Pourrais-tu présenter ton parcours?
Avant d’être un écologiste, un activiste ou un environnementaliste… peu importe le -iste, je suis surtout soucieux du bien commun. Je suis impliqué de longue date au niveau communautaire, par tradition familiale pourrait-on dire. Mais c’est le fait de devenir citoyen de Rimouski qui m’a amené graduellement vers les questions environnementales.
C’est en 2005, alors que j’étais installé ici depuis onze ans, que mon action militante a commencé à se cristalliser. Nous étions alors dans la campagne pour les élections municipales, avec un maire sortant, Michel Tremblay, qui avait occupé le poste pendant douze ans. M. Tremblay était qualifié de « petit Duplessis régional ». C’était un homme qui n’avait pas vraiment d’affinités avec le communautaire. Pour lui, le communautaire c’était les soupes populaires, et le centre local de développement, le pôle des communistes. Tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de la collectivisation l’irritait beaucoup. Il était dans les bonnes grâces du Parti libéral du Canada et avait été interrogé deux fois par la Commission Gomery, chargée de faire la lumière sur le scandale des commandites. Il y avait eu des incidents au sein du conseil des maires de la MRC. À cela s’ajoutait un manque de considération des étudiants mais aussi des personnes âgées, de sorte que la campagne était teintée par une grogne collective.
Michel Tremblay a annoncé tardivement qu’il ne se présenterait pas pour un autre mandat. Toutefois son dauphin, Éric Forest, alors directeur du club de hockey junior majeur l’Océanic, était prêt à reprendre son siège – et personne ne doutait qu’il l’aurait. C’est dans ce contexte que j’ai décidé de m’impliquer, en devenant un porte-voix pour tous les gens qui étaient insatisfaits mais qui, pour une raison ou une autre, ne pouvaient pas s’exprimer. À 32 ans, alors que j’étais très peu connu localement, j’ai fait le tour des organismes communautaires : le regroupement contre l’appauvrissement, les organismes économiques, j’ai parlé aussi avec des entrepreneurs de la chambre de commerce. Je leur donnais une adresse courriel – en 2005, il n’y avait pas les médias sociaux – et je leur disais : « Si vous croyez qu’il y a des dossiers qui n’avancent pas et que quelqu’un pourrait les porter, écrivez à ce courriel. » En l’espace d’une semaine, ma boîte débordait de dossiers. Alors avec deux autres personnes – dont une formée en science politique –, j’ai épluché l’ensemble de ces documents et nous avons décidé de monter une plateforme, un programme électoral. Nous nous sommes mis à rêver !
Ce qui revenait souvent dans les messages, c’était une soif de démocratie participative, cette soif de ne pas juste être consulté, d’être dans une forme de « particip’action », de pouvoir mettre l’épaule à la roue. À l’époque, je découvrais les travaux d’Elinor Ostrom, politologue et économiste américaine, sur le bien commun et le rôle des collectivités. Nous nous sommes demandé comment traduire cette notion dans le monde municipal, car nous sentions ce désir de bien commun dans la population. Nous avons trouvé un nom à notre programme : on dit toujours qu’il faut « bâtir une ville »… notre programme est devenu « Bâtir le bien commun ».
À ce moment-là, si je comprends bien, on est dans un système tranquillement assis sur les manières traditionnelles de faire de la politique, avec quelques services, mais peu de considération pour les groupes communautaires et les différents intérêts. Est-ce que votre action a permis de changer cet état de fait ?
On dit souvent que les Rimouskois sont bourgeois, que Rimouski est une ville snob. En 1996, dans le cadre des festivités du 300e anniversaire de Rimouski, j’ai assisté à une conférence de Guy Bouthillier, politologue québécois, qui présentait la ville comme très chauvine et élitiste, avec historiquement un clergé « greffé » au monde politique et aux notables. Cette conférence m’est restée en tête. Je sens encore des relents de cet esprit-là, celui d’un appareil administratif tourné vers le monde des affaires beaucoup plus que vers le citoyen. Une ville que l’on pourrait appeler Rimouski Inc., où l’offre de services ne vise pas tant la qualité de vie que l’amélioration de la productivité des travailleurs. Où, à chaque fois que la population s’oppose à des projets favorables aux promoteurs, elle est disqualifiée.
