Le mouvement syndical poursuit depuis toujours, avec ténacité, ses efforts pour sortir les travailleurs du salaire minimum : ce revenu suffit à peine à faire face aux nécessités de l’existence et condamne dans bien des cas à l’appauvrissement. La Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) se lance dans une campagne pour que ce salaire soit porté à 15 $ de l’heure et se donne six ans pour arriver à cet objectif.
Bien des gens s’imaginent que les travailleurs membres d’un syndicat reçoivent une rémunération qui dépasse largement 10,55 $ de l’heure (10,75 à partir du 1er mai). Mais il y a encore des syndiqués payés au salaire minimum, comme le déplore Daniel Boyer, le président de la FTQ : « Malheureusement, il en reste, mais il y en a peu, parce qu’on réussit au fil des négociations à améliorer le sort des travailleurs. » Il arrive tout de même fréquemment que tel soit le cas lors de la syndicalisation d’un nouveau groupe.
Les syndicats refusent d’utiliser ce salaire comme barème dans une négociation : « Les gains sont obtenus graduellement la plupart du temps. Quand les gens décident de se syndiquer, il va de soi qu’ils ont un syndicat qui représente leurs intérêts collectifs et qui négocie leurs conditions de travail. À partir de là, on réussit à une table de négociation à convaincre les employeurs qu’il faut majorer les salaires en fonction de leur secteur d’activités, de la région où ils se trouvent, du marché et de la demande de main-d’oeuvre. »
Il reconnaît que les syndicats sont perpétuellement en quête d’une amélioration des conditions salariales : « On ne lance pas pour rien cette campagne du “Minimum 15 $ de l’heure” ; on compte dans nos rangs des syndicats affiliés qui travaillent dans ce sens-là. » Il cite, à titre d’exemple, le Syndicat québécois des employées et employés de service (SQEES-FTQ) dont les membres travaillent dans une centaine de résidences privées pour personnes âgées ; ces gens privilégient la formule d’une négociation coordonnée pour obtenir partout un salaire minimum de 15 $ : « Ils prennent soin de ceux qui ont construit le Québec d’aujourd’hui ; il importe de leur fournir des services adéquats et, pour en arriver là, ça nécessite une main-d’oeuvre qui reçoit un salaire décent. »
Dépasser le seuil de pauvreté
Daniel Boyer fournit la raison de l’implication de la centrale dans une telle campagne : « Nous et nos alliés, on a toujours été branchés sur le seuil de revenu ou de pauvreté qui, aujourd’hui, serait de 13,35 $ de l’heure pour une semaine de 35 heures. Mais on est finalement arrivés à la conclusion que ce taux horaire était insuffisant pour vivre décemment. » Il ajoute encore que ces « 13,35 $ sont le seuil de faible revenu en bas duquel on est pauvre. Avec cette somme, on peut subvenir à nos besoins de base : se loger, se nourrir de façon basique et s’habiller ».
Un être humain aspire légitimement à davantage : « Il n’a pas besoin d’aller au restaurant tous les jours, mais de s’y rendre de temps en temps. Il veut être en mesure de s’acheter un livre, de se rendre au cinéma, de participer à des activités culturelles, d’obtenir le câble et de se brancher sur le Net. » Il pose ce triste constat : « Ceux qui sont à 10,55 $ actuellement, qui seront à 10,75 $ le 1er mai, ou encore ceux qui sont à 13,35 $ ne peuvent pas se permettre d’accéder à ces biens-là qui créent des liens avec la société et le monde. »
Il s’attriste de constater « qu’il y a du monde qui travaille à temps plein, mais qui est contraint de se rendre dans des banques alimentaires pour se nourrir. C’est pourquoi on s’implique dans une telle campagne, parce que, à la FTQ, on a toujours joué notre rôle important d’acteur social, politique et économique. On entreprend celle-ci avec le sourire aux lèvres en se disant qu’on va faire tourner l’économie au Québec avec l’apport de salaires décents ; on ne la fait pas juste pour nos membres, mais pour que nous ayons une société plus juste et égalitaire ».
Le plan d’action
Bon nombre des syndicats de la centrale vont participer à la campagne en employant divers moyens pour que le salaire minimum figure à la hauteur de 15 $ dans leurs conventions collectives. Le conseil général et d’autres instances adopteront des résolutions de principe pour qu’un tel objectif soit atteint : « Il y aura bien sûr la marche du 1er mai qui fera partie de la démonstration du bien-fondé de notre démarche. Et, par la suite, on s’adonnera à un exercice de lobbying sur ce salaire-là », souligne le président Boyer avant d’aborder le plan d’action en tant que tel.
Il le présente en ces termes : « On revendique un tel salaire et on ne dit pas qu’il faut que ça arrive demain matin ; on étale cela sur six ans et on veut atteindre le salaire de 15 $ de l’heure en 2022. Il y aura des moyens d’action qui seront pris et des revendications qui auront lieu au fil du temps. »
En 2018, « on peut penser que, durant la prochaine campagne électorale au Québec, on va être actifs si le pouvoir politique n’a pas bougé à ce sujet. Si cette mesure était adoptée aujourd’hui, on calcule qu’il faudrait des augmentations de 70 sous de l’heure par année pour atteindre cet objectif en 2022 ».
Et qu’en est-il de la partie patronale qui risque de monter aux barricades devant une telle proposition ? « 70 sous, ça peut paraître beaucoup et j’entends déjà la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, d’autres associations patronales et des employeurs dénoncer une telle mesure et brandir le danger de perdre des jobs. »
Il leur réplique que, « en pleine crise économique, le Québec, en 2010, a augmenté le salaire minimum de 50 sous durant trois années successives. Et on n’a pas perdu une maudite job avec ce geste-là ». Il croit donc qu’il arrive un moment « où on a des choix de société à faire si on veut vivre décemment ».
Il préfère citer en exemple des employeurs modèles : « Il y a Alexandre Taillefer qui donne un salaire de 15 $ de l’heure à ses chauffeurs de taxi. Actuellement, ceux-ci gagnent à peu près trois ou quatre piastres de l’heure. On peut aussi regarder du côté de Costco qui paye très bien ses employés. »
Il insiste sur le fait que « nous, on pense que c’est viable cette affaire-là. C’est même davantage : de cette manière, on va se donner un bon coup de pied dans le derrière sur le plan économique ».