AccueilCommuniqués / ÉvénementsNotes de lectureLivre Le Capital comme logique d’un monde à l’envers

Livre Le Capital comme logique d’un monde à l’envers

Florian Gulli *

Le sociologue Alain Bihr s’attache – dans à restituer dans son développement et sa cohérence la critique de l’univers capitaliste que réalise l’œuvre majeure de Karl Marx.

La période est riche en rééditions de textes de Marx et en commentaires de son œuvre. L’idée d’Alain Bihr est que les thèses de Marx, et en particulier celles de son opus magnum, le Capital, souffrent aujourd’hui de leur apparente évidence. L’ouvrage sera donc une lecture pas à pas du livre de Marx, section après section, chapitre après chapitre. Il s’agit en cela d’une bonne introduction au Capital, donnant au lecteur une vue synthétique de l’ouvrage que la lecture minutieuse empêche trop souvent. L’ouvrage traite aussi, et c’est suffisamment rare pour le souligner, de la totalité du texte et non de son seul livre I. S’il y a méconnaissance du Capital, c’est d’abord parce que trop souvent on le pense comme une œuvre achevée, alors qu’il s’agit plutôt d’un chantier composé de textes aux statuts très différents. Seul le premier livre est intégralement rédigé et publié par Marx, le reste de l’ouvrage est composé par Engels à partir de manuscrits. Nous sommes donc confrontés à une « œuvre » très hétérogène dont le projet d’ensemble et la logique sont obscurs. L’erreur principale consiste à faire du Capital une sorte de traité d’économie, lecture dépolitisante qui permet à nombre d’auteurs libéraux de saluer en Marx l’un des pères de l’économie moderne. Saisir le projet du Capital, c’est, selon Alain Bihr et à l’opposé, redonner son sens plein à la « critique de l’économie politique ».

À cette expression, il est possible de donner trois sens qui éclairent de façon inégale le projet d’ensemble de Marx. Critiquer l’économie politique, cela peut tout d’abord vouloir dire, pour Marx, dépasser les limites des analyses économiques de son temps. Cette dimension est évidemment présente. Cependant, le véritable objet du Capital n’est pas un discours ou une science, mais bien la réalité elle-même que cette science économique prétend éclairer. Le Capital, bien loin de se contenter de décrire de façon impartiale le fonctionnement du capitalisme, en est une critique vigoureuse. Le capitalisme est un « monde à l’envers » qui a fait de la production une fin en soi et des hommes de simples moyens au service de ce nouveau dieu. Mais toute critique présuppose l’adoption d’une norme  : ce n’est qu’avec l’idée d’un monde à l’endroit que l’on peut parler d’un monde à l’envers. Pour Alain Bihr, la critique du monde à l’envers à l’œuvre dans le Capital, nous introduit au sens ultime de l’œuvre  : « la démonstration de la possibilité du communisme ». Marx montre comment le capitalisme crée les conditions de possibilité de son propre dépassement. Nulle nécessité ici, nul fatalisme, mais l’indication d’une possibilité réelle, irréductible à une vague rêverie. Le Capital est encore aujourd’hui, nous rappelle Alain Bihr, une arme précieuse pour qui veut lire dans le présent les prémisses de « la libre association des producteurs ».

* Philosophe. Article publié dans le quotidien L’Humanité.

(21 mai 2010)

A l’encontre, case postale 120, 1000 Lausanne 20 administration@alencontre.org Soutien: ccp 10-25669-5

Articles récents de la revue

Notes de lecture (Hiver 2024)

Robert Leroux, Les deux universités, Paris, Éd. du Cerf, 2022, Des essais de professeurs d’université annonçant gravement la mort de l’université sont publiés depuis au moins...