En 2005, je me suis finalement porté candidat à la mairie et j’ai créé un site internet où était présenté le programme que j’avais construit à partir des consultations. Ce programme reposait sur huit grands axes, dont le premier visait l’inclusion sociale et la lutte contre la pauvreté. Venaient ensuite la densification urbaine et le développement du logement social, la place faite aux étudiants et aux institutions de recherche et d’enseignement, le développement soutenable – je trouvais la notion de développement durable déjà usée –, le soutien aux organismes communautaires, l’environnement, le transport collectif, et enfin le lien avec les municipalités rurales et le fleuve. C’était un programme assez novateur sous plusieurs aspects. J’étais notamment le premier candidat dans l’histoire de Rimouski qui présentait un programme enchâssé dans des notions environnementales.
L’idée pour moi n’était pas d’être élu. Je considérais que je n’avais pas suffisamment d’expérience pour diriger une communauté. Mais ma campagne a créé la surprise, et j’ai obtenu près de 30 % des voix. Éric Forest, qui n’était pas préparé à faire campagne à ce moment, a été obligé de se positionner par rapport à mes propositions, quitte à pratiquer la surenchère. Voyant la grogne de la population tout au long de sa campagne, et étant donné qu’il n’avait pas un programme très étoffé, il s’est engagé à organiser une consultation publique, « Rimouski 2006 », dans l’année suivant son élection. Fort de cet exercice, M. Forest s’est fait réélire en 2009 en promettant une plus grande consultation. Une nouvelle consultation est donc menée de 2011 à 2012, avec cette fois pour horizon l’année 2020. Et Rimouski se dote pour la première fois d’un plan de développement durable.
Cet effort de consultation est louable, d’autant plus qu’il y a alors en trame de fond, au Québec, les affaires de corruption dans le monde municipal impliquant le Parti libéral, Jean Charest refusant une commission d’enquête – Éric Forest s’était présenté comme candidat du Parti libéral en 2003… Mais en termes de développement durable, les modèles d’urbanisme mis en œuvre à Rimouski comme la cité des achats, l’étalement urbain, les rues larges comme des boulevards dans des quartiers résidentiels, laissent à désirer. Or le maire à la tête de Rimouski ces quatre dernières années, Marc Parent, sans être clairement le dauphin d’Éric Forest, était dans la continuité de cette pensée néolibérale.
Tu prônais donc une redéfinition assez substantielle du rôle de la municipalité, à la fois dans sa région et vis-à-vis des citoyens, et tu te retrouvais de fait dans un rôle d’opposition. Comment fait-on pour peser dans cette configuration-là, pour essayer de réformer la machine municipale de l’intérieur ?
Au lendemain de l’élection, qu’elle le veuille ou non, la personne élue se trouve face à sa liste d’épicerie, à ce qu’elle a promis. Les personnes concernées par les propositions initialement formulées dans mon programme et reprises par Éric Forest – on parle de groupes communautaires, de porteurs de projets, d’associations étudiantes, de tout un écosystème citoyen – lui ont dit : « Maintenant que vous avez fait des promesses, et qu’en plus vous nous avez consultés, il faut que les bottines suivent les babines » – une expression que M. Forest aimait à répéter. Il a été contraint de développer le logement social, les pistes cyclables, de donner plus de place à différentes associations.
Réformer de l’intérieur s’avère beaucoup plus difficile. Durant la campagne de 2005, dans une rencontre avec la chambre de commerce, à la question de savoir comment il composerait si j’étais élu, le directeur général de la municipalité a répondu : « Les maires passent, les fonctionnaires restent, ça ne m’énerve pas, j’en ai vu d’autres, des maires. » L’appareil a une résistance très forte au changement, à la réforme, l’innovation. Cette culture-là est toujours présente dans le monde municipal, de sorte qu’il est difficile d’incarner des changements majeurs qui pourraient devenir des points de bascule. De fait, une personne qui souhaite se faire élire pour apporter de véritables changements n’a pas intérêt à afficher complètement ses couleurs, sans quoi elle ne sera jamais élue. Elle doit tenir compte du payeur de taxes moyen, qui se soucie avant tout de son assiette fiscale et se considère comme un consommateur plutôt que comme un citoyen avec des devoirs et des responsabilités envers sa collectivité.
Est-ce que cela signifie qu’il n’y a pas d’espaces stratégiques au niveau municipal ? Comment faire advenir ces points de bascule dont tu parles ?
