de nouvelles pratiques politiques. Il ne s’agirait plus d’adapter l’écologie aux institutions et au jeu médiatique, mais bien de faire une révolution par les urnes. Je suis convaincu que c’est possible, et que les citoyens sont prêts à soutenir un tel mouvement. La gauche gagnera si elle est unie, mais surtout si elle est cohérente et courageuse.

Dans votre livre, un chapitre est intitulé À bas le capitalisme « vert ». La « croissance verte » est à la mode. Elle serait un des moyens de sortir de la crise à la fois économique et environnementale selon certains. On agite allègrement le hochet du développement durable comme s’il s’agissait d’un grigri protecteur contre le dérèglement climatique. En quoi ce verdissement de l’économie vous semble-t-il nuisible ?

En fait, nous avons dépassé le stade du développement durable, qui consistait principalement à se repeindre en vert à peu de frais. Le capitalisme « vert » est très différent. Les grandes puissances économiques ne font plus semblant d’agir, elles prennent le contrôle de marchés rentables ou prometteurs, comme les renouvelables, le véhicule électrique, le stockage souterrain du carbone… Ce qui est nuisible, c’est qu’elles font cela sans rien changer par ailleurs. Les agrocarburants perpétuent et renforcent même la domination du Nord sur le Sud. Les énergies renouvelables sont prétextes à de nouvelles délocalisations, à la privatisation du service public.

Le discours de l’Union européenne est de dire qu’il faut toujours être en pointe, jouer sur l’innovation, la haute technologie. Mais dès qu’une technologie est maîtrisée, on va chercher à diminuer les coûts de production en délocalisant. Il faut donc s’attaquer avant tout aux règles du commerce international, à la finance, aux flux de capitaux. Sinon, le capitalisme prospérera sur les technologies « vertes » comme sur le reste. En admettant qu’il puisse y avoir un intérêt environnemental – ce dont je doute, les émissions de gaz à effet de serre ayant augmenté de 25% ces 10 dernières années –, les rapports sociaux resteraient inchangés, ce qui constituerait un échec terrible.

Faut-il sortir du capitalisme pour sauver la Planète, comme le proposait Hervé Kempf dans l’un de ses livres ? Existe-t-il un système économique et/ou politique qui nous permettent justement d’en sortir ?

C’est une évidence, et je rejoins totalement l’analyse d’Hervé Kempf. Ce que nous avons voulu faire avec ce livre, c’est repartir de son constat, et tirer des conclusions politiques sur le « comment ».

L’économie collectiviste a échoué. Le capitalisme néolibéral est une monstruosité. Il faut repartir des valeurs traditionnelles de la gauche et construire une République écologique et sociale qui n’a jamais été mise en application, mais sur laquelle il existe beaucoup d’écrits. Le problème n’est pas là. Ce qu’attendent les citoyens, ce n’est pas que l’on décrive une énième fois le monde idéal, mais que l’on dise comment sortir de celui-ci pour atteindre nos idéaux. Or, la gauche refuse de parler des transitions car elle a peur du débat qui en découlerait.

Que voulons-nous faire ? Répondre durablement aux besoins sociaux. Il faut donc changer profondément la répartition des richesses, en taxant les profits, en fermant les Bourses, en instaurant un revenu maximum, en supprimant le chômage… C’est tout à fait possible techniquement. Mais la moindre mesure qui aille dans ce sens est interdite par l’OMC et l’Union européenne. Nous n’avons donc pas le choix. Il faut désobéir à l’UE et sortir de l’OMC. Ou bien, si nous ne sommes pas prêts à lancer ce débat, arrêtons de faire de la politique !

Vous employez fréquemment le terme « d’écologie radicale ». Autant que le mot-obus « décroissance », l’écologie radicale ne risque-t-elle pas d’effrayer le citoyen ?

