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Lorsque l’Histoire ne fait rien ou l’Idéologie allemande

par Michel PEYRET

Karl Marx, comme souvent en collaboration avec Engels, a rédigé « l’Idéologie allemande » autour de avril-mai 1846.

Cette approximation s’explique par le fait qu’ils n’avaient pu, à l’époque trouver un éditeur.

Cependant, cette importante élaboration, un travail qui compte dans l’oeuvre de Marx et Engels, fut retrouvé et publié pour la première fois de façon posthume en 1932 par David Riazanov, lequel fut responsable de l’institut Marx-Engels de Moscou et qui, d’ailleurs, ne tardera pas à disparaître comme nombre de communistes sincères, mais lui parce qu’il avait acquis le défaut majeur de trop bien connaître l’oeuvre de Marx pour laisser cautionner des faux.

Comme bien d’autres oeuvres de Marx-Engels, celle -ci a également été connue tardivement bien qu’elle soit d’une grande vigueur et qu’elle soit certainement l’exposition de la théorie de l’histoire selon Marx la plus longue, la plus détaillée et, comme telle, la plus compréhensible et accessible !

Est-ce bien utile de la connaître ?

L’HISTOIRE NE FAIT RIEN

Le questionnement apparaîtra étrange à plus d’une, à plus d’un, Marx n’est-il pas souvent présenté comme le « père », voire comme « l’inventeur » du matérialisme historique !

Pourtant, c’était le thème d’une intervention de Daniel Bensaïd à l’occasion du colloque « Pensare con Marx, ripensare Marx » qui s’est tenu à Rome le 26 janvier 2007 et mise à jour le 7 février 2010.

Il l’avait intitulée : « L’histoire ne fait rien. »

Il s’en expliquait ainsi : « Contrairement à une idée bien répandue, Marx n’est pas un philosophe de l’histoire…Il est plutôt l’un des premiers à avoir rompu catégoriquement avec les philosophies spéculatives de l’histoire universelle : providence divine, téléologie naturelle, ou odyssée de l’Esprit.

« Cette rupture envers « les conceptions vraiment religieuses de l’histoire » est scellée par la formule définitive de Engels dans la « Sainte Famille » : « L’histoire ne fait rien ! »

« Ce constat lapidaire, ajoute Daniel Bensaïd, écarte toute présentation anthropomorphique de l’histoire en personnage tout puissant tirant les ficelles de la comédie humaine dans le dos des êtres humains réels.

« Il est développé et décliné à de multiples reprises dans « L’Idéologie allemande ».

TOUT CE QUI ARRIVE DEVAIT-IL OBLIGATOIREMENT SE PRODUIRE ?

Marx et Engels y récusent une vision apologétique de l’histoire selon laquelle tout ce qui arrive devait nécessairement se produire pour que le monde soit aujourd’hui ce qu’il est, et pour que nous devenions ce que nous sommes : « Grâce à des artifices spéculatifs, on peut nous faire croire que l’histoire entrera une seconde fois « les possibles latéraux » ( selon l’expression de Pierre Bourdieu ) qui ne sont pourtant pas moins réels…que le fait accompli résultant d’une lutte incertaine… »

Et Daniel Bensaïd de citer Blanqui : « Parce que les choses ont suivi ce cours, il semble qu’elles n’auraient pu en suivre un autre. Le fait accompli a une puissance irrésistible. Il est le destin même. L’esprit en est accablé et n’ose se révolter. Terrible force pour les fatalistes de l’histoire, adorateurs du fait accompli ! Toutes les atrocités du vainqueur, la longue série de ses attentats sont froidement transformées en évolution régulière inéluctable, comme celle de la nature. »

Mais, ajoute Blanqui, « l’engrenage des choses humaines n’est point fatal comme celui de l’univers : il est modifiable à toute minute. »

« Car, ajoute Benjamain également sollicité pour la démonstration, « chaque minute est une porte étroite par où peut surgir Le Messie. »

Curieuse cette façon de réintroduire le fait religieux !

LE DOUBLE CARACTERE DU FAIT RELIGIEUX

Certes, la célèbre phrase qui veut que « la religion soit l’opium du peuple » n’est certainement pas la quintessence de la conception marxiste du phénomène religieux.

Pour sa part, Michael Löwy montre que l’expression, à quelques nuances près, peut être trouvée chez Kant, Herder, Fuerbach, Bruno Bauer et beaucoup d’autres… »

Chez Marx, elle apparaît dans l’article « Contribution à la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel ( 1844 ) et Michael Löwy souligne qu’une lecture du paragraphe entier montre que la pensée de Marx est plus complexe qu’on ne le pense habituellement.