C’est généralement dans les épreuves collectives que se développent l’entraide, la solidarité régionale, quand on n’a pas le choix de relever les manches et d’aller aider son voisin. Rimouski étant un pôle commercial, si les municipalités rurales alentour se dévitalisent du fait du vieillissement de la population, si ce bassin de consommateurs ne vient plus à la cité des achats comme il le fait aujourd’hui, cela entraînera peut-être une remise en question. Le vieillissement de la population crée déjà des tensions importantes au niveau de la main-d’œuvre. On manque notamment de personnes formées dans des métiers spécialisés. Cette réalité est aussi présente dans l’appareil administratif municipal, alors que des employés municipaux qui « géraient la machine » depuis longtemps prennent leur retraite et que l’on a du mal à trouver de la relève. Au vieillissement de la population se superpose la crise climatique, qui amène de nouveaux défis. Les impacts sont déjà visibles au Bas-Saint-Laurent : l’érosion des berges, les sécheresses anormales qui limitent la recharge des nappes phréatiques, avec les conséquences que l’on sait pour l’agriculture. Or les municipalités ne gèrent plus seulement les égouts et le pavage de routes, elles ont de plus en plus de responsabilités.
Du chemin a tout de même été parcouru depuis Michel Tremblay, mais certaines choses sont perfectibles. Par exemple, on est très loin de ce que devrait être un véritable budget participatif, avec des leviers pour lesquels la population décide. Le conseil municipal sortant a également connu un important conflit sur la question des comités pléniers. À Rimouski comme dans beaucoup d’autres municipalités, il y a une alternance entre séances du conseil à huis clos et comités pléniers ouverts aux citoyens. Devant la population, le maire fait la lecture de l’ordre du jour, nomme le point, dit « proposé par » le conseiller qui est désigné d’avance. Le conseiller lève la main, dit son nom, referme son micro. Le maire dit « appuyé par », et un autre conseiller ouvre son micro et le referme. Ainsi, le citoyen est exclu, dans sa propre cité, du débat qui a eu lieu en amont de la décision. Les conseillers eux-mêmes n’ont pas toujours beaucoup de temps à consacrer aux dossiers et peuvent avoir tendance à s’appuyer sur les recommandations de l’appareil administratif qui, lui, s’appuie sur des avocats, des urbanistes, le service des travaux publics, les greffiers, etc. Or les citoyens doivent pouvoir s’assurer que le conseiller qui représente leur quartier défend véritablement leurs intérêts.
Le problème se pose ailleurs qu’à Rimouski. Rémy Trudel, enseignant à l’ENAP et ancien ministre des Affaires municipales, a d’ailleurs critiqué ouvertement les comités pléniers au motif qu’ils ne respectaient pas l’esprit de la loi. Mais ici le conflit a conduit à l’exclusion d’une conseillère municipale, Virginie Proulx, qui questionnait cette manière de faire. On comprend qu’un conseiller qui lève trop souvent la main, demande plus d’explications, puisse être considéré comme un « caillou dans le soulier » et qu’il soit mis de côté pour rendre les choses plus faciles, pour terminer la réunion plus vite et retourner à ses obligations familiales, professionnelles ou autres.
Comme en 2005, la campagne actuelle est teintée par une certaine grogne populaire, qui pousse d’ailleurs certaines personnes à se porter candidates avec l’idée de « faire le ménage » et de repartir sur de nouvelles bases. Dans certains districts de Rimouski, on compte jusqu’à quatre conseillers ou conseillères en lice. C’est un signe que l’on souhaite une meilleure santé du conseil municipal, même si les gens ne se présentent pas toujours pour les bonnes raisons. Certains se positionnent face à des dossiers problématiques, comme une usine de béton bitumineux dans une zone quasi-rurale ou des terrains contaminés près d’une école primaire, ou encore la vitesse de circulation des voitures. Ce dernier enjeu est présent depuis longtemps, mais il s’est accentué ces dernières années avec la multiplication d’accidents impliquant des piétons ou des cyclistes. Des citoyens se sont mis à installer des pancartes pour réclamer une limitation de la vitesse à 30 km/h dans les quartiers résidentiels.
La Ville a commencé à prendre cette demande au sérieux lorsque la population s’est opposée à un projet d’immeuble de six à huit étages pour des personnes retraitées, porté par un promoteur privé. Les gens s’y sont opposés en bonne partie en raison de l’augmentation de la circulation que cela allait engendrer. La Ville a proposé de mettre en place dans le quartier concerné un projet-pilote de limitation de la vitesse à 40 km/h – ce qui reste encore trop rapide pour une zone résidentielle, selon les analyses de la SAAQ. Les citoyens n’étaient pas dupes : ils savaient que cette proposition visait à leur faire accepter le projet immobilier. On a le sentiment que la ville est gérée comme une entreprise.