Le terme « radical » signifie « aller à la racine des choses ». Ce n’est donc pas un terme violent, mais un terme extrêmement subversif. Il n’a rien d’effrayant. Le grand soir n’est ni crédible ni souhaitable, mais la radicalité et la cohérence du discours politique sont le minimum que les citoyens sont en droit d’exiger. Nous proposons dans ce livre des mesures qui font bien-sûr débat, mais qui sont radicales (au sens propre : nous nous attaquons à la racine du problème, qui est le capitalisme et les institutions sur lesquelles il s’appuie) et cohérentes.

Plutôt que les « mots-obus », je préfère les « idées-obus » . La désobéissance européenne est une idée-obus, une véritable ogive nucléaire ! Mais elle est une évidence. Le traité européen interdit toute régulation sérieuse de la finance, du commerce, y compris pour des raisons environnementales. L’UE autorise les OGM à tour de bras, favorise outrageusement l’agriculture intensive. Si un gouvernement de gauche radicale est élu en 2012, peut-il attendre de réformer l’UE des 27 avant de faire quoi que ce soit ? Peut-il abandonner son programme en attendant quelques décennies que la construction européenne change ? Bien-sûr que non. Il lui faudra désobéir pour mettre en place son programme, c’est à dire créer un droit national juste, mais qui sera forcément contraire au droit européen. Ça ne pose aucun problème de légitimité, puisque ce gouvernement sera élu au suffrage universel, à l’inverse des commissaires qui pilotent la construction européenne. Tout le monde le sait, mais personne ne le dit ! C’est un véritable appel à l’abstention… Il faut au contraire l’écrire en gras et en rouge dès la première ligne de tout programme électoral de gauche.

Fermer la Bourse est également une idée-obus. Pourtant, le livret A existe. Il serait possible de financer l’économie en reprenant son principe et en l’appliquant aux entreprises, ce qui participerait au démantèlement de la finance internationale. Enfin, le droit opposable à l’emploi est une idée-obus. Le chômage n’existe pas à cause de la mécanisation ou de la mondialisation. Il existe parce que nous n’avons pas voulu créer les nouveaux emplois permettant de répondre aux besoins sociaux, notamment dans l’environnement, la santé, l’éducation… Pour financer ces emplois, il faut taxer les richesses. La boucle est bouclée.

Dans le dernier chapitre de votre livre, Des propositions de rupture, vous avancez des solutions concrètes pour « passer de ce monde ultra-libéral à un monde tel que le rêvent les altermondialistes. » Vous proposez de « construire un protectionnisme écologique, social et universaliste ». Je dois dire que vous n’y allez pas par quatre chemins. C’est un peu une révolution que vous appelez de vos vœux. Ne pensez-vous pas que cette radicalité est impossible dans ce monde du consensus ? Et ne risque-t-on pas d’isoler le pays en appliquant vos solutions ?

Oui, c’est une révolution politique. Mais la politique, ce n’est pas le consensus. Quel consensus peut-il y avoir entre Nestlé, Carrefour ou Monsanto et un agriculteur bio ? Quel consensus entre une petite entreprise qui innove dans les énergies renouvelables et Total ? La politique, c’est agir dans le sens de l’intérêt général alors qu’il existe des intérêts privés contradictoires. Il faut négocier, oui. Mais le résultat de la négociation n’est pas nécessairement un consensus.

Des mesures protectionnistes permettraient d’abord de casser le chantage aux délocalisations qui mine les rapports sociaux dans les pays développés, et d’aller vers une concurrence réellement non faussé. 60% des produits importés de Chine par les Etats-Unis sont vendus par des firmes américaines délocalisées en Chine. En appliquant une lourde taxe aux frontières, ces firmes relocaliseraient, car elles sont dépendantes du marché américain. C’est exactement la même chose en France, en Europe.

