Depuis plusieurs années maintenant, les réformes administratives mettent l’accent sur l’abandon partiel des contraintes normatives et réglementaires pour accroître l’autonomie des gestionnaires publics et autres fonctionnaires et, par-delà, accroître la performance organisationnelle (efficacité, efficience et économie) des bureaucraties publiques. Sous le joug du managerialisme, ces réformes mettent l’accent sur les valeurs et l’éthique pour circonscrire et appuyer les décisions et les actions de l’administration publique, en lieu et place des règles codifiées à partir desquelles s’articulent traditionnellement cette dernière. Bien entendu, la mise en œuvre de cette instrumentalisation des valeurs et de l’éthique fait l’objet, au même titre que les autres composantes du managerialisme, de trajectoires différenciées dans le temps et l’espace. Un constante, toutefois, demeure : les tensions, complémentaires pour certains, irréconciliables pour d’autres, entre, d’un côté, le respect des processus et l’idéal démocratique de l’administration publique traditionnelle et, de l’autre côté, l’accent sur l’atteinte des résultats et l’impératif d’efficience du nouveau management public.
Parmi les expériences occidentales, le cas de l’administration publique fédérale canadienne est particulièrement intéressant : la dynamique de « valse-hésitation » qui caractérise son réformisme administratif se traduit par la recherche d’espaces de convergence nouveaux pour les exigences de l’administration publique traditionnelle et les préceptes du managerialisme. Pour le réformisme administratif canadien, il ne s’agit en effet pas tant de substituer un discours à un autre, que de tenter de réconcilier la rationalité managerielle à celle juridique. Cette tradition de modération et de pragmatisme, selon certains, n’est toutefois pas sans heurts, ni difficultés. L’histoire récente de l’administration publique fédérale canadienne témoigne de l’atrophie du cycle de vie des réformes administratives, celles-ci s’étant succédées les unes aux autres à un rythme effréné au cours des années quatre-vingt-dix, dans un mouvement de continuité imparfaite et de redondance inavouée. Parmi celles-ci, la réingénierie de la période 1995-1998, planifiée dans l’Examen des programmes de 1994, représente certes un événement-charnière et, par-delà, un élément important de l’héritage qui pèse aujourd’hui sur la mise en œuvre de toute nouvelle réforme administrative.
Dans la mesure où le gouvernement conservateur de Stephen Harper ne cache pas son manque d’estime pour la fonction publique fédérale canadienne qu’il accuse, à l’instar des tribunaux et des médias, d’être à la solde du Parti libéral du Canada, faut-il s’en surprendre ? Dans cette perspective idéologique, l’appareil administratif est perçu comme un contrepoids autonome et illégitime dont il convient de réduire les moyens et de limiter les actions, notamment par le biais d’initiatives législatives structurantes, ainsi que de réaffectations et suppressions des dépenses de programmes. Enjeu démocratique fondamental pour toute époque, la capacité de l’État fédéral est d’une acuité encore plus criante dans le contexte actuel de crise économique internationale. Enfin, la volonté politique du gouvernement d’accroître la responsabilité administrative pour mieux s’absoudre de sa propre responsabilité ministérielle individuelle et collective peut difficilement se comprendre autrement que comme un recul démocratique qui, à son tour, risque de nourri le cynisme déjà élevé des citoyens envers leurs institutions politico-administratives.
* Extrait d’un texte paru dans le numéro 3 des NCS, « État, pouvoirs et contre-pouvoirs » (hiver 2010).