Il y a donc une forme d’essoufflement de la manière traditionnelle de gouverner, qui continue malgré tout, alors que de nouveaux enjeux apparaissent. Tu parlais du rôle de la société civile en 2005 : est-elle encore présente aujourd’hui ? Est-ce qu’une contre-proposition commence à s’organiser ?
Face aux enjeux environnementaux, on a vu apparaître au milieu des années 2000 le concept de « villes en transition », dont je retiendrais deux choses. La première, c’est que nous allons être confrontés tôt ou tard à une diminution, ou déplétion, des énergies fossiles. Les courbes de production déclinent depuis déjà quelques décennies, et déclinent encore malgré l’arrivée des hydrocarbures non conventionnels en 2008. Soit nous mettons des mécanismes en place pour faire face à cette réalité, soit nous nous retrouverons collectivement devant un précipice. La deuxième chose, c’est que nous allons devoir faire face aux changements climatiques.
À Rimouski, plusieurs citoyens se mobilisent pour l’environnement. Je distinguerais parmi eux les « bâtisseurs » et les « gardiens ». Les bâtisseurs s’inscrivent dans l’idée de ville en transition. Un groupe « Rimouski en transition » a d’ailleurs été constitué en 2016 et plusieurs initiatives ont essaimé : jardins communautaires, Incroyables comestibles – promotion de l’agriculture urbaine comme levier de transition socioécologique et économique –, mise en place d’un nouveau comité transport. Il s’agit là du premier palier du modèle de ville en transition, soit la mobilisation et l’éducation citoyennes. Toutefois les étapes suivantes, à savoir la mobilisation des élus puis des entreprises pour appliquer ensemble un plan de transition, n’ont jamais été franchies, faute de collaboration de l’appareil administratif.
Les gardiens représentent quant à eux le noyau des activistes, mobilisés spécifiquement sur les enjeux liés aux hydrocarbures. La mobilisation s’est cristallisée autour de différents projets visant directement Rimouski : des permis de fracturation hydraulique octroyés à des compagnies pétrolières sur le territoire de la ville, un projet de transport par train des sables bitumineux de l’Alberta vers le Nouveau-Brunswick, qui aurait traversé Rimouski à raison de deux convois par jour. Puis sont arrivés les déversements de la compagnie Suncor en 2015 et en 2017, deux ruptures de canalisations à l’intérieur de la ville, dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Les « gardiens » se sont présentés plusieurs fois au conseil municipal, au fil des années, pour discuter ces dossiers.
La rencontre entre les bâtisseurs et les gardiens a eu lieu en 2018, lorsqu’ils se sont fédérés pour déposer une déclaration d’urgence climatique (DUC) au conseil municipal. Il y a eu à ce moment une convergence, une première collaboration. Il ne s’agissait pas d’instaurer un rapport de force, mais de pousser la Ville à s’engager, à mettre en place un plan d’urgence pour faire face à la crise climatique. C’était une main tendue des citoyens vers les élus. Lors d’une intervention, j’avais proposé que Rimouski soit la première ville à créer un poste d’« agent de la transition », quelqu’un qui serait amené à travailler avec les services municipaux et avec la population, à mener de véritables consultations pour tirer profit de l’intelligence citoyenne. Il était aussi proposé de tirer profit de notre milieu de recherche. Rimouski est une ville universitaire, avec des expertises sur l’érosion côtière, les impacts des changements climatiques, le développement régional. Nous devrions nous appuyer sur la science produite dans notre propre cité !
La déclaration a été adoptée – même si certaines propositions n’ont pas été retenues –, mais aucun plan n’a été produit. En 2019, les citoyens sont retournés devant le conseil municipal pour demander des comptes. Ironie du sort, ce soir-là, un autre citoyen déposait une pétition en faveur d’une grande surface commerciale. Les conseillers ont été invités à se prononcer un à un sur le projet : à l’exception de Virginie Proulx, tous y étaient favorables, avec pour leitmotiv qu’ils étaient « pour la libre entreprise ». Je crois que le rôle d’un conseil municipal n’est pas de favoriser la libre entreprise mais d’être un garde-fou, de poser des limites à cette libre entreprise qui peut confiner au capitalisme sauvage, surtout avec les défis qui sont devant nous.