Ensuite, des négociations s’ouvriraient entre pays. L’objectif serait de supprimer ces taxes, mais avec des contreparties : que la Chine élève ses normes sociales et environnementales. Ce n’est pas du protectionnisme isolationniste, bien au contraire, c’est un protectionnisme universaliste. L’enjeu est de reconstruire des échanges commerciaux équitables. Cette mesure est d’ailleurs indissociable de mesures de solidarité internationale. La dette des pays pauvres doit être annulée, et les pays riches doivent reconnaître leur dette écologique, c’est à dire leur responsabilité historique dans la dégradation de la planète. Il faut la rembourser, mais en conditionnant le paiement à un mieux-disant social et environnemental.

En 1948, nous sommes passés tout près d’un accord international sur un système commercial radicalement différent de celui que nous connaissons. La Charte de la Havane proposait une régulation forte, une coopération, une solidarité entre Etats, qui doit nous servir de modèle. Les Etats-Unis ont refusé cette charte et ont mis en place le GATT, la libre-concurrence, la dérégulation. Mais rien n’est irréversible.

Enfin, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP) et en quoi il a joué un rôle dans l’élaboration de votre livre ?

Nous avons créé le M’PEP car nous croyons que l’éducation populaire – le partage et la construction collective de savoirs, l’émancipation – est un moyen de lutte sensationnel, mais qu’elle doit être politisée. Nous ne pouvons pas simplement rêver au monde idéal. Nous devons décrire les transitions. C’est peut-être moins noble, plus terre-à-terre, mais c’est indispensable pour redonner de l’enthousiasme, redonner le goût de voter… et prendre le pouvoir à l’oligarchie, ce qui reste, qu’on le veuille ou non, le seul moyen à court terme de changer les choses.

Concrètement, nous effectuons un énorme travail de fond (recherches, écriture, outils militants…) et participons aux élections dans le but de construire une grande force de gauche capable de passer devant le parti socialiste. C’est pourquoi nous avons fait campagne avec le Front de Gauche, qui peut porter cette ambition.

La désobéissance européenne, le droit opposable à l’emploi, et maintenant la sortie de l’euro sont des propositions que nous avons élaborées collectivement au M’PEP. Il était donc normal que ce livre porte le logo du M’PEP, même s’il a été écrit par deux personnes, Michel Marchand et moi-même.

SOURCE http://www.ecologitheque.com/itwber…

EXTRAIT DU LIVRE

Préserver le libre-échange à tout prix

La situation de triple crise – écologique, sociale et économique – a au moins le mérite de clarifier le débat sur certains sujets. Ainsi, il apparaît évident que tout sera fait pour préserver le système du libre échange, quelle que soit l’ampleur des risques environnementaux. La position de l’Allemagne, qui préfère de loin défendre la compétitivité des entreprises plutôt que d’accepter la moindre contrainte, est un aveu instructif. Mais le meilleur exemple provient sans doute des deux principaux protagonistes dans les négociations climatiques : la Chine et les États-Unis.

Dans l’espoir de donner un peu de crédibilité au système, l’Union européenne puis les États-Unis ont évoqué pour l’après-Kyoto le fait de vendre les quotas carbone aux entreprises plutôt que de les attribuer gratuitement. Ce fut un tollé des industriels, qui hurlèrent à la mort au prétexte de la concurrence internationale. En mars 2009, l’administration américaine de Barack Obama fit une déclaration choc, qui allait beaucoup plus loin. Elle envisageait de faire payer les quotas aux entreprises et de taxer en contrepartie les importations pour éviter une perte de compétitivité. La réponse quasi immédiate de la Chine fut de menacer les États-Unis de guerre commerciale ouverte (1).

