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Les salariés des associations se syndiquent dans la douleur

Ils ont d’abord pensé à l’appeler « Syndrome de Stockholm », puis finalement se sont accordés pour un nom plus consensuel. Asso. Les fondateurs du syndicat, créé en février 2010 et affilié à Solidaires [1], avaient à l’esprit ce paradoxe : les salariés du monde associatif sont les premiers à se ranger du côté de leurs employeurs, quand ceux-ci nient les principes élémentaires du droit du travail.

Qui dit associations, pense bénévoles. Mais qu’en est-il des salariés ? Ceux-ci, de plus en plus nombreux- près de 2 millions- ont bien du mal à défendre leurs droits. Dans un monde où l’on est censé travailler par conviction, le mode revendicatif dérange.

Une réponse à la professionnalisation croissante du secteur

Les limites entre vie personnelle et professionnelle sont parfois floues, l’investissement militant ne fait pas toujours bon ménage avec les règles hiérarchiques. Camille (les prénoms ont été changés), jeune recrue de 26 ans dans une ONG de solidarité internationale, explique :

« Quand j’ai commencé à travailler, mes collègues m’ont mise en garde : ne bosse pas le dimanche. Eux-mêmes ne suivaient pas ce conseil, et quand j’ouvrais ma boîte e-mail le lundi matin, je recevais une tonne de messages qui me prenaient un temps fou. Donc j’ai fait comme eux.

J’ai bien essayé d’éviter de faire des heures sup » moi aussi, mais certaines missions n’attendent pas. L’asso décolle tout juste, on n’est pas assez nombreux… et puis comment faire attendre des partenaires quand tu traites de l’enfance maltraitée ? »

Comme une thérapie collective

Cette schizophrénie difficilement compréhensible par les structures traditionnelles a poussé David Eloy, rédacteur en chef de la revue Altermondes [2], à participer à la création d’ASSO. Premier acte : libérer la parole des salariés, premiers à se censurer au nom des beaux principes qui les ont mené à travailler dans ce secteur.

« Ça a été comme une thérapie collective », dit David Eloy. Mais en face, les réactions ont été violentes. Comme le raconte Marine, 33 ans :

« Peu après le lancement, on a organisé des élections de délégués du personnel. Le regard qu’a porté la direction sur moi a changé. J’ai subi du harcèlement, l’ambiance était pourrie. Comme je suis en CDI, ils n’ont pas pu me virer tout de suite. Il y a deux mois, ils ont mis fin à ma mission sans préavis. »

Ce genre de témoignages, Mathieu Hély, sociologue à la Sorbonne, en recueille tous les jours. Avec sa collègue Maud Simonet, spécialiste du bénévolat, il suit avec un intérêt particulier la création d’ASSO. Auteur des « Métamorphoses du monde associatif » (PUF, 2009), il estime que cette formation syndicale est une des premières réponses à la professionnalisation croissante des associations au cours des dix dernières années.

Une réponse à la professionnalisation croissante du secteur

Selon le dernier bilan de la « France associative » émanant du cabinet « Recherches et Solidarités » [3], le secteur associatif a crée plus de 333 000 emplois au cours de la dernière décennie, soit une croissance de 22% contre 7% dans le secteur privé marchand.

En s’institutionnalisant, celles-ci ont dû faire appel à des gens formés pour assurer un travail toujours plus lourd. Seulement, les vieux réflexes n’ont pas suivi le changement. Jusqu’à produire des situations absurdes, comme l’expliquent Eric et Léna (les prénoms ont été changés), délégués du personnel dans une plate-forme d’ONG :

« L’élection de délégués du personnel a été très mal perçue par notre direction, à savoir notre bureau d’élus. Ce sont eux les patrons, mais ils n’arrivent pas du tout à se percevoir comme tels, car pour eux l’asso, c’est toute leur vie de bénévoles.

La présence d’un directeur censé faire tampon n’a pas réglé les tensions. Résultat, en interne, on est incapables d’appliquer ce qu’on dénonce à l’extérieur, à savoir la démocratie, la défense du droit du travail… »

Les salariés associatifs font un boulot qui incombe à l’Etat

Comme l’analyse Mathieu Hély, difficile de muter en organisations efficaces des structures où, juridiquement, les élus décisionnaires sont forcément des bénévoles. La diversité des associations rend encore plus difficile une réponse traditionnelle aux questions portant sur le droit du travail, a fortiori syndicale.

Quel est le point commun entre une petite association d’aide à domicile en Creuse employant cinq salariés, avec une grosse ONG de coopération internationale de 200 employés ? Anne-Gaëlle, salariée d’une association de culture et de patrimoine dans le Vaucluse, a bien une idée :

« Dans mon asso, malgré les tensions inhérentes à une structure mêlant bénévoles et professionnels, j’estime que mes droits sont respectés.

En revanche, ce que je remarque, c’est qu’avec la baisse des subventions publiques, on travaille de plus en plus “par coups”, en répondant à des appels d’offre du ministère de l’Environnement par exemple. Et on emporte le morceau parce qu’on est les moins chers.

J’ai donc parfois l’impression de faire le travail de l’Etat, sans avoir ni la paye ni la reconnaissance d’un fonctionnaire. »

Le tiers-secteur, sous-traitant de l’Etat ? Les spécialistes, Mathieu Hély en tête, en sont persuadés. Sous couvert de solidarité, de partage, de sens du bien commun, salariés associatifs effectuent donc des tâches relevant du service public, sans cadre juridique autre qu’une interprétation parfois sommaire du droit du travail. Et en plus, sans oser se plaindre ! En attendant que les politiques s’en mêlent, le syndicat ASSO espère au moins leur donner une voix.

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