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L’objectif et la campagne « L’éducation pour tous »

Une longue et difficile bataille

Le problème de l’accès à l’éducation est criant. Aujourd’hui encore, 80 millions d’enfants ne sont pas scolarisés et un nombre plus élevé d’écoliers abandonnent l’école avant d’avoir terminé le cycle primaire. Dans de nombreux pays pauvres, rien ne vient faciliter les apprentissages. Les élèves sont trop nombreux dans les classes et dans certains pays, comme le Rwanda, le Mali et le Malawi, on observe un ratio de 55 élèves par professeur. Les enseignants travaillent dans des conditions physiques très difficiles et dans des lieux inadaptés ; il leur manque de tout, tables, fournitures, etc. Les salaires sont maintenus très bas, et parfois, ne sont pas versés pendant de longues périodes.


Les filles sont les premières victimes d’un accès limité à l’éducation : elles demeurent celles que l’on refuse d’abord d’instruire. Dans 37 pays, il y a moins de trois filles scolarisées pour quatre garçons. Ainsi parviennent-elles plus difficilement à se sortir du cercle de la misère. Elles s’occupent de la famille, forment une main-d’œuvre bon marché qu’on exploite sans vergogne et se voient parfois condamnées à se prostituer. Les filles moins éduquées risquent davantage de contracter le VIH et leurs enfants sont plus exposés aux maladies.

Le VIH/sida vient d’ailleurs affecter le fonctionnement de réseaux d’éducation en manque d’enseignants. Les ravages sont considérables en Afrique subsaharienne : des estimations modérées indiquent que 600 enseignants par année meurent du sida dans des pays comme le Kenya, la Tanzanie et la Zambie. Au Malawi, dans certaines écoles, le ratio élèves/maîtres est monté jusqu’à 96 pour 1 en raison des maladies liées au VIH ayant frappé les enseignants. L’absentéisme systématique des enseignants malades du sida pose un sérieux problème de continuité dans les apprentissages.

En 2000, à Dakar, les participants au Forum mondial de l’éducation lancent un projet majeur : celui de rendre l’éducation accessible à tous en 2015. L’idée vient d’un mouvement appelé Éducation pour tous, né en 1990 et regroupant 155 pays et 150 organisations préoccupés par le nombre élevé d’enfants maintenus dans l’ignorance. Rien depuis la fondation du mouvement n’avait été sérieusement entamé pour aller au-delà des bonnes intentions. Au contraire, des plans d’a justement structurel, soutenus par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale avaient mis en pièces une éducation publique qui tentait difficilement de s’organiser dans nombre de pays du Sud et réduisaient ainsi l’accessibilité à l’école.

Les pays et les organisations assemblés au Forum de Dakar promettent enfin de remédier à la situation. Cette fois, la question est prise au sérieux et on mettra les moyens nécessaires pour atteindre un objectif enthousiasmant. La campagne Éducation pour tous (EPT) établit un Cadre d’a ction et un échéancier relativement serré. Fondée en 1999, la Campagne mondiale pour l’éducation (CME), organisation formée de syndicats d’enseignants, d’ONG et de millions d’adhérents, veillera à ce que le projet donne les résultats attendus.

La campagne Éducation pour tous a permis à certains de se réjouir. Depuis cinq ans, 40 millions d’enfants supplémentaires ont été scolarisés. Depuis 2000, douze pays africains ont pris des mesures pour supprimer les frais de scolarité ; mais dans certains des pays les plus pauvres au monde, l’éducation n’est toujours pas gratuite. Les bailleurs de fonds ont lancé une « Initiative Fast-Track » (FTI), soutenue entre autres par la Banque mondiale et visant à accélérer le financement des réseaux d’éducation des pays de Sud. Certains pays d’Amérique du Sud ont augmenté la part du PIB consacrée à l’éducation et dans de vastes régions d’Asie, la scolarisation est en nette progression. Quelques pays d’Afrique subsaharienne ont promis à leur tour d’embaucher davantage d’enseignants et d’augmenter le budget de l’éducation.

Des problèmes à la chaîne

Mais il faut malheureusement admettre que l’objectif d’une éducation pour tous en 2015 semble de plus en plus irréalisable. Et que ce beau projet parmi tant d’autres ne dépassera que de peu la belle intention. Les pays les plus riches de la planète refusent de contribuer convenablement à la campagne et n’offrent pas l’aide suffisante aux pays dans le besoin. À part quelques pays comme la Norvège, le Danemark, le Luxembourg et la Suède, dont l’aide est particulièrement généreuse, la majorité des pays riches, dont le Canada, restent chiches et donnent beaucoup moins de 0,7 % de leur revenu national brut (RNB) à l’aide au développement. Parmi les plus radins, le Japon, l’Italie et surtout le pays le plus riche du monde, les États-Unis, qui ne consacrent que 0,17 % du RNB à l’aide au développement.

