La question des services publics –peu importe leur appellation- est aujourd’hui centrale, en particulier en Europe. En effet, comme il a été souligné maintes fois, les politiques européennes livrent au jeu de la concurrence nombre de biens et services communs qui devraient être accessibles à toutes et à tous (hommes et femmes, collectivités territoriales, entreprises, organisations diverses), sans condition de revenus.
Le flou des définitions des SIG et autres SIEG, le statut dominant du droit de la concurrence au sein de l’Union européenne, fournissent les arguments juridiques pour développer de telles politiques, foncièrement anti-sociales, et dont les effets délétères apparaissent de plus en plus clairement, en dépit du discours officiel dont la cécité le dispute à la stupidité. Au lieu, par exemple, d’être facteur d’égalité sociale les services publics deviennent source d’inégalités d’un côté, et, d’un autre, source de profits au détriment des bénéficiaires potentiels et des salariés des entreprises de production des services publics.
Pour compléter les analyses et les propositions déjà diffusées, je voudrais insister sur un point plus rarement abordé : celui des services publics comme instruments de politiques économiques et sociales.
En préambule, il faut noter que toute action qui tend à réduire le champ de la marchandise, et plus encore du capital, devrait retenir l’attention. Or, la déstructuration, voire la destruction, des services publics participent au contraire de leur extension, avec toutes les conséquences, la plupart du temps néfastes, constatées depuis deux ou trois décennies.
Les services publics ont besoin de la démocratie
Le marché, et qui plus est -au sens étroit- le marché dominé ou contrôlé par les grandes firmes, concourt à la satisfaction des seuls besoins solvables. C’est un problème en soi. C’est un problème aggravé par les politiques dites « libérales » qui conduisent à l’accroissement des inégalités et au développement de la pauvreté.
Des politiques, démocratiquement préparées, sont au contraire absolument nécessaires pour :
- organiser l’égalité d’accès de toutes et de tous aux biens communs et aux moyens de vie et de culture
- assurer la continuité et la qualité des services
Mais la démocratie ne se réduit pas aux seuls débats parlementaires. Elle doit associer la puissance publique, les collectivités territoriales aux niveaux adéquats (du local à l’européen), les citoyens, les utilisateurs, les personnels. Le principe de subsidiarité et la coopération doivent gouverner l’organisation des services publics à toutes les échelles et à toutes les étapes. Cela implique la construction d’espaces publics et démocratiques d’élaboration des objectifs et des moyens, ainsi que du contrôle de leur mise en œuvre, tant pour vérifier leur application que pour, le cas échéant, envisager des corrections qui seraient rendues nécessaires soit par des imperfections originelles, soit par des circonstances nouvelles.
Cela suppose que l’information soit disponible. Que des expertises, éventuellement contradictoires tant au plan de l’analyse qu’à celui des propositions, soient produites et destinées à tous, sous des formes accessibles. Que des temps de débat soient organisés, le cas échéant sur des périodes longues, y compris au sein des entreprises, sur le temps de travail.
La démocratie a besoin des services publics
La satisfaction des besoins sociaux et culturels dépend des orientations qui seront ainsi définies et des moyens qui seront décidés pour atteindre les objectifs retenus.
Il faut cependant ajouter une dimension à cela : celle des services publics comme intruments-guides des politiques économiques. Des services publics élargis, puissants, bien organisés, démocratiques dans leur conception, leur gestion et leur contrôle, contribueraient à contrecarrer la subordination de toute activité au droit de la concurrence. Ils créeraient les conditions pour, au contraire, subordonner –au moins partiellement- le marché aux politiques sociales et économiques.
Les politiques qui seraient décidées dans un cadre démocratique rénové et étendu auraient un effet d’entraînement réel sur le reste de l’économie, régie par le marché. Il suffit de penser aux politiques de construction de logements, d’équipements sanitaires, d’écoles, d’universités, de centres de recherche, de réseaux de transports et de communication, de production et de distribution de l’énergie, de mise à disposition de l’eau… Leur importance, leur localisation, leur destination, le type d’équipements choisis, constitueraient autant d’ouvertures et de possibilités pour les entreprises privées, non plus à partir des seuls besoins fabriqués par la publicité et le marketing, mais en fonction de politiques qui seraient l’affaire de tous.
Evidemment, de telles vues n’ont de sens et de portée que si le crédit et la monnaie ressortissent de la compétence des instances démocratiques des Etats et de l’Union européenne, de même que le contrôle des mouvements de capitaux.
Nombre de politiques (en vertu du principe de subsidiarité effectivement appliqué) devront être développées avantageusement au niveau local ou à l’échelle des Etats, selon la dimension et la nature des questions à résoudre, et aussi pour prendre en compte les particularités locales ou nationales, matérielles, historiques, culturelles. A une échelle plus vaste, il n’est pas interdit de penser à des services publics européens (dans les transports ou les télécommunications, par exemple). En toute hypothèse, de nombreuses coopérations entre services publics, à géométrie variable si nécessaire, pourraient être mises en œuvre au sein de l’Union européenne, tout comme à l’échelle internationale, ce qui pour l’instant ne concerne que des domaines limités (contrôle aérien, par exemple, mais pas –encore- la lutte contre les pollutions).
C’est donc à un renversement de perspective et de priorités qu’il convient de travailler.
Le social, la culture et la démocratie ont partie liée en la matière.
Marc MANGENOT
Fondation COPERNIC