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Militer en Outaouais L’expérience de Michel Quijada, président du Conseil central de la CSN

À l’occasion de la publication de ce dossier des Nouveaux Cahiers du socialisme sur le syndicalisme, nous avons jugé important de discuter avec M. Michel Quijada, président du Conseil central des syndicats nationaux de l’Outaouais (CCSNO-CSN) depuis 17 ans, de son expérience syndicale et des perspectives d’avenir qu’il entrevoit aujourd’hui pour le mouvement ouvrier. M. Quijada quittera ses fonctions de président à la fin de son présent mandat. L’entrevue a été réalisée par Serge Denis.

S.D. – Bonjour Michel, et merci d’avoir accepté de partager avec les lecteurs et les lectrices des Nouveaux Cahiers du socialisme tes réflexions sur ton engagement syndical et sur l’avenir que tu entrevois pour le mouvement ouvrier.

En premier lieu, pourrais-tu nous expliquer comment tu en es venu à l’action syndicale et de quel milieu de travail tu es ?

M. Q. – Mon travail est celui de préposé aux bénéficiaires. Je viens donc du secteur de la santé et des services sociaux, à l’origine du Syndicat des employé-es du Pavillon du Parc (Centre de réadaptation en déficience intellectuelle), qui était affilié à la FAS-CSN, la Fédération des Affaires sociales, aujourd’hui la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). Je me suis engagé assez vite dans mon syndicat local, où j’ai été élu à l’exécutif en 1989. Par la suite, je me suis impliqué au Conseil central de l’Outaouais, en 1992, d’abord comme vice-président à la mobilisation, et en 2001, à la présidence.

Pour moi, l’engagement dans mon milieu de travail et dans mon syndicat était assez naturel. Je me suis impliqué avec quelques camarades dans l’association étudiante au Cégep de l’Outaouais avec pour objectif de dynamiser la vie syndicale étudiante. Comme notre association n’était pas membre de l’Association nationale des étudiantes et des étudiants du Québec (ANEEQ), nous voulions y adhérer. Nous trouvions inconcevable de ne pas faire partie de la plus grande association étudiante du Québec. De plus, au même moment, nous étions en contact avec des camarades qui cherchaient à construire une association internationale d’étudiantes et d’étudiants. Pendant un certain temps, nous avons entretenu une correspondance avec des militants étudiants de plusieurs pays. Toutefois, nous n’avons pu mener à terme ce projet. Pourtant, je suis convaincu qu’une telle association aurait été bénéfique pour l’ensemble du monde étudiant québécois. Il me semble qu’aujourd’hui de telles initiatives devraient revenir à l’avant-scène.

Avant mon implication dans le monde étudiant, avec les mêmes camarades, j’ai été membre du Parti québécois (PQ). Nous voulions à l’époque créer une association de jeunes. Nous avons toutefois quitté le parti quand on s’est rendu compte qu’il n’avait visiblement aucun intérêt pour la création d’une organisation autonome de jeunes. L’un de nous prit alors l’initiative de fonder l’Union des jeunes indépendantistes de l’Outaouais (UJIO). C’est dans ce contexte qu’on s’est d’abord connus. La politique nous intéressait, on penchait incontestablement à gauche. L’UJIO nous a permis de nous poser des questions et de rencontrer d’autres militantes et militants, tout en contribuant à raffiner notre pensée quant à la question nationale et les questions sociales, et les liens entre ces deux concepts. Ma participation au mouvement étudiant m’a donné l’occasion d’apprendre à travailler en équipe et de réaliser que dans l’action commune, on pouvait aller bien plus loin que dans l’action individuelle.

S.D. – Tu as grandi dans l’Outaouais et tu viens d’une famille de travailleurs. Quelles sont les caractéristiques qui définissent le mieux la région ?

M. Q. – La région de l’Outaouais est d’abord fortement influencée par sa position géographique. La proximité de l’Ontario et de la capitale canadienne a un effet direct sur le portrait social et économique de la région. Plus de 30 000 personnes travaillent à la fonction publique fédérale. Les salaires y sont généralement assez élevés et les conditions de travail assez bonnes.

Après la fonction publique fédérale, le plus gros employeur est le gouvernement du Québec. Les systèmes de santé et d’éducation, ainsi que les différents services publics (municipalités, organismes gouvernementaux) occupent bon nombre de travailleuses et travailleurs. Ainsi, on arrive à près de la moitié de la population active qui travaille pour une fonction publique ou une autre. Toutes et tous sont syndiqués.

