Dans son article intitulé « Faire le grand ménage dans la construction », Pierre Mouterde s’attarde plus à dénigrer la FTQ qu’à s’adresser aux questions que pose le projet de loi 33. Contrairement à ses prétentions, ce projet de loi a des implications dangereuses non seulement pour la FTQ mais pour l’ensemble des syndicats de la construction. Il s’ingère dans les affaires syndicales, modifie les règles de la négociation et de la représentativité syndicale et passe sous silence la reddition de compte des employeurs et des donneurs d’ouvrage. Il passe également sous silence un des problèmes majeurs de l’industrie de la construction que constitue le travail au noir.
À un moment où il est essentiel que les syndicats tentent de se rapprocher afin d’éviter des conséquences désastreuses pour tous, (l’histoire nous l’a pourtant bien démontré) Pierre Mouterde jette de l’huile sur le feu et sème la division.
Ce projet de loi ne s’en prend finalement qu’aux syndicats et par hasard ce sont les plus importants. Ne devrait-on pas y voir autre chose qu’une volonté angélique d’améliorer le fonctionnement de l’industrie de la construction ? Comme le mentionnait Richard LeHir sur le site de Vigile.net dans une réplique à André Pratte : »Ce que Pratte omet de nous expliquer, c’est le lien entre l’abolition du placement syndical et la possibilité pour les entreprises intéressées au Plan Nord de développer leurs projets sans avoir les syndicats dans leurs pattes…le problème dans l’industrie de la construction, il n’est pas principalement posé par les syndicats, il est surtout posé par la collusion entre les firmes de génie-conseil et les entreprises de construction pour faire grimper les prix, l’infiltration par le crime organisé à la tête même des entreprises, le financement illégal des partis politiques, etc. »
Le projet de loi 33 aura des conséquences beaucoup plus profondes pour l’ensemble des syndiqué-es et ouvre une période d’affaiblissement des droits syndicaux dans ce secteur. À cet effet, la CSN devrait voir la menace venir.
Pour y voir plus clair, il est important de porter attention aux événements qui ont marqué cette industrie et considérer le rôle positif qu’ont joué les syndicats dans l’amélioration des conditions de travail des travailleurs. À cet effet il nous apparaît tout à fait déplacé, partisan et sectaire de caractériser le rôle de la FTQ de gestion mafieuse. Comment peut-on passer outre au fait que la FTQ ait été la principale centrale syndicale dans le secteur de la construction ? Comment peut-on alors imaginer qu’elle n’ait pas joué un rôle primordial dans la lutte contre la discrimination à l’embauche et l’arbitraire patronal, pour la parité salariale et l’amélioration des conditions de santé-sécurité dont ont bénéficié les travailleurs de la construction depuis plus de quarante ans.
Dans mon dernier article, j’ai expliqué les conséquences négatives du projet de loi pour le mouvement syndical. Je tenterai maintenant de présenter un historique de la lutte des syndicats et plus précisément de la FTQ dans ce secteur névralgique au Québec.
L’origine de la représentation syndicale loi 290 en 1968
Avant 1968, l’industrie de la construction était assujettie aux mêmes lois de relations de travail que toutes les autres industries. On devait obtenir des accréditations avant de commencer à négocier avec un employeur. Les parties pouvaient, par un décret, en étendre la portée sur toute l’industrie dans une région. Ce processus avait pour effet de créer des monopoles syndicaux régionaux, et engendrait des disparités salariales entre les régions. Une multitude de conflits allaient surgir entre les travailleurs parce que les lois ouvrières conçues pour l’industrie ne convenaient pas au secteur de la construction.
La loi 290 adoptée en 1968, était donc la première loi qui reconnaissait le caractère spécifique du secteur de la construction. Elle abolissait le système d’accréditation tel qu’on le connaît dans l’industrie et nommait des parties représentatives dotées de droits de négociation et de représentation, sans égard à leur représentativité. Elle reconnaissait également les bureaux de placements syndicaux.