« En réalité, dit-il, tout en rejetant la religion, Marx ne prend pas moins en compte son double caractère : « La détresse religieuse et en même temps l’expression de la vraie détresse. La religion est le soupir de la créature opprimée, le coeur d’un monde sans coeur, tout comme elle est l’esprit d’une situation sans spiritualité. Elle est l’opium du peuple.

« Ce n’est que plus tard, poursuit Michael Löwy, en particulier dans « L’Idéologie allemande » de 1846, que l’étude marxiste de la religion comme réalité sociale et historique a commencé.

« L’élément central de cette nouvelle méthode d’analyse des faits religieux, c’est de les considérer – ensemble avec le droit, la morale, la métaphysique, les idées politiques, …comme une des multiples formes de l’idéologie, c’est-à-dire de la production spirituelle d’un peuple, la production d’idées, représentations et formes de conscience nécessairement conditionné par la production matérielle et les relations sociales correspondantes.

L’HISTOIRE ET LES ETRES HUMAINS

« Aussi, observe Michael Löwy, à partir de 1846, Marx ne prêta plus qu’une attention distraite à la religion en tant que telle, comme univers culturel-idéologique spécifique. »

Il nous convient en conséquence, et sans plus tergiverser, d’en arriver à cette nouvelle méthode d’analyse qui relativise le fait religieux en l’incluant dans une appréhension plus générale, plus élargie, de l’apparition et de l’existence des idées, des représentations.

« La condition première de toute histoire humaine, écrit donc Marx dans « L’Idéologie allemande », est naturellement l’existence des êtres humains vivants. Le premier état de fait à constater est donc la complexion corporelle de ces individus et les rapports qu’elle leur crée avec le reste de la nature. Nous ne pouvons pas faire ici une étude approfondie de la constitution physique de l’homme elle-même, ni des conditions naturelles que les hommes ont trouvé toutes prêtes, conditions géologiques, orographiques, hydrographiques, climatiques et autres.

« Toute histoire doit partir de ces bases naturelles et de leur modification par l’action des hommes au cours de l’histoire. On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion et par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existences, pas en avant qui est la conséquence même de leur organisation corporelle. En produisant leurs moyens d’existence, les hommes produisent indirectement leur vie matérielle elle-même.

LE MODE DE PRODUCTION ET LE MODE DE VIE

« La façon dont les hommes produisent leurs moyens d’existence dépend d’abord de la nature, des moyens d’existence déjà donnés et qu’il leur faut reproduire. Il ne faut pas considérer ce mode de production de ce seul point de vue, à savoir qu’il est la reproduction de l’existence physique des individus. Il représente au contraire déjà un mode déterminé de l’activité des individus, une façon déterminée de manifester leur vie, un mode de vie déterminé.

« La façon dont les individus manifestent leur vie reflète très exactement ce qu’ils sont. Ce qu’ils sont coïncide donc avec leur production, aussi bien avec ce qu’ils produisent qu’avec la façon dont ils produisent. Ce que sont les individus dépend donc des conditions matérielles de leur production. »

Après avoir montré que la première forme de propriété est la propriété de la tribu, que la seconde est la propriété communale et la propriété d’Etat, que la troisième est féodale ou celle de différents ordres, que la réunion de pays d’une certaine étendue en royaumes féodaux était un besoin pour la noblesse terrienne comme pour les villes et que, de ce fait, l’organisation de la classe dominante, c’est-à-dire de la noblesse, eut partout un monarque à sa tête, Marx poursuit :

« Voici donc des faits : des individus déterminés qui ont une activité productive selon un mode déterminé entrent dans des rapports sociaux et politiques déterminés. Il faut que dans chaque cas isolé, l’observation empirique montre dans les faits, et sans aucune spéculation ni mystification, le lien entre la structure sociale et politique et la production.

DES RAPPORTS SOCIAUX ET POLITIQUES, ET L’ETAT

« La structure sociale et l’Etat résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire tels qu’ils oeuvrent et produisent matériellement ; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté.

« La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle.

« Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l’émanation directe de leur comportement matériel. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu’elle se présente dans la langue de la politique, celle des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc…de tout un peuple.

ET LA CONSCIENCE

« Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, de leurs idées, etc…mais les hommes réels, agissants, tels qu’ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et des rapports qui y correspondent, y compris les formes les plus larges que ceux-ci peuvent prendre.

« La conscience ne peut jamais être autre chose que l’être conscient et l’être des hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une caméra obscure, ce phénomène découle de leur processus historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique.

A l’encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c’est de la terre au ciel que l’on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu’ils sont dans les paroles, la pensée, l’imagination et la représentation d’autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os ; non, on part des hommes dans leur activité réelle, c’est à partir de leur processus de vie réel que l’on représente aussi le développement des reflets et des échos de ce processus vital. Et même les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle que l’on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles.

