Marx écologiste

Marx écologiste ? L’opinion courante est que Marx et le marxisme se situent du côté d’une modernité prométhéenne, anthropocentrée, qui ne considère la nature que pour mieux la dominer et l’exploiter, selon une logique productiviste qui fut celle tant du capitalisme que du socialisme historique. L’écologie, comme discipline scientifique et comme politique, aurait ainsi à se construire en rupture avec l’héritage marxiste ou, du moins, au mieux, en amendant considérablement celui-ci pour qu’il soit possible de lui adjoindre des préoccupations qui lui étaient fondamentalement étrangères.

Pour l’auteur : Marx était, bien avant l’heure, « écologiste », même si ni le terme ni le concept n’existaient alors. Par une lecture attentive des manuscrits de Marx mais aussi de ses œuvres publiées, des Manuscrits de 1844 au Capital, il démontre que le supposé « prométhéisme » du penseur allemand est en grande partie inexistant. Marx était au contraire bien conscient de la fragilité du fonctionnement des mécanismes naturels que le capitalisme menaçait de plus en plus. La « rupture métabolique » au sein de la nature qu’il constatait au XIXe guidait sa critique du capitalisme au même titre que l’exploitation de l’homme par l’homme.

Il soutient que « Marx a proposé une lecture puissante de la principale crise écologique de son époque, à savoir le problème de la fertilité des sols dans l’agriculture capitaliste, et qu’il a formulé des analyses sur les autres crises écologiques majeures contemporaines, comme la disparition de forêts, la pollution des villes et le spectre malthusien de la surpopulation. Ce faisant, il soulevait des problèmes fondamentaux concernant l’antagonisme entre la ville et la campagne, la nécessité de la soutenabilité écologique et ce qu’il appelait la relation « métabolique » entre les êtres humains et la, nature. Dans sa théorie de la rupture métabolique et dans sa réponse à la théorie évolutionniste de Darwin, Marx a contribué à mettre en place les fondements d’un matérialisme historico-environnemental prenant en compte le coévolution de la nature et de la société humaine »

Mais John Bellamy Foster va plus loin. Pour lui Marx s’intéressait aux problèmes écologiques parce qu’ils posaient les questions de durabilité et de régulation rationnelle du métabolisme des sociétés humaines et de la nature à travers l’organisation du travail humain. Pour lui, il s’agissait là d’une question centrale pour la construction d’une société communiste, qui exigeait une nouvelle relation à la nature.

Foster concède que les crises écologiques contemporaines pèsent de manière bien plus importante dans certaines visions de la révolte anticapitaliste – à un degré que Marx n’a pas, et n’aurait pas pu, anticiper. Mais il assure que les visions globales des caractéristiques écologiques d’une révolution socialiste sont à peine plus radicales que celle que Marx avait lui-même envisagé à travers l’idée d’une dissolution des relations antagoniques entre villes et campagnes, et la tentative de venir à bout de la rupture métabolique via une production soutenable s’appuyant sur une collectivité de producteurs associés librement.

Autrement dit concevoir une alternative viable aux tendances écologiquement destructrices de la société capitaliste passait par le passage à une société contrôlée par des producteurs associés, une société caractérisée par l’extension du temps libre et par son organisation collective et démocratique.

Une conception radicalement neuve et à construire. En cela Marx est bien toujours d’actualité.

John Bellamy Foster est, avec Barry Commoner, James O’Connor et Joel Kovel, une des figures les plus importantes de l’écosocialisme aux USA. Il enseigne la sociologie à l’université de l’Oregon et dirige depuis 2000 la prestigieuse Monthly Review. Il est notamment l’auteur de Marx’s Ecology. Materialism and Nature (Monthly Review Press, 2002).

Articles récents de la revue

Nommer et combattre un système d’immigration colonialiste et raciste

Outre la régularisation des personnes sans papiers, il faut obtenir une refonte du système d’immigration : au lieu de produire vulnérabilités et discriminations, il s’agit...