AccueilNuméros des NCSNo. 27 - Hiver 2022Les travailleurs agricoles mexicains au Québec : un « intrant jetable »

Les travailleurs agricoles mexicains au Québec : un « intrant jetable »

Le Mexique est entré dans le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS)[1] en 1974 avec la signature d’un accord bilatéral établissant un protocole d’entente entre les gouvernements du Canada et du Mexique. Il visait à fournir des travailleurs pour les travaux agricoles de neuf provinces canadiennes[2]. D’année en année, le nombre de travailleurs saisonniers mexicains au Canada a augmenté pour atteindre 18 499 en 2013, soit un total de 261 301 travailleurs entre 1974 et 2013.

Un programme fait sur mesure

En 1987, le PTAS a été privatisé et le programme a dès lors été géré par des entités privées comme la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME). Par l’intermédiaire de ces organisations, les entrepreneurs agricoles canadiens soumettent des demandes pour répondre à leurs besoins en main-d’œuvre. Au Mexique, par contre, la gestion du programme est confiée au ministère du Travail et de la Protection sociale, qui assure la diffusion du programme de mobilité de la main-d’œuvre, le recrutement du personnel et la répartition subséquente des travailleurs dans les fermes canadiennes, de même que les procédures : demande de passeport, vérification des examens médicaux, demande de visa, procédure de billetterie et enregistrement des demandes d’emploi auprès des associations d’employeurs.

En retour, les employeurs canadiens s’engagent à fournir aux travailleurs des logements qui répondent aux exigences minimales d’habitation et à équiper la maison d’appareils électroménagers, ainsi qu’à fournir de la nourriture. Cependant, le coût du logement et de la nourriture est facturé aux migrants. Le contrat couvre les frais de transport aérien, de sécurité sociale et d’assurance-vie pendant la durée du contrat. Ceux qui adhèrent au programme restent de six semaines à huit mois au Canada sans possibilité de prolonger leur séjour. Ils n’ont pas le droit de demander un changement de formulaire d’immigration en vue de la permanence ni le droit au regroupement familial. Les travailleurs ne peuvent demander l’asile politique ni le statut de réfugié.

Qui en profite ?

Cinquante ans après la mise en place du modèle PTAS, les asymétries dans le programme sont évidentes. Le Canada est devenu l’un des pays agro-exportateurs les plus importants au monde grâce à l’exploitation de la main-d’œuvre mexicaine. Sans cadre juridique pour la protection des travailleurs, les migrantes et les migrants se retrouvent dans une situation vulnérable. Cette situation exprime le rapport inégal entre les besoins de la main-d’œuvre du Sud par rapport aux besoins de l’économie du Nord[3].

Les pays du Sud restent des pourvoyeurs de main-d’œuvre, dont dépend une partie très importante du PIB de ces pays, sans qu’ils puissent négocier des contrats réglementés qui seraient appropriés entre deux États souverains, pour la protection juridique des travailleurs migrants. Reflet des inégalités inhérentes à la division internationale du travail et à l’hégémonie des pays du Nord, les travailleuses et les travailleurs sont à la merci d’embauches irrégulières, de salaires précaires, d’horaires de travail pénibles; ils sont sans aucune sécurité sociale et exposés à des mesures disciplinaires dictées par des règles qui les attirent, les repoussent ou les expulsent selon la convenance des employeurs. Pour le reste, il est clair que ces dynamiques migratoires et les conditions de travail des travailleurs, loin d’être des conditions d’indépendance ou d’autonomie pour les pays d’origine comme pour les travailleurs, renforcent les relations de dépendance nationale et régionale déterminées par le contexte d’attraction pour des emplois et par l’hégémonie des pays du Nord.

La gestion des flux

La conditionnalité du retour constitue la caractéristique principale de la migration circulaire[4]. Elle vise à gérer les flux, à faciliter l’exploitation de la main-d’œuvre et à sauvegarder la compétitivité de l’employeur. Ainsi, la migration circulaire empêche l’installation du travailleur et assure son retour à son pays d’origine car, comme on l’a indiqué, la résidence, la nationalité, l’asile politique et le regroupement familial sont interdits. En même temps, en raison de la nature temporaire du séjour pour des emplois spécifiques, le travailleur, qui n’est sur le territoire canadien que pour des saisons limitées et principalement à l’intérieur des fermes, vit des conditions et un isolement qui empêchent tout type d’intégration à la société d’accueil. Ce processus ne vient pas du ciel. L’augmentation des flux de migrantes et de migrants est la conséquence de la libéralisation des marchés, de l’intégration des économies nationales aux marchés internationaux, des processus de privatisation de l’économie ainsi que de la dislocation des appareils politiques mandatés pour la protection sociale[5]. La dérégulation de l’économie fait de l’emploi un bien rare et exacerbe les différences et les inégalités entre les pays, les marchés et les individus. Elle génère une offre excédentaire de travailleuses et de travailleurs du Sud.

