100 jours et quelques heures… avant l’Université populaire et le FSM
Le 9 août prochain, le FSM sera inauguré par une marche dans les rues du centre-ville de Montréal, suivie d’une fête. Le lendemain, la tempête des idées va commencer, notamment à travers l’« espace émancipation » organisé par les NCS. Il faudra tenir sa tuque bien serré, car le vent va être fort. Dans notre université populaire, c’est la richesse et la complexité de ce processus d’émancipation que nous voulons aborder. Nous allons partir d’un diagnostic sans complaisance des dispositifs du pouvoir en place, celui du 1 %. Nous voulons comprendre et discuter, au-delà des apparences, des causes de l’exploitation, de la domination, de l’exclusion et remonter jusqu’aux racines d’un système mu par l’accumulation pour l’accumulation et l’individualisme possessif. Puis, nous allons passer de l’autre côté du mur pour décortiquer les stratégies de résistance et d’émancipation mises en place par les mouvements populaires partout dans le monde. Parallèlement, nous allons rêver, fêter, imaginer, créer des passerelles entre toutes sortes de personnes et de mouvements à travers le monde. Dans cela, nous ferons appel aux leçons du passé pour entrer dans le cœur même des débats actuels où s’élaborent les grandes convergences. Nous aurons pour voir plus clair l’éclairage de jeunes et de jeunes de cœur qui réfléchissent et travaillent avec et pour les mouvements populaires, du Québec, des États-Unis, du Canada, d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie et d’Europe. Et ainsi, on pourra puiser dans un immense réservoir de projets, d’outils, de méthodologies et de nouvelles idées, pour aller plus loin, pour s’organiser, pour résister et surtout, pour VAINCRE.
Ce n’est pas vrai qu’on va se laisser faire
Plusieurs centaines de militantes et de militants ont occupé vendredi 29 avril, le siège social de RBC, une des succursales de la Banque Scotia, et les bureaux de KPMG à Montréal. Ces occupations, appuyées par une manifestation de 300 personnes ont été organisées par la Coalition Main rouge dans le cadre de sa journée nationale d’actions pour un réinvestissement massif dans les programmes sociaux et les services publics afin de demander des mesures concrètes pour lutter contre les échappatoires fiscales. À Québec, plus d’une centaine de manifestantes et de manifestants, à l’appel de l’Association des étudiantes et des étudiants en sciences sociales de l’Université Laval, du Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches, du Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale et du Regroupement des organismes communautaires de la région, ont bloqué l’accès du ministère des Finances pour exiger un réinvestissement massif dans l’action communautaire autonome, l’éducation et la santé. Dimanche 1er mai, plusieurs manifestations ont eu lieu dans plusieurs régions du Québec à l’initiative des centrales syndicales pour marquer notre refus des mesures de destruction du gouvernement Couillard contre l’État social.
La lutte pour le 15 $ de l’heure : le vent se lève
C’est aux États-Unis, à Seattle, que des collectifs militants répondant à l’appel de la conseillère municipale Kshama Sawant se sont d’abord mis en place pour dénoncer les conditions salariales déplorables qui affectent ce qu’on appelle aux É-U les « working poor », qui sont plusieurs dizaines de millions, notamment dans les services. Depuis, des syndicats américains et d’autres groupes ont entrepris la bataille à New York, Chicago, Portland, Los Angeles, San Francisco et plusieurs autres villes. En mars dernier une grande victoire a été remportée quand la Californie (l’État le plus populeux des États-Unis) annonçait qu’elle hausserait le salaire minimum à 15 $ d’ici 2022. Au Québec, la FTQ, le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN, le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants de Montréal et l’organisme Au bas de l’échelle ont commencé une campagne qui voudrait s’élargir à l’échelle de tout le Québec. Sont visés particulièrement les travailleuses et les travailleurs précaires qui sont arnaqués par les agences de placement temporaire, où on retrouve beaucoup d’immigrantes et d’immigrants. Selon Au bas de l’échelle, plus de 20 % de la main d’œuvre se retrouve dans cette catégorie. Pour Dominique Daigneault du Conseil central, cette campagne est l’occasion pour le « mouvement syndical de se renouveler et de mobiliser l’ensemble des travailleuses et des travailleurs, syndiqués ou non ». (Unité, Conseil central du Montréal métropolitain, mai 2016). À l’Assemblée nationale, Manon Massé a présenté une motion sans préavis qui affirmait que « toutes les travailleuses et tous les travailleurs qui travaillent à temps plein ont droit à un salaire viable et ne devraient pas vivre dans la pauvreté ». La motion demandait au gouvernement de hausser le salaire minimum à 15 $ de l’heure d’ici la fin de la présente législature, soit dans un peu plus de deux ans. La motion n’a pas été débattue, faute de consentement, notamment de la part du PQ. PKP trouvait cela « exagéré ».