LES FORMES DE LA CONSCIENCE N’ONT PAS D’HISTOIRE

« De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d’autonomie. Elles n’ont pas d’histoire, elles n’ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leurs pensées et le produit de leur pensée. Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme étant l’individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l’on considère la conscience uniquement comme leur conscience… »

Dans le prolongement, Marx met en évidence quatre constatations.

LES QUATRE CONSTATATIONS DE MARX

D’abord que la présupposition première de toute existence humaine, partant de toute l’histoire, est que les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir « faire l’histoire ».

« Mais pour vivre, il faut avant tout boire, manger, se loger, s’habiller et quelques autres choses encore. Le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c’est même là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l’on doit, aujourd’hui encore comme il y a des milliers d’années, remplir jour par jour, heure par heure, simplement pour maintenir les hommes en vie… »

« Le second point est que le premier besoin une fois satisfait lui-même, l’action de le satisfaire et l’instrument déjà acquis de cette satisfaction poussent à de nouveaux besoins – et cette production de nouveaux besoins est le premier fait historique… »

« Le troisième rapport, qui intervient ici d’emblée dans le développement historique, est que les hommes qui renouvellent chaque jour leur propre vie, se mettent à créer d’autres hommes, à se reproduire ; c’est le rapport entre hommes et femmes, parents et enfants, c’est la famille »…laquelle est au début le seul rapport social.

« Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d’autrui en procréant, nous apparaît comme un rapport double : d’une part comme rapport naturel, d’autre part comme un rapport social…

« Il s’ensuit qu’un mode production ou un stade industriel déterminé sont constamment liés à un mode de coopération ou à un stade social déterminé, et que ce mode de coopération est lui-même une « force productive » ; il s’ensuit également que la masse des forces productives accessibles aux hommes détermine l’état social, et que l’on doit par conséquent étudier et élaborer sans cesse « l’histoire des hommes » en liaison avec l’histoire de l’industrie et des échanges… »

LE LANGAGE ET LA CONSCIENCE

Pour Marx, c’est à ce moment seulement que l’on trouve que l’homme a aussi de la « conscience ». Il ne s’agit pas d’une conscience qui soit d’emblée conscience « pure ». Dès le début une malédiction pèse sur « l’esprit », celle d’être « entaché » d’une matière qui se présente ici sous forme de couches d’air agitées, de sons, en un mot sous forme de langage. Le langage est aussi vieux que la conscience, – le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d’autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi et, tout comme la conscience, le langage n’apparaît qu’avec le besoin, la nécessité du commerce avec d’autres hommes.

« Là où existe un rapport, il existe pour moi…La conscience est donc d’emblée un produit social et le demeure aussi longtemps qu’il existe des hommes. Bien entendu, la conscience n’est d’abord que la conscience du milieu sensible le plus proche et celle d’une interdépendance limitée avec d’autres personnes et d’autres choses situées en dehors de l’individu qui prend conscience ; c’est en même temps la conscience de la nature qui se dresse d’abord en face des hommes comme une puissance foncièrement étrangère, toute puissante et inattaquable, envers laquelle les hommes se comportent d’une façon purement animale et qui leur en impose autant qu’au bétail ; par conséquent une conscience de la nature purement animale ( religion de la nature ).

LA NATURE ET LA CONSCIENCE

On voit immédiatement que cette religion de la nature, ou ces rapports déterminés avec la nature, sont conditionnés par la forme de la société et vice versa… »

Pour Marx, après la conscience grégaire et tribale qui se développe et se perfectionne en fonction de l’accroissement de la productivité, de l’augmentation des besoins et de l’accroissement de la population, la division du travail ne devient effectivement division du travail qu’à partir du moment où s’opère une division du travail matériel et intellectuel.

« A partir de ce moment, la conscience est en état de s’émanciper du monde et de passer à la formation de la théorie « pure », théologie, philosophie, morale, etc…Mais même lorsque cette théorie, cette théologie, cette philosophie, cette morale, etc…entrent en contradiction avec les rapports existants, cela ne peut se produire que du fait que les rapports sociaux existants sont entrés en contradiction avec la force productive existante ; d’ailleurs , dans une sphère nationale déterminée, cela peut arriver aussi parce que, dans ce cas, la contradiction se produit, non pas à l’intérieur de cette sphère nationale, mais entre cette sphère nationale et la pratique des autres nations, c’est-à-dire entre la conscience nationale d’une nation et sa conscience universelle.