Suite à plusieurs grèves, la première négociation de 1969 prévoyait une parité du salaire à l’expiration du décret pour tous les travailleurs. Cette entente ouvrait la voie à l’élaboration d’un décret provincial unique. Les négociations de 1970 se sont avérées un échec. L’impossibilité des centrales de s’entendre à la table de négociation a finalement amené le gouvernement à procéder par décret. La FTQ étant devenue majoritaire suite aux votes d’allégeances syndicales, elle a pu convaincre la majorité des employeurs de négocier avec elle une convention collective. Cette entente a été à la source de la loi 9 adoptée en juin 1973. Elle venait corriger la principale lacune de la loi 290, et rendait possible pour les travailleurs l’exercice de leur droit à la négociation. Ce droit de véto que la loi retire aux parties minoritaires avait pour but, à l’origine, de protéger les intérêts particuliers de groupes qui pourraient être lésés par les intérêts de la majorité. La pratique a surtout démontré que ce droit servait plutôt à empêcher toute partie, quelle que soit sa représentativité, de conclure des ententes qui risquaient d’avantager les associations concurrentes. Ce qu’a confirmé Jean Cournoyer, ministre du travail de 1970 à 1975 dans entrevue diffusée sur les ondes de CHMP-FM le 7 octobre dernier. C’est précisément ce que la ministre Thériault s’apprête à remettre en force dans son projet de loi.
Il est important de mentionner que le code du travail prévoit, pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses de l’industrie, que le syndicat qui a obtenu la majorité (50% plus un) lors du vote d’accréditation obtient le monopole de représentation et devient le seul et unique agent négociateur auprès de l’employeur. Ce n’est pas le cas dans la construction, toutes les associations représentatives continuent à exister après la tenue du scrutin. On peut comprendre que cela est une source de conflit permanent.
Illustrons cette situation à l’aide d’un exemple que je connais bien. En 1989, au moment de la révision des unités de négociations dans le secteur postal, le Conseil canadien des relations de travail ordonnait un vote pour déterminer quel syndicat deviendrait l’agent négociateur. Le Syndicat des Postiers du Canada (SPC) l’avait emporté par une faible majorité d’environ 3% devant l’Union des Facteurs du Canada (UFC). Peu importe le vainqueur, s’il avait fallu que les deux syndicats soient reconnus selon le modèle existant dans la construction, il y a fort à parier que les négociations avec Postes Canada auraient été beaucoup plus ardues sinon impossibles. Sans compter que les luttes internes auraient pris le pas sur la mobilisation syndicale.
Le placement syndical
La commission Cliche avait retiré les comités de placement syndical instaurés par la loi 290 (recommandations 116 et 177), au profit d’un système contrôlé par l’office de la construction du Québec (OCQ) en 1975. Dès 1976 peu après sa création, l’OCQ encadrait le placement de façon à donner priorité aux travailleurs réguliers en émettant des certificats de classifications selon les grandes catégories d’occupation. Cependant les bureaux syndicaux continuent d’exister, l’OCQ leur remet une licence et des règles d’éthique. En fait, le placement syndical apportait une solution à la volatilité et à la précarité de la main d’œuvre. Selon les données de l’époque en 1973, 67 350 salariés non qualifiés soit 47% des travailleurs, avaient travaillé à des occupations sans cartes de compétences ni années d’apprentissage.