Ce cas d’école illustre parfaitement l’incompatibilité profonde entre le libre échange et la mise en œuvre de politiques environnementales ambitieuses. Le résultat des mesures prises jusqu’alors est pourtant sans appel : entre 1997 et 2007, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté d’environ 25%. Des chercheurs britanniques estiment que 20% des émissions de CO2 proviennent des productions réalisées dans les pays en développement mais consommées dans les pays riches (2). Une étude publiée en 2008 conclut que 30% des émissions de la Chine sont liées à la production de biens destinés à être exportés et consommés en Occident (3). Le bilan en termes de gaz à effet de serre est donc considérable : non seulement le libre échange provoque une explosion des rejets dans les pays du Sud, qui est la conséquence directe de la désindustrialisation au Nord, mais il empêche également d’obtenir une réduction des rejets dans les pays du Nord à cause de l’argument de la concurrence internationale et du chantage aux délocalisations qui en résulte.

L’injustice sociale amplifiée par la crise écologique

Ces politiques écolo-libérales sont porteuses d’une profonde injustice sociale. N’en déplaise aux inconditionnels de la responsabilité individuelle, les populations les plus défavorisées, y compris dans les pays occidentaux, ont très peu de marge de manœuvre dans leurs comportements d’achat. Les personnes qui peuvent investir dans l’isolation de leur maison, dans un nouveau chauffage performant, dans une voiture moderne qui consomme peu ne sont pas des chômeurs ou des smicards, sauf cas très particuliers. Les classes favorisées pourront donc accéder à des biens de consommation « éco-responsables », mais les classes populaires en seront le plus souvent privées. D’autant que les fabricants profitent de la forte croissance du marché pour augmenter leurs marges dans des proportions spectaculaires.

Dès lors, il est évident qu’une fiscalité écologique du type taxe carbone ou droits à polluer individuels, toutes choses égales par ailleurs, frappera bien plus les classes défavorisées que les populations aisées. Encore une fois, de telles mesures perpétuent la logique du capitalisme néolibéral. Une taxation des énergies fossiles sera intégralement répercutée sur une clientèle captive, tandis que les aides publiques aux technologies « propres » seront captées par les multinationales.

L’injustice face aux conséquences du changement climatique devient intolérable. Si la catastrophe de la Nouvelle-Orléans après le passage du cyclone Katrina a tant frappé les esprits, c’est en grande partie à cause de la réponse politique qui fut donnée : les pauvres étaient abandonnés alors que les riches se mettaient à l’abri. Ce qui s’annonce « n’est autre que la possibilité d’une Nouvelle-Orléans à l’échelle planétaire, des éoliennes et des panneaux solaires pour les riches, qui pourront peut-être même continuer à utiliser leurs voitures grâce aux biocarburants. Quant aux autres… » (4.)

Cette croissance « verte » proposée par les multinationales n’a pas vocation à résoudre la crise environnementale. Elle n’est qu’un nouvel avatar du capitalisme. Elle s’appuie sur deux jambes : la croyance aveugle dans la technologie et une financiarisation croissante de la société. Comme le dit Paul Ariès, elle vise au mieux à « polluer moins pour polluer plus longtemps », pour peu que cette réduction de la pollution ne coûte pas trop cher.

Avec cette stratégie, les tenants de l’ordre économique mondial tentent d’évacuer tout débat politique sur les sujets cruciaux (le choix démocratique des modes de production, le libre échange, le protectionnisme, la régulation…) et ne cherchent qu’à reproduire le système à l’identique. L’exploitation des pays du Sud, une injustice sociale croissante et une accumulation des profits par les plus grandes multinationales en restent les principales caractéristiques. Le capitalisme vert n’est rien d’autre que la mondialisation néolibérale, plus les énergies renouvelables.

(1) « Climat : le ton monte entre Washington et Pékin », Les Échos, 23 mars 2009.

(2) Christopher L. Weber, H. Scott Matthews, Embodied Environmental Emissions in U.S. International Trade, 1997-2004, Carnegie Mellon University, 10 mai 2007.

(3) C.L. Weber et al.,The contribution of Chinese exports to climate change, 2008, Energy Policy.

(4) Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2009.

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