En janvier 1984, il y avait un processus de croissance du mouvement de masses au Brésil. La classe ouvrière était en train de se réorganiser, accumulant des forces organiques. Les partis clandestins étaient déjà dans la rue, comme le Parti communiste brésilien (PCB), le Parti communiste du brésil (PCdoB), etc. Nous avions conquis une amnistie partielle, la majorité des exilés étaient revenus.
Le Parti des travailleurs (PT) s’était déjà formé, de même que la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et le Congrès national des classes travailleuses (CONCLAT), impulsé par les communistes et qui plus tard allait se fondre dans la CUT.
De larges secteurs des églises chrétiennes, inspirés par la théologie de la libération, étendaient leur travail de fourmi pour créer de la conscience et des noyaux de base en défense des pauvres. Il y avait partout de l’enthousiasme parce que la dictature était en train d’être vaincue et la classe travailleuse brésilienne était à l’offensive, en luttant et en s’organisant.
En milieu rural, les paysans vivaient le même climat et menaient la même offensive. Entre 1979 et 1984, des dizaines d’occupations de terre furent organisées dans tout le pays. Les posseiros [Paysans implantés sur une terre de manière précaire, sans posséder de titres de propriété.], les sans-terre, les salariés ruraux se défirent de la peur et se mirent à lutter. Ils ne voulaient plus migrer à la ville comme des bœufs marchant vers l’abattoir (selon l’expression du fameux poète uruguayen Alfredo Zitarroza).
Résultat de tout cela, nous, leaders de luttes pour la terre de seize États brésiliens, nous nous sommes réunis à Cascabel, en janvier 1984, motivés par le travail pastoral de la Commission pastorale de la terre (CPT). Et là-bas, après cinq jours de débats, de discussions et de réflexions collectives, nous avons fondé le MST : le Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre.
Nos objectifs étaient clairs. Organiser un mouvement de masses au niveau national qui puisse faire prendre conscience les paysans de la nécessité de lutter pour la terre, pour la réforme agraire (impliquant des changements plus larges dans l’agriculture) et pour une société plus juste et égalitaire. Enfin, nous voulions combattre la pauvreté et l’inégalité sociale. Et la cause principale de cette situation à la campagne, c’était la concentration de la propriété de la terre, connue sous le nom de latifundium.
Nous n’avions pas la moindre idée de si cela était possible. Ni de combien de temps il nous faudrait pour atteindre nos objectifs.
Vingt-cinq années ont passé. C’est beaucoup de temps. Ce furent des années de nombreuses luttes, de mobilisations et d’une obstination constante, celle de toujours lutter et de nous mobiliser contre le latifundium.
Nous avons payé cher cette obstination. Durant le gouvernement de Fernando Collor (1990-1992), nous fûmes durement réprimés avec, y compris, la création d’un département spécialisé « sans-terre » à la Police fédérale. Ensuite, avec la victoire du néolibéralisme du gouvernement de Fernando Enrique Cardoso, le feu vert fut donné aux latifundistes et à leurs policiers provinciaux pour attaquer le mouvement. Et rapidement nous connûmes deux massacres : Corumbiara et Carajás. Tout au long de ces années, des centaines de travailleurs ruraux payèrent de leur vie le rêve de la terre libre.
Mais nous avons continué la lutte.
Nous avons freiné le néolibéralisme en élisant le gouvernement Lula. Nous avions l’espoir que la victoire électorale puisse déclencher une nouvelle croissance du mouvement de masses et, de ce fait, que le projet de réforme agraire soit renforcé pour être (enfin) mis en œuvre. Il n’y a pas eu de réforme agraire durant le gouvernement Lula. Au contraire, les forces du capital international et financier, par le biais de ses entreprises transnationales, ont étendu leur contrôle sur l’agriculture brésilienne. Aujourd’hui, la plus grande partie de nos richesses, la production et la distribution de marchandises agricoles sont sous le contrôle de ces entreprises. Elles se sont alliées avec les propriétaires terriens capitalistes et ont produit le modèle d’exploitation de l’agrobusiness. Beaucoup de ses porte-paroles se sont hâtés d’annoncer dans les colonnes des grands journaux de la bourgeoisie que le MST allait péricliter. Malentendu trompeur.
L’hégémonie du capital financier et des transnationales sur l’agriculture n’est heureusement pas venue à bout du MST. Pour le seul motif que l’agrobusiness ne présente aucune solution aux problèmes des millions de pauvres qui vivent en milieu rural. Et le MST est l’expression de la volonté de libération de ces pauvres.
La lutte pour la réforme agraire qui, avant, se basait seulement sur l’occupation de terres du latifundium est devenue aujourd’hui plus complexe. Nous devons lutter contre le capital. Contre la domination des entreprises transnationales. La réforme agraire a cessé d’être cette mesure classique : exproprier de grands latifundia et distribuer la terre en lots aux paysans pauvres. Maintenant, les changements en milieu rural pour combattre la pauvreté, l’inégalité et la concentration des richesses dépendent de changements non seulement de la propriété de la terre mais aussi du modèle de développement. Aujourd’hui, les ennemis sont aussi les entreprises internationalisées qui dominent les marchés mondiaux. Cela signifie aussi que les paysans dépendront chaque fois plus des alliances avec les travailleurs de la ville pour pouvoir avancer dans leurs conquêtes.
Heureusement, le MST a acquis de l’expérience au cours des ces 25 années. Un savoir nécessaire pour développer de nouvelles méthodes, de nouvelles formes de lutte de masse qui puissent résoudre les problèmes du peuple.
Source : Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3066. Traduction de Frédéric Lévêque pour RISAL.info. Traduction revue par Dial. Source (français) : RISAL.info, 12 janvier 2009. Sources originales : Revista Caros Amigos, janvier 2009 (portugais) & ALAI, janvier 2009 (espagnol).