L’ Initiative Fast-Track reste un bel exemple de l’impéritie et de l’indifférence des pays riches. Seuls quelques pays, toujours les mêmes, soutiennent réellement cette initiative, ce qui fait dire aux observateurs de la Campagne mondiale pour l’éducation qu’« à moins d’un changement radical de la situation, il semble que ce projet sensé soit voué à l’échec. » [1] . De plus, d’une façon générale, l’aide n’est pas équitablement distribuée. Les pays dont les besoins en éducation sont les plus grands ne sont pas ceux qui reçoivent les dons les plus généreux.

D’autres problèmes viennent s’ajouter. Il semble souvent difficile pour certains pays d’offrir une aide sans condition. Ainsi, plusieurs pays lient leurs dons à des achats obligatoires de biens et de services en provenance du pays donateur. Ces produits et services sont souvent mal adaptés, ne correspondent pas aux besoins du pays en difficulté et viennent contredire le principe même d’u ne offre désintéressée. Certains pays ont tendance à offrir le montant de leur aide à des « consultants » grassement payés, dont les compétences sont très souvent discutables, et dont le revenu pour une seule journée suffirait à payer le salaire annuel d’un enseignant.

Un grave manque d’instituteurs contribue à rendre l’école moins accessible. On calcule qu’il faudrait former et recruter environ 18 millions d’enseignants pour arriver à l’objectif d’une école pour tous. Les pays les plus pauvres ont aussi les enseignants les moins qualifiés. Le FMI et la Banque mondiale ont contribué à dévaluer la profession d’enseignant et donc, à la rendre moins attrayante. Le FMI a imposé d’importantes restrictions de la facture salariale pour les professeurs dans de nombreux pays. La Banque mondiale encourage la formation de « para-enseignants », moins formés, moins payés, et qui donnent une éducation de moins bonne qualité. Comme si ce n’était pas suffisant, certains pays occidentaux viennent recruter les enseignants les plus compétents des pays du Sud pour leur offrir des emplois beaucoup mieux rémunérés dans des écoles du Nord. Dans ce secteur comme dans d’autres, il existe un véritable « pillage des cerveaux ».

De l’espoir et des solutions, tout de même

La difficulté d’atteindre l’objectif d’une éducation pour tous dépasse sans doute les seules questions reliées à l’enseignement. Peut-on concevoir en effet une éducation plus accessible sans véritable plan généralisé de lutte contre la pauvreté ? On ne peut établir un système d’é ducation sans tout ce qui va avec : de bonnes mesures sanitaires, de l’eau et une alimentation de qualité accessibles à tous, des transports, un environnement sain. L’économie de guerre, soutenue par le gouvernement des États-Unis, le libéralisme économique, qui permet d’assembler des fortunes inimaginables dans les coffres de quelques individus, l’exploitation sans restrictions des combustibles, qui contribue au réchauffement de la planète et qui provoque des sécheresses, de la désertification et des catastrophes naturelles, ne font que contribuer à affaiblir les pays les plus démunis et à rendre plus difficile l’accessibilité à l’éducation.

L’éducation reste cependant le moyen le plus sûr pour contribuer à d’importants changements et permet de former des individus soutenant les politiques qui servent l’intérêt de la majorité. Ainsi devient-il particulièrement important de secouer l’inertie de nos gouvernements dans le cadre de la Campagne Éducation pour tous. La Campagne mondiale pour l’éducation soutient une série d’actions dont le but est de forcer les gouvernements à donner ce qu’ils ont promis. Parmi celles-ci, une sollicitation constante des élus, afin qu’ils rendent des comptes sur le dossier de l’éducation pour tous.

Le Canada n’a d’ailleurs pas une position enviable dans le dossier. Jamais parmi les plus généreux, et pas non plus parmi les plus chiches, notre pays s’intègre à la majorité des nations riches qui restent tristement inertes, donnent toujours moins que prévu et se contentent de formuler de beaux discours humanistes sur le sujet. Ne pas se distinguer en restant aussi médiocre que les autres. Est-ce une politique acceptable pour notre pays ?

1 Dans Piètres performances, bulletin scolaire sur la contribution des pays riches à l’Éducation primaire universelle d’ici à 2015, Campagne mondiale pour l’éducation, septembre 2006.

Source : École et société (FNEEQ-CSN) – Avril 2007 

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