Plusieurs intervenants sont toujours d’avis aujourd’hui que les syndicats doivent conserver un contrôle sur le placement. Jacques Rouillard, professeur d’histoire à l’université de Montréal considère que : « Les frictions entre les différentes familles syndicales ont amené le gouvernement à vouloir abolir le placement syndical dans la construction, ce qui a pour effet d’affaiblir le syndicalisme, mais le prix à payer n’en vaut pas la chandelle. Il faut que les travailleurs de la construction conservent leur contrôle collectif du placement, ce qui a été un acquis important dans leur rapport de force avec le patronat. » Jean Sexton, membre du groupe de travail des partenaires de l’industrie de la construction sur la machinerie de production est du même avis. « C’est pas fonctionnel et c’est pas pratique de vouloir éliminer le placement puis surtout de donner ça à une bureaucratie croissante qui s’appelle la CCQ, qui elle, n’a pas l’information pointue nécessaire pour faire du placement réel. »
En fait ce n’est pas le placement syndical qui pose problème puisqu’il ne représente que 15% du placement total de la main d’œuvre. Cela demeure un acquis important qui permet de combattre les effets de l’instabilité de l’industrie en favorisant le placement des travailleurs et travailleuse qualifié-es. Un syndicat n’a pas d’autre choix que de placer ses membres puisque c’est son rôle de les représenter. Le problème n’est pas au niveau des syndicats majoritaires, il est au niveau de la loi.
Le 11 novembre dernier, la CSD-Construction ainsi que le Syndicat québécois de la construction ajoutaient leurs voix à celle de la FTQ-Construction et du Conseil provincial pour demander à la ministre de préserver le rôle des syndicats dans l’offre d’emploi en construction. Ainsi tous les syndicats de la construction, à l’exception de la CSN, soit 90 % des syndiqués, s’opposent à l’étatisation du placement syndical supervisé par des fonctionnaires.
Les dangers du projet de loi 33 … ce qu’il ne dit pas
Le travail au noir
Le projet reste muet sur un des problèmes croissant que constitue le travail au noir. En effet, contrairement à la pensée populaire, au Québec les travailleurs syndiqués du secteur de la construction ne représentent que 54% de l’ensemble des salariés de cette industrie. Le taux de syndicalisation est plus élevé qu’au Canada puisqu’au Québec il a un caractère obligatoire, mais il n’est pas de 100%. La moyenne canadienne quant à elle est de 28% si on exclu le Québec.
La syndicalisation n’est en effet obligatoire que dans la construction neuve, laquelle représente un peu plus de la moitié des quelques 40 milliards de dollars des travaux effectués au Québec. Au début des années 70 cette proportion était de 70%. L’inclusion successive de plusieurs exclusions à la loi explique cet état de fait, dont la rénovation résidentielle qui a connu une croissance importante et surpasse maintenant la construction de maisons neuves. En diminuant la présence syndicale, on diminue d’autant le rapport de forces qui a permis l’amélioration des conditions de travail. On augmente aussi l’arbitraire patronal, le travail payé en dessous de la table et le manque des impôts payés à l’État.
La transparence et la reddition de comptes des employeurs
Le projet de loi exige des syndicats qu’ils rendent publics leurs états de comptes sur leur site Internet mais rien en ce qui concerne les employeurs et les donneurs d’ouvrage. À quand des états de comptes publics et détaillés de Tony Accurso, des maires, des familles et des amis des ministres ? Le patronat a fait grand cas des augmentations de coûts au Québec qui seraient selon lui causés par les demandes exagérées des syndicats lors du placement syndical. Mais la réalité est tout autre. Le salaire des employés syndiqués de la construction au Québec est plus bas que dans la plupart des autres provinces. Il faut donc chercher ailleurs. Selon les reportages présentés par l’émission Enquête la collusion des entrepreneurs lors des appels d’offre, pour ne mentionner que cet aspect, participe à augmenter de façon substantielle le prix des travaux d’infrastructure. Ça pourrait aller jusqu’à 30%.
Alors faire le ménage dans la construction oui, mais encore faut-il le faire au bon endroit.
Ouvrages utilisés pour cet article
- Histoire des relations de travail dans la construction au Québec, Louis Delagrave, Les Presses de l’Université Laval, 2009
- Le Droit au Travail, mémoire présenté à la commission d’enquête sur la liberté syndicale dans la construction, FTQ, 1974
- Des bons sentiments à la dictature, Réaction de la FTQ au rapport Cliche et aux lois répressives, 1975
- Mémoire de la CSN sur le projet de loi 33