Une autre partie importante des emplois se retrouve dans les secteurs du commerce et des services. Ces travailleuses et travailleurs sont moins syndiqués et sont payés bien souvent au salaire minimum.

On peut ainsi dire que la région est coupée en deux. L’aisance et la richesse côtoient des poches importantes de pauvreté dans les secteurs urbains, mais aussi dans les milieux ruraux de la région. Pour mieux illustrer mon propos : nous avons en Outaouais la municipalité régionale de comté la plus riche du Québec (MRC des Collines) et la MRC la plus pauvre (MRC du Pontiac). L’industrie forestière qui à l’époque structurait une bonne partie de notre économie est maintenant en perte de vitesse et de nombreux emplois généralement bien rémunérés ont disparu.

Dans les années 1960 et 1970, la région a subi de nombreuses transformations, notamment avec le développement de la fonction publique fédérale du côté québécois. À cette époque, plus de 1000 logements ont été démolis dans le centre de Hull (aujourd’hui Gatineau) affectant près de 4000 personnes, ce qui donna lieu à des luttes sociales importantes. Des comités de citoyennes et de citoyens ont été constitués contre ces déplacements de population. Ces comités ont continué à être actifs au terme de cette mobilisation et ont structuré dans une large mesure les mouvements sociaux de la région. Celle-ci doit donc en grande partie son développement social aux luttes menées par ces citoyens. Souvenons-nous par exemple des grandes mobilisations syndicales et populaires en faveur de la construction d’un nouvel hôpital dans les années 1970.

Les dernières coupes du gouvernement Couillard dans l’aide financière à l’action communautaire font en ce sens terriblement mal. Au fil des années, les gouvernements se sont délestés de plusieurs responsabilités dans le domaine des services sociaux en s’appuyant sur les organismes communautaires pour prendre le relais. Les coupes qu’on leur inflige aujourd’hui vont entraîner la disparition de toute une frange de services devenus essentiels. Ces services ne seront plus assumés, ce qui est un scandale qui va entraîner une déstructuration importante. Les groupements d’aide et d’entraide perdront leur capacité d’agir. Bref, les groupes sociaux sont attaqués et risquent fort de ne plus arriver à jouer leur rôle de défense des citoyens et des plus démunis.

En plus de ce saccage, les gouvernements s’attaquent de front au mouvement syndical, notamment en entravant leur capacité de négociation par l’imposition de lois spéciales. Dans le secteur municipal québécois, l’État pourra dorénavant imposer une convention collective après un très court délai de négociation. Dans le secteur de la construction, le gouvernement a imposé les conditions de travail par décret. Dans le secteur de la santé et des services sociaux, la fusion des établissements sur une base régionale a littéralement déconstruit les syndicats. En forçant tout d’abord ces derniers à se marauder. Ils en sont maintenant à tenter de se réorganiser pour offrir des services sur un territoire souvent immense. Cette opération de fusion d’établissements avait été enclenchée par le gouvernement Charest. Couillard l’a menée à terme. La capacité des syndicats à s’organiser, à combattre et à se mobiliser contre la privatisation du réseau en sera grandement affectée.

S.D. – Parlons directement alors de la situation actuelle. Comment s’est déroulée en 2015 la négociation et la lutte des employé-e-s des secteurs public et parapublic ici en Outaouais ?

M. Q. – Pendant la dernière ronde de négociation, la mobilisation était importante. Malgré l’enthousiasme sur les lignes de piquetage à l’occasion des journées de grève du Front commun, chacun savait bien qu’il serait difficile d’arracher les augmentations de salaire espérées. Malgré tout, les travailleuses et les travailleurs voulaient signifier à ce gouvernement libéral leur colère face au mépris de ce dernier envers eux. Par ailleurs, les compressions imposées aux différents réseaux (santé, éducation) ont nécessairement eu un impact sur la galvanisation des troupes.

La solidarité entre les travailleuses et les travailleurs des différents milieux étaient palpables au quotidien. Les grévistes du milieu de l’éducation venant renforcer les lignes de piquetage devant les centres hospitaliers soumis à la loi sur les services essentiels ont contribué à accentuer la détermination des militantes et des militants.

