Dans sa lettre intitulée « Prendre congé de la gauche identitaire » publiée le 9 décembre, l’essayiste Alexandre Poulin brosse un portrait grossier et réducteur d’une gauche qu’il juge incompatible avec sa vision du Québec, déclarant « qu’il est impossible de formuler un projet politique à partir de cette célébration des différences en ce que celles-ci tendent à ériger des cloisons et non des ponts entre nous ».
Cette vision conservatrice et archaïque de la citoyenneté et de l’identité est relayée à répétition par plusieurs chroniqueurs et penseurs de la sphère médiatique québécoise qui se drapent de vertu face à une supposée hystérie propre à notre jeunesse fougueuse. Or, les dissonances cognitives au sein du discours de ces idéologues sont si évidentes qu’il est essentiel de leur rappeler en quoi leur rhétorique est soit fondamentalement incohérente, soit potentiellement dangereuse.
L’érection de l’identité ou de la nation québécoise comme un fait permanent fait abstraction de l’essence même de cette identité, soit qu’elle est précisément construite autour d’une différence. Tout comme les identitaires « woke » qu’on accuse de nourrir la division, les nationalistes conservateurs québécois se réfugient autour d’une caractéristique individuelle qui les sépare du reste de l’Amérique, soit la langue, afin de défendre un projet politique de nation. Le « Québec », comme on l’entend dans le texte, n’existe pas aujourd’hui parce qu’il existe de fait, mais parce qu’il est nécessaire à la protection de l’identité canadienne-française. Ironiquement, cette rhétorique s’apparente à celle des fédéralistes canadiens qui souhaiteraient qu’on dépasse nos différences linguistiques afin de s’unir autour d’une autre différence, celle de la fidélité à l’Empire britannique dans une Amérique qui s’en serait affranchie au XVIIIe siècle. Autrement dit, on fait subir aux autres ce qu’on nous fait subir.
Il est incompréhensible que les identitaires des deux côtés du spectre ne voient justement pas ce qui les relie fondamentalement : la défense d’une identité par la réunion communautaire. Toute personne québécoise, qu’elle soit d’origine attikamek, innue, kanyen’kehà:ka, canadienne-française, canadienne-anglaise, haïtienne ou algérienne, doit combattre quotidiennement afin d’affirmer son droit d’exister dans un monde qui souhaiterait l’effacer. C’est précisément sur ce terrain que devrait se développer notre nouveau sens de l’identité québécoise. Ces déclarations n’invalident en aucun cas la nécessité de développer une nation québécoise ou de protéger la langue française comme lieu commun ; elles indiquent simplement dans quel sens il est inévitable que nous évoluons si nous désirons survivre, comme nous l’avons fait au XXe siècle en nous affranchissant de la domination religieuse.
Identité violette
Loin d’être incompatible avec un projet national, la célébration des différences est essentielle à sa santé. N’est-ce pas précisément le rejet de l’autre qui a mené à l’échec du dernier référendum ? N’est-ce pas l’abandon du spectre rouge-bleu de Duplessis qui a amorcé l’émergence du Québec moderne dans lequel nous vivons aujourd’hui ? N’est-ce pas la guerre aux symboles de tous genres qui divise si fortement les Québécois en 2020 ? Il est certainement plus difficile de développer une identité violette qu’une identité rouge ou bleu, mais il est impossible de maintenir ces dernières dans le temps sans qu’elles mènent à la violence ou à la révolte. Les Canadiens français du Québec devraient facilement le comprendre.
Les identités québécoises ne sont pas mutuellement exclusives. Elles se nourrissent l’une de l’autre et permettent une coexistence pacifique tout en enracinant les habitants du Québec dans le territoire que nous avons toutes et tous l’obligation de partager. Au sein de ce pétro-État extractiviste hérité du colonialisme, à l’heure de la crise climatique, il devrait être urgent pour nous de repositionner ce territoire commun que nous partageons comme la première assise de notre société. C’est ce respect de la terre qui nous a permis d’y vivre en paix dans le passé et nous ne devrions jamais oublier que c’est à cette vallée du Saint-Laurent, à cet endroit où le fleuve se rétrécit, que nous devons nos survies passées, présentes et futures.