D’un ballon d’essai à l’autre, les Québécois-e-s comprennent que le gouvernement actuel est entré dans l’ère de l’austérité. Cette stratégie consiste essentiellement à réviser les programmes destinés à offrir des services publics. C’est donc à coup de coupures et de compressions que nous renouerons avec la prospérité, dit le gouvernement.
La Ligue des droits et libertés du Québec (LDL) est un organisme de défense des droits humains et, à ce titre, elle est légitimée de soulever la question de la prise en compte de ces droits par la Commission de révision permanente des programmes.
En effet, les droits humains s’imposent à tout gouvernement et ce, au-delà de l’ordre du jour politique. Les droits humains ne constituent pas un luxe, voire une idéologie, mais bien une exigence démocratique. Or, tant sur le plan des modes de consultation que sur celui de la sauvegarde des droits eux-mêmes, et notamment des droits sociaux, le gouvernement actuel manque à ses devoirs.
L’Europe a récemment joué dans un film de même nature. Et des troïkas diverses ont imposé à des citoyen-ne-s des stratégies dites d’austérité. Pensons à la Grèce, au Portugal ou à l’Espagne. Les conséquences catastrophiques de telles stratégies ont récemment fait réagir le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans un document rendu public en 2014 et intitulé Protéger les droits de l’homme en temps de crise économique. Dans le contexte québécois, on peut s’interroger au sujet de l’évocation d’une crise économique. Quelle crise? Mais au-delà de cette question fort importante – le Québec n’est pas en crise – on peut tirer des enseignements intéressants du document rendu public par le Commissaire. Déjà en 2012, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait signalé dans un Rapport que la consolidation budgétaire, ce qui est peut-être plus près de la stratégie du gouvernement québécois, aggravait la crise sociale. En 2014, le Commissaire prenait acte de cette crise sociale qui illustre de nombreuses atteintes aux droits humains.
On apprend dans le Rapport de 2014 que le chômage européen a augmenté de façon draconienne dans la zone euro, mettant ainsi en péril le droit de travailler de même que celui à un niveau de vie adéquat; que les réformes dans les régimes de retraite et dans les programmes d’assistance sociale ont augmenté la vulnérabilité des personnes, diminuant ainsi leur droit à la sécurité sociale; que le droit au logement est également affecté, entraînant une augmentation du nombre des sans-abris; que les nombreuses réductions des budgets alloués à l’éducation ont réduit l’accessibilité et la qualité de l’éducation. Ces atteintes concernent aussi les droits civils et politiques. Ainsi, ces mesures ont été implantées en faisant fi de toute exigence de transparence, voire d’une consultation effective des populations. Et que dire des médias, dont la liberté et les moyens ont été réduits à une peau de chagrin?
Bref, vu sous l’angle de l’exigence des droits humains, l’austérité ne fonctionne pas et ne constitue pas une stratégie acceptable. Et avec un léger décalage temporel, on constate que les mesures d’austérité envisagées par le gouvernement québécois sont de même nature que celles dont les conséquences affligent les populations en Europe. Dans le contexte européen, des tribunaux nationaux ont même dans certains cas conclu à l’inconstitutionnalité des mesures d’austérité (en Grèce et au Portugal, notamment).
L’élimination du déficit budgétaire, ici comme ailleurs, ne constitue pas une excuse légitime qui exempterait le gouvernement d’une part, d’une analyse des effets de ces mesures sur les droits, et d’autre part, de la participation effective des titulaires de droits à quelque projet de réingénierie des programmes sociaux tout comme des services publics. Tous les moyens d’équilibrer le budget ne s’équivalent pas au niveau des droits. L’augmentation des recettes fiscales au moyen d’un impôt sur le revenu plus progressif ne porte atteinte à aucun droit, contrairement à la réduction de l’accès aux programmes sociaux ou culturels.
Les droits humains sont interdépendants, indivisibles et indissociables. Perdre son boulot, c’est être privé de l’exercice du droit au travail librement consenti et du droit à la dignité. Voir sa retraite atteinte par l’effet d’une loi constitue non seulement une atteinte au droit à la protection sociale, mais aussi au droit à la libre négociation de ses conditions de travail.
Au-delà du principe de l’interdépendance de tous les droits, les traités internationaux auxquels le Québec a adhéré exigent de celui-ci qu’il respecte une autre règle : celle de la non-régressivité dans la mise en œuvre de tous les droits. Enfin, faut-il rappeler qu’un État a le devoir immédiat de veiller à l’aspect non discriminatoire de toutes ses décisions politiques et économiques?
De plus, quels moyens prend-il afin d’assurer la participation éclairée et informée des citoyen-ne-s à un tel exercice? La LDL estime que la plateforme web actuellement en place ne respecte pas cette exigence.
Si le gouvernement québécois décide de réviser les programmes, et plus particulièrement les programmes sociaux, il doit garantir qu’un tel exercice n’aggrave pas les inégalités. Quels moyens le gouvernement québécois prend-il à cette fin? De plus, quels moyens prend-il afin d’assurer la participation éclairée et informée des citoyen-ne-s à un tel exercice? La LDL estime que la plateforme web actuellement en place ne respecte pas cette exigence.
Le Québec n’est pas à court d’institutions capables d’accompagner le gouvernement dans une démarche de révision des programmes et ce, afin de garantir que les exigences des droits humains soient respectées, tant sur le plan démocratique – la participation – que substantif – le non-recul dans la réalisation des droits. Il n’est pas non plus à court de moyens. La révision des programmes exige donc l’analyse des conséquences de quelque coupure ou réforme sur les droits des citoyen-ne-s, que l’on aurait tort de réduire à leur statut d’usager-ère, de client-e ou de contribuable. Vu sous l’angle des droits humains, la finalité des programmes consiste à respecter les droits des personnes à qui ils sont destinés et non à ériger en exercice idéologique et indépendant des droits l’équilibre des finances publiques. Qui bénéficiera d’un tel équilibre?
Le gouvernement a l’obligation d’administrer les finances publiques en fonction de ses obligations en matière de droit humains. Il est grand temps de le lui rappeler!
Ricochet, 25 octobre 2014
Lucie Lamarche est professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal et membre du CA de la Ligue des droits et libertés.
Dominique Peschard est président de la Ligue des droits et libertés.