Retour sur la lutte du Front commun
Tout au long du processus du Front commun, le caractère démocratique de la négociation s’est atténué. Plus celle-ci avançait, plus le processus s’est centralisé dans les mains des comités de négociation et des directions des fédérations et centrales syndicales. Si certaines personnes affirment qu’il s’agit d’un processus inévitable, je prétends le contraire. La grève étudiante de 2012 a démontré d’une façon éclatante que les militantes et les militants peuvent analyser des ententes, se prononcer et maîtriser les éléments clés de la négociation et de la mobilisation. La démocratie syndicale ne peut se limiter à l’exercice du vote des délégué-es ou des membres. Elle implique une participation active et constructive au processus de délibération. Prendre le temps de débattre a également pour effet de diminuer la pression sur l’équipe de négociation, de sortir du timing imposé par le gouvernement et d’ainsi augmenter le rapport de force. Au bout de la ligne, les dirigeants syndicaux, des présidences des centrales aux délégué-es des syndicats, devraient avoir plus de déférence pour les assemblées générales. Des documents écrits devraient être diffusés avant les instances afin de permettre aux délégué-es d’être préparés. Finalement, il faut en finir avec la tradition du ralliement obligatoire et de son corollaire, le geste de rupture que constitue la dissidence. Ainsi, les instances intermédiaires pourraient garder leurs prérogatives de recommander, ou non, aux assemblées générales. Les délégué-es pourraient avoir comme responsabilité de rapporter fidèlement les décisions et le contenu des délibérations à leurs assemblées. Cela aurait aussi pour avantage de décharger les responsables de la négociation. Si certaines personnes conçoivent la démocratie syndicale comme un mal nécessaire, je la conçois comme un outil de la lutte et comme la plus grande force du mouvement syndical.
Benoît Lacoursière, extrait d’un texte qui paraîtra dans un dossier sur le Front commun dans le prochain numéro des NCS, août 2016
Ne pas oublier les 98 %
De passage à Montréal à la fin d’avril, le brésilien Chico Whitaker nous a rappelé que la bataille actuelle n’était pas vraiment entre le 1 % et les 99 %, mais entre le 1 % (la droite et les élites) et le 1 % (militant-es et organisations). Certes, le discours inventé par Occupy, le 1 % contre les 99 %, a quelque chose de vrai. Objectivement, la société est polarisée entre une poignée d’ultrariches et la vaste majorité des gens. Subjectivement cependant, cela n’est pas tout à fait vrai. À part le périmètre restreint qui est engagé dans la lutte (plus ou moins un autre 1 %), beaucoup de gens ont des comportements qui varient. Plusieurs sont les gens, nous disait Whitaker, qui ont si peu de ressources que l’essentiel de leur vie est consacré à survivre. Il y aussi des gens du peuple qui s’identifient à l’élite, qui pensent que cette élite a raison et que de toutes les manières, ainsi est l’ordre « naturel » des choses. Enfin, toujours dans ces 98 %, il y a passablement de personnes qui veulent et qui peuvent lutter, pas nécessairement comme le 1 % militant, mais qui sont là, en tout cas, souvent. Quand ce 1 % fait bien ce travail, une grande partie des 98 % s’investit dans la lutte et alors, il y a un réel processus de transformation. On le voit aujourd’hui, par exemple en Bolivie, peut-être en Espagne et encore à une plus petite échelle, à travers toutes sortes de mouvements et de luttes populaires dans le monde, y compris dans notre village québécois. Les 98 % québécois sont apparus dans la rue au printemps 2012, parce que le 1 % (l’ASSÉ) a bien fait son travail, pas en redisant des banalités, pas en se substituant, mais en élaborant la stratégie, en tissant le fil. Faire ce travail, cela demande de la détermination et de la patience. Il faut avancer là où on peut avancer, tenir compte des conditions, y compris des projets, des rêves, des langages qui existent et qui font que les peuples se forgent une identité. Tenir compte de cela, c’est tout un art, qui n’est jamais donné d’avance, qui n’existe pas dans un grand livre de recettes. « On avance en marchant », disent les zapatistes, mais il faut faire attention disent-ils, car « c’est un marathon, et non un sprint ».
Pierre Beaudet
Université populaire : appel à toutes et à tous
Le projet d’université populaire de 2016 est en train de prendre forme. Cela sera comme d’habitude une vingtaine d’ateliers et de rencontres pleines de découvertes, d’explorations et de débats. Cette année, puisque nous serons dans le cadre du FSM, nous avons internationalisé davantage notre programme, ce qui fera qu’on aura la chance d’échanger avec des camarades français, américains, brésiliens, marocains, palestiniens et d’autres de plusieurs nationalités et origines. Comme dans les années précédentes, nous aurons, pour lancer les débats, des personnes en provenant des mouvements populaires, des syndicats, des groupes féministes, écologistes, étudiants, des communautés autochtones. Vous pouvez voir le programme provisoire qui est déjà sur notre site.
