La ministre Beauchamp justifie la hausse des droits de scolarité en prétextant que l’augmentation de la contribution étudiante servira à améliorer la «qualité» de l’éducation. Or, c’est bien plutôt l’inverse: la hausse ne profitera pas aux étudiants, mais à des entreprises qui souhaitent brancher directement l’université sur les besoins de l’économie. Loin d’assurer la pérennité des institutions, cette mutation vient plutôt les corrompre et met en péril leur indépendance.
Le 28 novembre dernier, le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, a rencontré le premier ministre, Jean Charest, à la Chambre de commerce de Montréal afin de lui proposer de mettre l’expertise des différents départements de l’université au service du développement du Plan Nord. Le recteur entend faire une «proposition intégrée de l’offre distinctive» que peut faire l’université au gouvernement libéral, en misant sur ses «créneaux d’excellence», notamment en matière de «gouvernance locale» et de «développement de nouvel espace économique».
Ce genre d’opération vient dissoudre la distance critique, fondement historique de l’université, pour la placer sous la dépendance directe des puissances politiques et économiques, bref, en faire un «appareil idéologique d’État». En effet, comment penser qu’une institution qui vend son savoir au profit de minières étrangères du Plan Nord puisse avoir par la suite quelque attitude critique vis-à-vis de leurs actions ou des politiques du gouvernement libéral? Cet exemple illustre bien la subordination de l’institution, de la connaissance, des professeurs aux exigences à court terme du pouvoir et des marchés. Quant aux étudiants, c’est la hausse des droits de scolarité et l’endettement qui permettront de les intégrer au nouveau modèle de l’université-entreprise.
Selon la vision commerciale de l’université mise de l’avant par le gouvernement libéral, les étudiants sont du capital humain ou, comme le disait le recteur Guy Breton, «des cerveaux» qui doivent être moulés «au service des entreprises». En augmentant les droits de scolarité, on vise à discipliner les étudiants au moyen d’un mécanisme de quasi-marché. Pour payer les droits de scolarité élevés, l’étudiant doit s’endetter auprès des grandes banques, lesquelles seront doublement gagnantes: elles en tireront des intérêts, et elles pourront revendre les dettes étudiantes sur les marchés boursiers grâce à la «magie» des innovations financières.
L’endettement a également une fonction disciplinaire qui vise à orienter les étudiants vers les domaines jugés lucratifs et pertinents sur le marché de l’emploi. En effet, l’étudiant privilégiera le domaine d’études lui permettant de rembourser le plus rapidement sa dette au détriment d’un choix fondé sur ses motivations ou sa vocation. Voilà précisément ce à quoi serviront les nouveaux «mécanismes d’assurance qualité» commandés par la ministre Beauchamp l’automne dernier: arrimer «l’offre de programmes» aux besoins des «consommateurs d’éducation» endettés.
Alors qu’il insiste pour endetter davantage les étudiants, le gouvernement investit 245 millions de dollars dans des gadgets comme les tableaux que l’on dit sans rire «intelligents», vendus par une firme dont le lobbyiste est un ancien conseiller de Nathalie Normandeau et du premier ministre, Jean Charest. Cette dépense équivaut plus ou moins à ce que le gouvernement espère tirer de l’actuelle hausse des droits. Rappelons, du reste, que c’est seulement la moitié des 265 millions dégagés par la hausse qui iront à l’enseignement, le reste allant à la recherche à visée commerciale, au positionnement concurrentiel des universités et aux dépenses de gestion.
En somme, la hausse des droits de scolarité et l’endettement au profit des banques permettront de mener les étudiants à la manière d’un troupeau de moutons. Ceux-ci pourront être dirigés vers des programmes certifiés être «de qualité» parce qu’ils sont immédiatement «utiles» aux entreprises et aux marchés. Ces récents développements confirment la thèse que nous avancions dans Université inc.: la hausse des droits de scolarité n’a rien d’une fatalité et ne sert pas à enrayer quelque «sous-financement» de l’université, puisqu’elle pourrait aisément être évitée. Elle ne vise pas à développer des esprits critiques, ni à transmettre la connaissance, mais plutôt à enrôler la jeunesse québécoise dans les projets économiques d’une certaine élite d’affaires proche du Parti libéral. Les étudiants ont donc raison de manifester et de dénoncer le rôle instrumental qu’on cherche à leur faire jouer dans le processus de marchandisation de l’université.
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Éric Martin et Maxime Ouellet, auteurs de Université inc. (LUX éditeur)