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Les patrons canadiens gagnent 155 fois le revenu moyen d’un salarié canadien à temps plein

(Montréal) Hier à 14h30, dès le premier jour de travail officiel de l’année, les 100 chefs de la direction les mieux payés au pays avaient déjà empoché en moyenne l’équivalent de ce que gagnera un travailleur ordinaire au cours de 2011.

C’est avec cette image évocatrice que le chercheur Hugh Mackenzie, du Centre canadien de politiques alternatives, attire l’attention sur les revenus en béton des grands dirigeants d’entreprises canadiennes cotées en Bourse, qui ont traversé la crise économique sans encombre. «J’ai été surpris de leur résilience au pire moment de la récession», commente-t-il.

Dans son étude Recession-Proof (À l’épreuve des récessions), l’auteur a compilé les revenus des 100 chefs de direction les mieux payés au Canada. Ils ont touché en moyenne 6 643 895$ en 2009, pendant que le travailleur canadien à temps plein gagnait 42 988$.

La première place du palmarès est occupée par Aaron Regent, chef de direction de Barrick Gold, qui a empoché 24 millions de dollars et des poussières en 2009 – les poussières totalisant à elles seules 217 040$, soit cinq fois un revenu ordinaire.

Le revenu moyen de cette cohorte s’est tout de même légèrement contracté par rapport à 2008, alors qu’il atteignait 7,3 millions – 174 fois le revenu moyen de 42 305$.

Hugh Mackenzie décrit ainsi le principal impact de la crise boursière: avant la récession, les PDG canadiens les mieux payés avaient déjà gagné l’équivalent du salaire annuel du travailleur moyen en matinée du premier jour de travail. Avec la récession, ce dépassement s’est produit après le lunch.

Un fossé qui s’élargit

En dépit de ce léger recul, le fossé entre les revenus des plus nantis et ceux des travailleurs ordinaires s’est considérablement accru au fil des ans.

En 2009, les 100 chefs de direction les mieux payés ont gagné en moyenne 155 fois le revenu du travailleur canadien moyen. En 1998, le rapport s’établissait à 104 pour 1. À la fin des années 80, il n’était encore qu’à 40 pour 1.

Selon Hugh Mackenzie, un des principaux moteurs de cette accélération est le remplacement des primes annuelles des dirigeants par des récompenses sous forme d’options sur actions, dont l’importance l’a étonnée. D’autant plus que les nouvelles méthodes de reddition de comptes en vigueur depuis 2008 ne permettent d’obtenir qu’une approximation des bénéfices encaissés par les hauts dirigeants avec les options sur actions. À cet égard, le revenu moyen de 6,6 millions de dollars calculé en 2009 est une estimation prudente, probablement en deçà des revenus réels.

«L’option sur action est une mauvaise manière de rémunérer les chefs de la direction, soutient-il. Il est très difficile d’établir un lien entre les performances boursières d’une entreprise et l’efficacité de son chef de la direction.»

S’il faut récompenser la performance boursière, il serait plus juste de comparer l’évolution du titre avec celle d’entreprises du même secteur.

Par ailleurs, en 2009, des options d’une valeur de quelque 1,3 milliard de dollars n’avaient pas encore été exercées, soit une moyenne de 13 millions pour chacun de ces 100 champions de la rémunération.

En outre, fait valoir le chercheur, les bénéfices réalisés au cours de l’exercice de ces options seront imposés comme un gain en capital, soit à la moitié du taux d’un revenu ordinaire. C’était le cas de près du tiers de leurs revenus en 2009. «Je n’ai pas encore entendu d’arguments solides qui justifieraient pourquoi le traitement fiscal favorable accordé aux gains en capital, en compensation des risques de pertes, devrait s’appliquer aux options sur actions, où ce risque n’existe pas», exprime Hugh Mackenzie.

Les profits encaissés au cours de l’exercice d’une option sur actions devraient être imposés comme toute autre rémunération, estime-t-il.

Inégalités croissantes

«L’explosion de la rémunération des chefs de direction est une des principales causes de l’accroissement des inégalités dans notre société», observe encore Hugh Mackenzie.

Selon une autre étude du CCPA, paru en décembre dernier, le tiers de l’accroissement de revenus réalisés au Canada entre 1997 et 2007 a été empoché par les 246 000 contribuables qui forment les 1% les plus riches au pays.

L’économiste Pierre Fortin, professeur émérite à l’UQAM, dénonce lui aussi ces écarts «épouvantables», mais rappelle cependant que l’envol de la rémunération des hauts dirigeants est surtout le fait des pays anglo-saxons – États-Unis, Grande-Bretagne, Australie et Canada anglais.

Avant la récession, aux États-Unis, les 1% les plus riches recueillaient 24% des revenus totaux. La proportion était similaire en Grande-Bretagne. Au Canada hors Québec, la frange supérieure accaparait 15% des revenus. «Au Québec, la proportion tombe à 11%, une proportion qui n’est pas tellement différente de celle qui prévalait il y a 30 ans», soutient-il. Ce qui ne l’empêche pas de préconiser une hausse des impôts pour les revenus les plus élevés.

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