Rimouski est-elle une exception, ou plutôt une incarnation parmi d’autres de ce vieux fonds un peu duplessiste du développement à tout crin ? Et dans ce constat plutôt pessimiste, y a-t-il des pistes pour l’avenir ?
Le modèle municipal québécois repose sur l’idée que pour éviter l’augmentation des taxes pesant sur les citoyens, il faut favoriser la croissance, donc créer de nouveaux quartiers résidentiels, accueillir des grandes surfaces. Ce modèle est pervers dans son essence. Il n’est pas rare d’entendre un conseiller municipal dire : « Moi, je croyais qu’on pouvait changer les choses, mais maintenant que je suis dans l’appareil, j’ai compris qu’on n’a pas le choix. » Ce n’est pas vrai : les exemples d’autres pays comme la Suède montrent que des changements sont possibles.
Si l’on veut amortir les prochains chocs, il faut atteindre une certaine autonomie collective. La pandémie nous a montré à quel point nous étions dépendants des chaînes d’approvisionnement. Au Québec, 60 % des fruits et légumes que nous consommons en période hivernale proviennent de la Californie, or ce garde-manger subit des incendies terribles. Je pense que l’on est capable, dans un horizon de cinq à dix ans, de mettre en place des mécanismes d’autoproduction locale.
Il y a certains indicateurs de changement. En 2005, j’étais le premier à Rimouski à inscrire l’environnement, le transport collectif, le développement soutenable dans mon programme, et j’étais assez seul sur ce terrain. Alors que dans la campagne actuelle, il y a une sorte de vague écologiste qui repose sur des candidats formés, préparés à devenir conseillers. On verra le taux de pénétration de ces idées-là dans les municipalités selon le nombre de personnes qui auront réussi à se présenter et surtout à se faire élire. Je trouve aussi intéressant qu’un parti axé sur la transition existe aujourd’hui dans la ville de Québec.
J’ai lu un auteur qui liait l’autonomie à la taille de la ville. Selon lui, au-delà de 30 000 habitants, il est difficile de penser atteindre une autonomie, car il faut pouvoir combler les besoins de chaque individu – se nourrir, se loger, s’habiller et quelques autres – à partir de ce que l’on est capable de produire localement. La pandémie nous a aussi montré que de nombreuses personnes dans notre région avaient faim, notamment dans les milieux ruraux. Certaines d’entre elles, par dignité, refusaient d’avoir recours aux banques alimentaires, ou s’y rendaient en toute discrétion. Des élus en ont pris conscience, et le conseil des maires a décidé de fournir un camion réfrigéré et des camions municipaux pour distribuer des aliments dans les municipalités rurales, en collaboration avec la banque alimentaire de la MRC. Le conseil des maires a également lancé une importante démarche pour devenir « MRC nourricière », en identifiant les terres disponibles pour l’agriculture. J’ai rencontré aujourd’hui le maire sortant d’une municipalité qui a décidé de reprendre avec son fils une terre tombée en friche : les coûts pour la rendre à nouveau cultivable s’élèvent à des milliers de dollars en comptant la machinerie. Il va falloir mettre l’épaule à la roue si l’on veut se nourrir à partir de nos sols, en tenant compte de notre climat. Avec l’hiver que l’on a, il ne faut pas espérer cultiver des brocolis et des fraises au mois de janvier, même avec des serres chauffées. Il va falloir travailler aussi à la transformation des aliments. Ce sont des éléments dont devront s’occuper les municipalités.
Tu parles d’autonomie, mais aussi de solidarité. Cette solidarité peut-elle être formalisée à d’autres échelles, au niveau régional ou national par exemple ? Et quel rôle pourrait jouer un tel espace démocratique pour les municipalités ?
L’éducation relative à l’environnement est importante pour « encapaciter » les citoyens. On pourrait aussi, à mon avis, former les gens à ce que j’appelle la « responsabilité civile ». Cela peut se faire dans le milieu scolaire, mais aussi dans le milieu municipal. On peut penser par exemple à la création de conseils de quartiers, pour que les conseillers municipaux soient véritablement les porteurs des attentes de leurs citoyens. Bien sûr, développer des responsabilités collectives peut être compliqué lorsque l’on passe des heures sur internet et les réseaux sociaux – qui sont aussi d’importants outils de partage de savoirs. Mais si on recrée un « terroir » facilitant, permettant aux gens de se rencontrer et de mettre en place des projets avec des leviers collectifs, je crois que c’est possible.