Ne payons pas leurs crises !

par Jean-Paul Faniel

Nous assistons actuellement à des changements profonds de notre société. Nous nous sommes en effet convaincus au fil des ans de la justesse d’un État Providence qui, à même les impôts prélevés, nous fournit de multiples services publics correspondant à nos droits reconnus et redistribue aux plus pauvres d’entre nous une partie de la richesse de notre société d’abondance. Aussi, sommes-nous depuis quelques temps étonnés et même souvent scandalisés de constater à quel point celui-ci s’éloigne de sa mission première.

De fait, plutôt que de continuer à imposer les entreprises et les grosses fortunes selon une échelle progressive qui a fait ses preuves, il diminue depuis plusieurs années leur charge fiscale et nous annonce aussitôt après qu’il n’a plus les moyens pour assumer ses responsabilités. Pour pallier à ses manquements et le remplacer dans ses devoirs, il se tourne alors vers l’entreprise privée « beaucoup plus performante », dit-il. Et pour renflouer ses caisses, il demande à toute la population de payer à nouveau pour les services publics qu’ils fréquentent et qu’ils sont pourtant censés payer déjà avec leurs impôts. Bref, la vocation sociale de l’État est en pleine mutation.

La Révolution tranquille, notre New Deal

Cette entreprise de démolition de plusieurs acquis de la « Révolution tranquille » procède, nous allons le voir, d’une planification orchestrée depuis un bon moment. La révolution tranquille, rappelons-le, est la version locale et tardive du « New-Deal » américain, un mouvement qui deviendra mondial et qui, après la « Grande Dépression » de 1929 et surtout après la deuxième guerre mondiale, redonne à l’État un rôle déterminant dans la relance économique et dans la gestion de la société. (voir dossier Les crises actuelles…p.   )

Au Canada, c’est à cette époque que, sous la pression des luttes populaires, l’État crée la 1ère   loi sur l’Assurance chômage et les allocations familiales et le premier programme de sécurité du revenu. Chez nous, c’est dans les années 1960-70, que l’État québécois prend les rênes de la Santé et de l’Éducation, autrefois assumés par les religieux, développe une infrastructure autoroutière déterminante pour le développement industriel et crée plusieurs instruments de développement économique qui ont façonné le Québec d’aujourd’hui, notamment Hydro-Québec, la Caisse de dépôt et de placements et la Société générale de financement du Québec.

Sous la poussée du mouvement ouvrier et de ses organisations syndicales en plein essor, on assiste alors à une augmentation sensible des revenus du peuple et à une imposition progressive des revenus des plus riches pour regarnir les coffres de l’État et se doter ainsi de services publics universels.

Le néo-libéralisme

C’est en 1980 que se produit le changement de cap. Sous l’impulsion des compagnies internationales de plus en plus gourmandes qui visent l’élargissement de leur marché, la reprise des concessions accordées aux classes populaires et la mise en place d’un autre modèle de société, le néo-libéralisme, la société occidentale se donne alors des dirigeants conservateurs, comme Reagan aux USA, Thatcher en Angleterre et Mulroney au Canada, auxquels ils confient la tâche de soutenir leurs ambitions en mettant en place les conditions de leur émergence.

Ceux-ci s’empressent aussitôt d’abolir les frontières pour la libre circulation des marchandises et la globalisation des marchés, lancent leurs pays respectifs dans des politiques d’attaques aux droits des travailleurs, de diminution du rôle de l’État et de soutien à l’emprise grandissante du secteur privé sur les sphères autrefois réservées à l’État et à la famille. C’est que, transférant de plus en plus leurs productions industrielles dans les pays émergents, certains secteurs de la classe dominante veulent faire de l’argent facile et assuré en s’accaparant des services qui répondent aux besoins essentiels des citoyens : vente de repas préfabriqués pour répondre aux besoins domestiques délaissés par les couples dorénavant accaparés par le travail rémunéré, offre grandissante d’écoles, de garderies et d’infirmières privées pour pallier aux carences d’un secteur public qu’on asphyxiera de plus en plus, développement à gogo de centrales électriques privées tant éoliennes qu’hydro-électriques, développement de polices privées et même de milices armées (aux USA) pour protéger les intérêts des puissants, etc.

Comptant dorénavant pour l’achat de leurs produits sur le monde extérieur, les bons salaires aux employés et les services publics gratuits ne représentent bientôt plus aux yeux de ces dirigeants économiques et politiques un avantage d’absorption de leur production, mais, au contraire, un « trop lourd fardeau » face à la concurrence internationale, notamment celle de leurs propres compagnies installées dans les pays émergents.

Prétextant l’atteinte du déficit zéro, les successeurs de Mulroney, Jean Chrétien et Paul Martin, un homme d’affaires à la tête d’une compagnie internationale de transport maritime, réduisent alors les transferts aux provinces, les privant ainsi des sommes nécessaires pour la dispensation des services. Conséquemment, c’est à un autre ancien ministre conservateur de Mulroney, Lucien Bouchard, à qui revient le rôle de couper drastiquement dans les services publics québécois, toujours pour atteindre le déficit zéro.