Mais la mobilisation autour des journées de grève avait été bâtie bien avant. Depuis l’automne 2014, les nombreuses manifestations dénonçant le projet de loi 10[2] ont permis de rassembler des milliers de personnes à la manifestation du 1er mai 2015 à Gatineau. Cette manifestation était probablement la plus importante que la région ait connue.

Cette atmosphère de combativité s’est estompée après l’entente de principe intervenue entre le Front commun et le gouvernement en décembre 2015. Les syndicats et les travailleuses et les travailleurs affiliés à la FSSS-CSN ayant rejeté l’entente de principe sont particulièrement restés sur leur faim.

S.D. – Tu as mentionné déjà que les gens ont été déçus des résultats de la négociation. Peux-tu expliquer rapidement ce que tu entendais ainsi ?

M. Q. – Essentiellement, ce sont les travailleuses et les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux qui ont exprimé leur déception. Le retard salarial accumulé au fil des décrets, les compressions majeures dans le réseau depuis près de 20 ans, l’accélération de la privatisation de certains services, les surcharges de travail, la pénurie de main-d’œuvre dans certains titres d’emploi exaspèrent particulièrement ces salarié-e-s.

En plus de tout ceci, la réorganisation perpétuelle de ce réseau était une grande source de mobilisation des travailleuses et des travailleurs de la santé et des services sociaux.

Les restrictions importantes au droit de grève dans les services de santé à cause de la loi sur les services essentiels, et la menace constante de décret des conditions de travail rendent difficile la poursuite de la lutte sans le support de l’ensemble des composantes du Front commun.

S.D. – Approfondissons quelque peu. La bataille généralisée des accréditations qui a amené la dissolution de l’unité militante du Front commun était-elle nécessaire ? Bien sûr, c’est le gouvernement qui en a créé toutes les conditions, mais pourquoi les centrales s’y sont-elles laissé entraîner si facilement ? On peut avoir l’impression qu’elles ont foncé tête baissée, sans essayer de considérer les choses de plus haut, en ne se demandant pas d’abord ce qui pouvait correspondre à l’intérêt supérieur des employé-e-s du public et du parapublic; par routine en quelque sorte. Puisque le gouvernement ouvrait une période de ré-accréditation et de maraudage généralisée, on y allait à fond de train. Mais les grandes centrales n’auraient-elles pas pu se préparer différemment (on savait depuis des années que ça s’en venait) ? Par exemple, annoncer que d’un commun accord chaque syndicat allait garder le même nombre de membres, qu’on « gelait » en quelque sorte les effectifs syndiqués par centrale et qu’on allait ensemble voir comment opérer les réorganisations. N’aurait-il pas été nécessaire qu’on annonce publiquement à nouveau qu’il n’était pas légitime que dans des milieux à l’identité et à l’histoire si fortes, le gouvernement s’arroge le droit de bousculer tout le monde et de définir par lui-même les « frontières » de l’organisation en syndicats ? Je sais que les choses sont plus compliquées, parce que les organisations doivent voir à leur propre survie et que le gouvernement leur a asséné tout cela sur la tête. Mais il me semble, en tout cas vu de l’extérieur, qu’il y a peut-être eu un manque de réflexion ou d’élaboration, et que la routine a en quelque sorte défini l’orientation.

M. Q. – Tout d’abord, le projet de loi 10 visait la reconfiguration de l’ensemble des établissements par la fusion des centres par région administrative. Pour l’Outaouais, c’était la fusion de dix centres. Cette loi a conféré également un immense pouvoir au ministre de la Santé, notamment celui de nommer les administrateurs des établissements et celui de pouvoir privatiser les services, pour ne nommer que ceux-ci. La mobilisation contre ce projet de loi a été à la fois citoyenne et syndicale. La CSN a placé à l’avant-plan la lutte pour la préservation des services publics de santé en faisant passer les intérêts citoyens en premier.

L’automne 2014 et l’hiver 2015 ont été marqués par de nombreuses dénonciations du gouvernement et des manifestations. Dans la région de l’Outaouais, en l’espace de quelques mois, c’est tout près d’une centaine de manifestations qui ont été menées par les militantes et les militants de la CSN. Malheureusement, nous étions la plupart du temps la seule organisation syndicale prête à se battre. Certains syndicats dits professionnels voyaient en ce projet de loi une opportunité d’accroissement de leurs effectifs, compte tenu de la division en catégories d’emplois du réseau. La fusion des établissements réactivait la loi 30 (utilisée dans les premières vagues de fusion en 2004-2005) et imposait un maximum de quatre syndicats par établissement de santé. Le niveau initial de représentation des membres CSN dans les catégories d’emplois des techniciennes, techniciens et professionnels-les du réseau ne nous a pas permis de les gagner.