La migration circulaire comme « modèle »

La migration circulaire devient, dans ce contexte, un modèle de mobilité idéal dans la mesure où elle permet l’entrée légale des travailleuses et des travailleurs, mais avec des restrictions à la libre circulation et pendant des périodes strictement déterminées. En même temps, elle remplit l’objectif de fournir de la main-d’œuvre internationale aux entreprises et de favoriser leur compétitivité et leur rentabilité.

Ce qui distingue la circularité au XXIe siècle, c’est la tendance à la répétition de la formule partir et revenir[6]. Dans ce type d’accord, la force de travail constitue un intrant de production, sans autre droit que celui de la reproduction de la force de travail elle-même. Dans cette mobilité, il y a un contrôle strict du temps et de la mobilité du travailleur ou de la travailleuse, ce qui l’empêche de s’enraciner ou d’être librement employé. Pour cette raison, le nouvel ordre social ne se soucie pas de l’intégration de l’immigré. Ainsi, la travailleuse ou le travailleur international mobile devient un intrant jetable.

Les termes qui changent au détriment des travailleurs

Cette absence de statut dans les législations s’accompagne d’une sorte de « vulnérabilité garantie ». Le travailleur est inclus dans un processus de production, mais reste sans droits, tant sur le plan migratoire que sur le plan du travail. Cette situation favorise la violation des droits sociaux des migrantes et migrants circulaires. Ces derniers demeurent en dehors des paramètres légaux, leurs droits sont strictement ciblés et partiels, contrairement aux personnes natives et à celles immigrées permanentes.

Une enquête réalisée auprès des travailleurs originaires de la communauté de Rovirosa[7] démontre que les conditions du PTAS se sont détériorées :

  • À l’origine, le programme accordait aux travailleurs sélectionnés selon une nouvelle modalité une aide de 3 000 dollars pour couvrir les frais d’examens dans les cliniques officielles du secteur de la santé à Mexico, afin de garantir l’état de santé des candidats. Récemment, cet avantage a été abrogé.
  • Actuellement, les travailleurs couvrent les coûts des procédures, telles que le passeport et le permis de travail pour lesquels le gouvernement mexicain accorde une réduction.
  • Le travailleur paie le loyer, la nourriture, ce qui représente en moyenne 30 dollars par semaine. En Ontario, où la majorité des travailleurs mexicains se trouvent, le salaire minimum est de 14,25 dollars canadiens l’heure.
  • Les horaires sont variables selon les cycles de la production, ce qui fait de très longues heures au moment des récoltes.

Conclusion

Contrairement à un certain discours lénifiant qui célèbre la migration comme un moyen de réduire la pauvreté, la migration en général, et la migration circulaire en particulier, surexploitent la main-d’œuvre et représentent une perte de capital humain pour les communautés locales tout en assurant une armée de réserve disponible pour la production dans des pays du Nord comme le Canada.

Eliana Cárdenas Méndez est professeure-chercheuse au Département des sciences humaines et des langues de l’Université de Quintana Roo au Mexique


  1. NDLR. En espagnol, le nom du programme est : Programa de Trabajadores Agrícolas Temporales (PTAT). Ce programme est aujourd’hui un sous-programme du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET).
  2. Secrétariat des affaires étrangères, Programa de Trabajadores Agrícolas Temporales, Consulat général du Mexique à Toronto, 2017, <https://consulmex.sre.gob.mx/toronto/index.php/es/ptat> ; Genoveva Roldán Dávila, «Globalization between walls and borders. The scenario of the international migration », Revista Universitaria Digital de Ciencias Sociales, vol. 10, n° 19, 2019, <http://virtual.cuautitlan.unam.mx/rudics/wp-content/uploads/2019/08/RUDICSv10n19p19_40.pdf> ; Jorge Durand, Programas de trabajadores temporales : evaluación y análisis del caso mexicano, Mexico, Consejo Nacional de Población, (CONAPO, Conseil national de la population), 2006, <http://conapo.gob.mx/en/CONAPO/Programas_de_trabajadores_temporales>.
  3. Durand, ibid.
  4. Ici, la migration circulaire désigne la migration Mexique-Canada-Mexique.
  5. Saskia Sassen, Contrageografías de la Globalización. Género y ciudadanía en los circuitos transfronterizos, Madrid, Traficantes de Sueños, 2003, <file:///C:/Users/F%C3%A9licit%C3%A9/Downloads/Contrageografias.pdf>.
  6. Ricard Zapata-Barrero, Rocio Faúndez García et Elena Sánchez-Montijano, « Circular temporary labour migration : reassessing established public policies », International Journal of Population Research, 2012.
  7. Cette communauté est localisée dans le sud du Mexique où prévaut la culture industrielle de la canne à sucre, et où les paysans font face à l’épuisement des sols et à l’absence de programme d’aide gouvernementale.

 

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