À travers tout cela, nous avons un défi supplémentaire qui est celui du financement. Dans les années précédentes, une bonne partie de nos revenus provenaient des frais d’inscription, ce qui représentait bon an mal an une bonne partie de nos frais. Cependant cette année, puisque nous sommes dans le Forum social, nous ne recevrons pas ces frais d’inscription. Pour ces raisons, nous voulons demander aux ami-es et membres des NCS si vous pouvez apporter une aide financière « extraordinaire » pour que nous passions à travers de manière correcte et sans endetter notre collectif qui jusqu’à présent, a toujours réussi à vaincre avec ses moyens.
Le comité de coordination : Flavie Achard, Pierre Beaudet, John Bradley, Donald Cuccioletta et Édouard Lavallière
Quelques échos du Forum social mondial
Plus de 8000 personnes et 400 organisations se sont déjà inscrites pour participer au FSM, ce qui est un chiffre encourageant et passablement plus élevé que lors des FSM précédents. Cela inclut un grand nombre de personnes et de groupes de l’extérieur du Québec. L’évènement aura lieu principalement à l’UQAM avec des prolongements à McGill, Concordia, Cégep du Vieux-Montréal, ainsi que dans un certain nombre d’espaces publics et de parcs. Plusieurs « espaces » regroupant des organisations sont mis en place sur divers thèmes comme le travail, l’environnement, les autochtones, les jeunes, les femmes, sans compter l’ « espace émancipation » des NCS. Il reste par ailleurs probablement plusieurs défis pour que le FSM soit un moment fort pour les mouvements populaires dans le monde. La structure décentralisée du Forum et le fait que le comité de coordination ne soit pas imputable aux organisations (c’est un regroupement d’individus) fait en sorte que subsiste justement une tension entre la nécessité de l’inclusivité d’une part et l’impératif de développer des stratégies coordonnées d’autre part. Le Forum doit évoluer dans ce domaine pour dépasser les limites des exercices précédents où la dimension « souk » l’emportait parfois sur la dimension « stratégies » où des mouvements élaborent ensemble des moyens de renforcer leurs luttes. On verra ce qu’il en sera néanmoins dans les prochaines semaines et surtout lors du Forum du 9 au 14 août.
Espace de réflexion
Notre destin est de lutter
L’une des tromperies de ceux d’en haut est de convaincre ceux d’en bas que ce qu’on n’obtient pas facilement tout de suite, on ne l’obtient jamais. Ils veulent nous convaincre que les luttes longues et difficiles ne font que nous épuiser et n’aboutissent à rien. Ils brouillent le calendrier d’en bas avec celui d’en haut : élections, comparutions, réunions, rendez-vous avec l’histoire, dates commémoratives, qui n’ont comme effet que d’occulter la douleur et la colère. Le système n’a pas peur des explosions, si massives et lumineuses soient-elles. Si le gouvernement tombe, il en a un autre dans son panier pour le remplacer. Ce qui le terrorise, c’est la persévérance de la rébellion et de la résistance d’en bas.
Car en bas, on suit un autre calendrier. Une marche d’un autre pas. C’est une autre histoire. C’est une autre douleur et une autre colère. Un peu plus chaque jour, nous, ceux d’en bas, pourtant si différents et dispersés, sommes attentifs non seulement à notre douleur et à notre colère, mais aussi à poursuivre notre cheminement avec persévérance et à ne jamais nous avouer vaincus.
Croyez-moi, votre lutte ne dépend pas du nombre de manifestants, du nombre d’articles publiés, du nombre de mentions dans les réseaux sociaux, du nombre d’invitations que vous recevez. Votre lutte, notre lutte, les luttes d’en bas en général, dépendent de notre résistance. De ne pas nous rendre, de ne pas nous vendre ni ne baisser les bras.
En tant que zapatistes, nous avons aussi appris que rien ne s’obtient vite et facilement, ni ce qu’on mérite ni ce dont on a besoin. Car l’espoir, en haut, est une marchandise, mais en bas, c’est une lutte pour se convaincre d’une chose : nous allons obtenir ce que nous méritons et nécessitons, parce qu’on s’organise et qu’on lutte pour cela.
Notre destin n’est pas le bonheur. Notre destin est de lutter, de lutter toujours, à toute heure, à tout moment, en tout lieu. Peu importe si le vent nous est favorable. Peu importe si nous avons le vent et tout le reste contre nous. Peu importe que la tempête arrive.
Sous-commandant Galeano, Armée zapatiste de libération nationale (EZLN)