Évidemment, le gouvernement Couillard savait très bien que cette restructuration des syndicats aurait un impact direct et immédiat sur notre capacité à mener des luttes. Ce phénomène avait été observé lors de la vague de fusions en 2004-2005. Les fusions du printemps dernier ont parfois créé des syndicats de plus de 5000 membres répartis dans une centaine de points de service sur des territoires immenses. Toutefois, nous croyons qu’en révisant notre façon de voir la vie syndicale, nous serons en mesure de surmonter les effets négatifs de cette fusion en bâtissant une structure de proximité.

S.D. – Et par rapport à l’idée d’une entente qui aurait « gelé » les effectifs de chaque syndicat-centrale, avec des négociations entre eux pour voir comment fonctionner? Parce qu’il semble bien que toute l’initiative ait été laissée au gouvernement, que le syndicalisme ait été placé en mode réactif…

M. Q. – Peut-être que cela aurait pu être envisagé. Une réflexion aurait pu nous porter plus loin. Malheureusement, les événements se sont précipités à travers un agenda que nous ne contrôlions pas. Le gouvernement, en imposant les échéances, a fait en sorte que nous avons dû lutter sur plusieurs fronts à la fois. Par ailleurs, comme mentionné précédemment, certaines organisations syndicales indépendantes représentant exclusivement des professionnels-les n’auraient pas voulu d’un tel pacte sur le gel des accréditions et des effectifs. Ces organisations voyaient une opportunité de gonfler le nombre de leurs membres au détriment des syndicats industriels tels ceux de la CSN et de la FTQ.

S.D. – Quels sont les défis actuels auxquels vous faites face ?

M. Q. – Plusieurs syndicats, mais aussi d’autres types d’organisation de la société civile, éprouvent des difficultés à susciter la participation de leurs membres. Je ne saurais vraiment dire pourquoi. Cependant, je trouve un peu courte l’analyse ou l’idée que cela serait dû à la montée de l’individualisme et au repli vers la vie privée. Certes, il y a un peu de ça. Mais souvenons-nous de ce que plusieurs disaient des étudiantes et des étudiants : ils auraient été individualistes et peu enclins à participer à des mouvements collectifs. Tout cela a volé en éclats le jour où ils ont compris le pouvoir qu’ils avaient en s’organisant pour réclamer le gel des frais de scolarité et la gratuité scolaire.

Je crois que toutes les organisations sociales, que ce soit les syndicats, les associations ou bien un parti politique, n’arrivent à dynamiser la participation qu’à la condition que ceux qui s’y investissent aient le sentiment de contrôler leur mouvement. Sinon peine perdue. Le mouvement syndical doit prendre acte de ce fait.

Par ailleurs, les organisations qui réussissent à entraîner leurs membres dans l’action sont celles qui arrivent à circonscrire leurs luttes. D’une certaine manière, la CSN a le défaut de ses qualités. Elle mène plusieurs combats à la fois, ce qui a pour effet de désorienter plusieurs de nos membres.

Également, malgré tous les efforts à intégrer les différentes communautés culturelles dans nos actions, plusieurs syndicats CSN éprouvent des difficultés à intégrer ces dernières dans leurs rangs. Ceci a un impact direct sur notre capacité à mobiliser l’ensemble de nos membres dans nos luttes.

Il est aussi important de se pencher sur les processus de la syndicalisation. Ainsi, les efforts importants pour syndiquer les travailleuses et les travailleurs des dépanneurs Couche-Tard n’ont pas donné les résultats escomptés. Notre mouvement doit revoir les façons et les opportunités de syndicalisation afin de s’adapter aux changements constants du marché du travail. L’avenir du mouvement syndical en dépend.

S.D. – Tu t’es activement impliqué comme président du CCSNO dans la lutte des étudiants de 2012. Pourquoi cette implication ? Lors des élections, que faites-vous généralement, êtes-vous engagés politiquement ?