« Peu importe du reste ce que la conscience entreprend isolément ; toute cette pourriture ne nous donne que ce résultat : ces trois moments, la force productive, l’état social et la conscience peuvent et doivent entrer en conflit entre eux car, par la division du travail, il devient possible, bien mieux il arrive effectivement que l’activité matérielle et intellectuelle, – la jouissance et le travail, la production et la communication échoient en partage à des individus différents ;et alors la possibilité que ces éléments n’entrent pas en conflit réside uniquement dans le fait qu’on abolit de nouveau la division du travail… »

LA DIVISION DU TRAVAIL

« Du reste, division du travail et propriété privée sont des expressions identiques – on énonce dans la première, par rapport à l’activité, ce que l’on énonce dans la seconde par rapport au produit de cette activité… »

« Enfin la division du travail nous offre immédiatement le premier exemple du fait suivant : aussi longtemps qu’il y a scission entre l’intérêt particulier et l’intérêt commun, aussi longtemps donc que l’activité n’est pas divisée volontairement, mais du fait de la nature, l’action propre de l’homme se transforme pour lui en puissance étrangère qui s’oppose à lui et l’asservit, au lieu qu’il ne la domine.

« En effet, dès que le travail commence à être réparti, chacun a une sphère d’activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir ; il est chasseur, pêcheur ou berger, ou critique, et il doit le demeurer s’il ne veut pas perdre des moyens d’existence ; tandis que dans la société communiste, où chacun n’a pas une sphère d’activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qu’il lui plait, la société réglemente la production générale ce qui créée pour moi la possibilité de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de pratiquer l’élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur et critique.

L’INTERET PARTICULIER ET L’INTERET COLLECTIF

« Cette fixation de l’activité sociale, cette pétrification de notre propre produit en une puissance objective qui nous domine, échappant à notre contrôle, contrecarrant nos attentes, réduisant à néant nos calculs, est un des moments capitaux du développement historique jusqu’à nos jours.

« C’est justement cette contradiction entre l’intérêt particulier et l’intérêt collectif qui amène à prendre, en qualité d’Etat, une force indépendante séparée des intérêts réels de l’individu et de l’ensemble et à faire en même temps figure de communauté illusoire, mais toujours sur la base concrète des liens existants dans chaque conglomérat de famille et de tribu, tels que les liens du sang, langage, division du travail à une vaste échelle et autres intérêts ; et parmi ces intérêts nous trouvons en particulier, comme nous le développerons plus loin, les intérêts de classe déjà conditionnés par la division du travail, qui se différencient dans tout groupement de ce genre et dont l’une domine toutes les autres.

« Il s’ensuit que toutes les luttes à l’intérieur de l’Etat, la lutte entre la démocratie, l’aristocratie, et la monarchie, la lutte pour le droit de vote, etc…ne sont que des formes illusoires sous lesquelles sont menées des luttes effectives des différentes classes entre elles… ; et il s’ensuit également que toute classe qui aspire à la domination, même si sa domination détermine l’abolition de toute l’ancienne forme sociale et de la domination en général, comme c’est le cas pour le prolétariat, il s’ensuit donc que cette classe doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général, ce à quoi elle est contrainte dans les premiers temps… »

LA MAIN INVISIBLE DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE

Ainsi Marx poursuit-il sa « geste » d’un nouveau mode et interroge : « Ou bien comment se fait-il encore que le commerce, qui pourtant représente l’échange des produits d’individus et de nations différentes et rien d’autre, domine le monde entier par le rapport de l’offre et de la demande – rapport qui, selon un économiste anglais, plane au-dessus de la terre comme la fatalité antique et distribue, d’une main invisible, le bonheur et le malheur parmi les hommes, fonde des empires, anéantit des empires, fait naître et disparaître des peuples – tandis qu’une fois abolie la base, la propriété privée, et instaurée la réglementation communiste de la production, qui abolit chez l’homme le sentiment d’être devant son propre produit comme devant une chose étrangère, la puissance du rapport de l’offre et de la demande est réduite à néant et les hommes reprennent en leur pouvoir l’échange, la production, leur mode de comportement réciproque… »

Et vient là, et là seulement, dans l’ensemble du processus contradictoire décrit, la fameuse phrase citée habituellement en dehors de son contexte, ce qui lui fait perdre toute signification réelle : « Le communisme n’est pas pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devrait se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. »

Parvenu là, je ne voudrais pas laisser croire que se termine aussi « L’Idéologie allemande », ni au sens propre, ni au sens figuré.

Ce n’est pourtant qu’un livret de 70 pages que j’ai essayé de donner à voir en le citant longuement, et dont la lecture est à la portée de tous, facilitée par l’exceptionnelle pédagogie de son auteur.

Michel PEYRET

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