Ces services se détériorant grandement, on assiste alors au développement grand V de services privés en éducation, en santé et dans d’autres secteurs autrefois assumés par l’État. Ce développement du privé est d’ailleurs largement subventionné directement ou indirectement par l’État. En même temps, au fédéral comme au provincial, on diminue drastiquement les impôts des entreprises, des grosses fortunes et, un peu, des revenus moyens, privant ainsi l’État des argents nécessaires pour maintenir des services publics dignes de ce nom (10 milliards$ au Québec seulement).

La crise de 2009 et l’avènement du néo-conservatisme

Arrive alors la crise économique actuelle qui fournit à l’État l’argument voulant que, pour réduire le déficit de l’État, gonflé par son soutien à l’industrie automobile défaillante, il faut maintenant, non pas hausser les impôts à nouveau pour faire payer ceux qui en ont le plus les moyens, mais plutôt tarifer les services publics et à nouveau diminuer les dépenses en coupant dans ces services, changements qui plomberont encore plus la qualité des dits services et la situation de ceux qui y ont le plus recours, les plus pauvres.

N’ayant cessé leur propagande vantant l’efficacité du secteur privé au détriment de ses propres employés des services publics, le gouvernement de Jean Charest, un autre ancien ministre conservateur de Mulroney, n’en a que pour le partenariat public-privé (PPP), non seulement dans le secteur de la construction ou de l’entretien des infrastructures, des services de santé et de l’éducation, mais également dans ceux du développement énergétique. Avec la tarification des services publics, la table est ainsi mise pour la privatisation de nouveaux secteurs des services publics, ceux-ci devenant bientôt plus rentables pour un secteur privé alléché par des gains assurés et importants.

Dans ce scénario, l’État et ses partenaires privés cherchent également à modifier le financement et le contrôle des « services » communautaires (Centraide, Québec en forme, Québec enfant, etc) et, de la sorte, à faire jouer un nouveau rôle au communautaire. Ainsi, pour certains services moins rentables, car s’adressant aux plus pauvres, on tentera de plus en plus de les confier au communautaire, qu’on poussera ensuite à se transformer en entreprise d’économie sociale. Il y a là toute une réflexion qu’il nous faudra faire sur le rôle que l’on joue actuellement dans ce scénario et celui que l’on veut jouer à l’avenir. (voir Contre la tarification et …p.    )

Cette entreprise de démolition des services publics, on le voit, a un sens et une direction, planifiée de longues dates. Il s’agit pour les dirigeants économiques et politiques d’obédience conservatrice de déconstruire l’État re-distributeur de la richesse collective qui  répondait aux droits reconnus des citoyens, pour en faire, d’abord, un État vendant des services à des consommateurs, avant de devenir finalement un État facilitant la distribution des services les plus payants par des firmes privées et se gardant la portion congrue des services d’urgence.

Au bout du compte, les services offerts par l’État à partir de nos impôts diminueront tellement qu’on se rapprochera de plus en plus du modèle américain où les citoyens sont obligés de payer pour leurs services, notamment en santé, et où les plus pauvres n’ont plus accès à ces services de base faute de pouvoir se les payer. On passerait alors d’une société de droits à une société de privilèges, selon notre revenu.

La défense de nos droits, un devoir de résistance

La Coalition contre la hausse des tarifs et la privatisation des services publics propose d’autres moyens pour redonner à l’État son rôle de re-distributeur de la richesse collective et de dispensateur des services auxquels nous avons droit. (voir Contre la tarification et…p.)    Il nous revient à plus d’un titre de s’opposer à ces transformations fondamentales et de se joindre à ce vaste mouvement de résistance civique.

D’abord à titre de travailleur qui payons des impôts pour recevoir des services et qui constatent que ses redevances à l’État sont détournés par la collusion de contractants de l’État pour gonfler de façon astronomique la facture de leurs services et par la corruption de partis politiques et de politiciens qui s’en mettent plein les poches.

Ensuite, à titre d’intervenant auprès de personnes fragilisées par la vie et accablées encore plus par ces crises alimentaires, financières et économiques qui voient leur maigre revenu ne pas suffire à subvenir à leurs besoins élémentaires et à ceux de leur famille. Solidaires de ces voisins plus pauvres qui subissent quotidiennement une situation orchestrée par les puissants de ce monde, il nous revient de leur proposer de prendre la parole et d’affirmer ensemble notre droit de recevoir un revenu décent et des services publics gratuits et universels.

Enfin, à titre de citoyen responsable de la préservation de ses droits, nous avons un devoir de résistance pour sauvegarder ces acquis hérités de nos luttes et de celles de nos parents. Ce ne sont pas nous qui sommes responsables de ces crises, mais bien ces dirigeants économiques avides de gains faramineux et faciles et ces dirigeants politiques complices de ces spéculations et détournements de fonds scandaleux.

Nous n’avons pas à payer pour leurs crises. La richesse existe, redistribuons-là.

Ne soyons pas, par notre silence, complice de cette déconstruction de l’État social. Passons aux actes!

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