M. Q. – Nous trouvions au conseil central que les étudiantes et les étudiants voyaient juste dans leur opposition à la hausse des frais de scolarité et dans leurs revendications en faveur d’une éducation gratuite. Leur mouvement remettait en question les politiques néolibérales qui nous tombent dessus depuis maintenant trois décennies. Ils exprimaient et concentraient toutes les luttes sociales. Nous ne pouvions rester à l’écart. Nous avons discuté des revendications étudiantes avec nos membres, et avons, avec des professeur-e-s du cégep et de l’université, organisé une discussion en assemblée générale du conseil central.

Quant à ta question sur notre engagement lors d’élections, le CCSNO s’implique toujours. À chacune des élections, nous travaillons avec d’autres groupes afin d’organiser des débats entre les différents candidats et candidates. Cela est toujours très apprécié de nos membres. Nous cherchons à faire ressortir les propositions des différents partis politiques et à les évaluer. Nous travaillons actuellement avec une coalition syndicale et populaire pour dénoncer la privatisation de nos grands réseaux publics de santé et d’éducation.

Les cinq députés provinciaux représentant la région sont tous libéraux. Il serait donc légitime de penser que la région soit au centre des priorités gouvernementales. Or, c’est exactement le contraire qui se produit. Lorsqu’on se compare à des régions semblables à la nôtre, on s’aperçoit que nous sommes sous-financés, tant en santé qu’en éducation.

Je crois que les syndicats doivent profiter des élections pour intervenir et faire valoir ce qui est important pour leurs membres. Les élections provinciales approchent rapidement. Je crains de voir le Parti libéral reprendre le pouvoir. Ce serait une catastrophe pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens. S’il forme un gouvernement encore majoritaire pour quatre ans, nos services publics risquent d’être l’objet d’un démantèlement majeur.

S.D. – Présentement et pour l’avenir, comment vois-tu le rôle de la classe ouvrière dans un projet de transformation en profondeur de la société ? Y crois-tu toujours ?

M. Q. – Les salarié-e-s ne pourront réellement faire de gains que s’ils prennent conscience de leurs forces et de leurs capacités à transformer la société. Pour que cette prise de conscience s’effectue, ils ont besoin de s’organiser. La solidarité n’est pas naturelle et spontanée, elle doit être structurée et réfléchie. Les organisations syndicales ont un rôle important à jouer dans l’organisation de la conscience ouvrière.

Je crois que le mouvement syndical doit aujourd’hui évaluer les difficultés qui se trouvent devant lui. Depuis bon nombre d’années, le mouvement cherche à se redéfinir. La CSN cherche à le faire depuis plusieurs années, mais me semble-t-il plus sérieusement depuis le congrès de juin dernier. Elle a dû prendre acte des désaffections subies au cours de la campagne de maraudage dans le secteur de la santé au cours de l’hiver dernier. La CSN a été profondément perturbée par cette campagne, où trop de membres ont préféré aller du côté de syndicats indépendants, non affiliés et uniquement tournés vers la défense de la convention collective. La défense de la convention n’est évidemment pas un défaut, mais le mouvement syndical ne peut en rester là.

Au sortir des résultats du dernier maraudage, j’ai eu peur que la CSN se replie sur elle-même, mais au contraire elle cherche de nouvelles façons de faire, tout en préservant ce qui la caractérise, à savoir ses interventions sur les aspects politiques et sociaux de notre société.

La CSN, avec ses fédérations qui représentent à peu près l’ensemble des secteurs économiques, et ses conseils centraux qui sont répartis sur l’ensemble du territoire du Québec, a la capacité d’aider l’ensemble des mouvements sociaux à se structurer pour engager des luttes. Peut-être qu’au fil du temps, la CSN a elle-même perdu la conscience de sa propre force, et a douté de ses capacités. Peut-être que les victoires décisives ont été peu nombreuses dans les dernières années, et que l’enthousiasme a fait place au découragement.

Je pense néanmoins que le mouvement des travailleuses et des travailleurs n’a pas dit son dernier mot. Les luttes et les stratégies vont se transformer, mais je suis convaincu qu’elles passent par l’organisation de coalitions les plus larges possible.

par Serge Denis[1]

Notes

  1. Professeur émérite en études politiques à l’Université d’Ottawa.
  2. Loi parrainée par le ministre Gaétan Barrette, adoptée sous le bâillon en 2015, et qui a réformé de façon majeure le réseau de la santé et des services sociaux.

 


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