Le Forum social mondial en marche et l’université populaire des NCS
Du 9 au 14 août prochain, vous le savez, Montréal accueille le monde des mouvements et des résistances de toute la planète. Les NCS vont d’ailleurs organiser leur université populaire à l’intérieur du FSM. Pour le moment, les inscriptions dépassent 5000 personnes et 400 organisations. Elles viennent de chez nous, mais aussi des États-Unis, de la France, du Brésil, du Japon, de la Chine, du Mali, de la Palestine et d’ailleurs. Cette année, plusieurs groupes se sont mis ensemble pour créer des « espaces » thématiques dans lesquels seront abordés les plis et les replis de l’éducation, de la santé, de l’environnement, du travail, des jeunes et de la solidarité internationale. Tout cela sera mis prochainement en ligne.
Par ailleurs, les organisations peuvent maintenant s’inscrire et inscrire leurs activités https://fsm2016.org/participer/enregistrer-une-organisation/
En attendant, voici un exposé de la thématique de quelques ateliers de l’université populaire des NCS.
La philosophie, ça sert aussi à réfléchir
Les mouvements populaires sont presque toujours à la course. Les impératifs du moment s’accumulent, on a rarement le temps de prendre une distance. Des chercheur-es de pointe qui travaillent sur les concepts, les théories, l’histoire, il n’y en a peu qui veulent travailler avec les mouvements populaires. En partie parce que le système universitaire les enferme dans un étau impitoyable. En partie parce qu’il y en a qui préfèrent se mettre au service des dominants. Mais il y a des exceptions et parmi celles-ci, il y a un intellectuel de haut vol qui s’appelle Boaventura Sousa Santos. Il navigue entre son Portugal natal, les États-Unis et le Brésil. C’est aussi un habitué du Forum social mondial. Il a donc accepté notre invitation pour venir à Montréal en août prochain. Boaventura travaille à ce qu’il appelle la « sociologie des émergences ». C’est une méthode pour percevoir les tendances dans le réel et l’actuel, ce qui s’en vient mais qui n’est pas encore là. C’est important, notamment pour comprendre les mouvements populaires dont l’impact est souvent à retardement. Une autre piste qu’il explore, c’est ce qu’il appelle une « alter » épistémologie. Dans les universités et le monde de la recherche, on fonctionne avec des concepts établis, des paradigmes qui, pour la plupart, viennent du monde occidental et de la période des Lumières où ont été élaborées les idées contemporaines qui servent à comprendre l’État, la démocratie, le progrès. Or, nous dit Boaventura, il importe de comprendre que d’autres peuples ont créé d’autres épistémologies, d’autres méthodologies pour comprendre le monde. Ainsi les Amérindiens héritent d’une culture millénaire qui conçoit le monde comme un tout organique, un ensemble d’entités, impliquant humains, non-humains et même éléments naturels. Dans notre philosophie occidentale héritée d’Aristote, le monde est construit sur une hiérarchie au sommet de laquelle « trônent » les humains. On en arrive par après à considérer les formes de vie ainsi que la terre comme des « ressources », à notre service, sans voir l’interaction, la complémentarité, l’interdépendance de tout ce qui existe sur cette pachamama. Comment s’en sortir ? Comment apprendre de la philosophie des Andins ? On pourra lors de l’université populaire discuter dans un atelier organisé par Jean-Guy Ouellet, par ailleurs coordonnateur du prochain numéro des NCS qui porte sur la justice.
Pierre Beaudet
L’histoire, c’est aussi maintenant et aujourd’hui
Outre ses figures légendaires tel Louis-Joseph Papineau et Robert Nelson, le mouvement patriote a été un mouvement populaire dont l’originalité renvoie à la radicalisation d’une coalition inédite de paysans, d’urbains et de membres éclairés de l’élite tous portés par l’idéal républicain. Outre la séparation de l’Église et de l’État, la déclaration d’indépendance publiée le 28 février 1838 par Robert Nelson affirmait « les droits égaux pour les Blancs et les autochtones, l’abolition du régime seigneurial, la liberté de presse et l’égalité des langues française et anglaise ». Comment en expliquer l’échec et quel en fut l’héritage quelques années plus tard lorsqu’en 1867 les élites françaises et anglaises d’Amérique concluaient le pacte constitutionnel canadien ? Comment, par extrapolation, le moment républicain que revêtirent les deux soulèvements allait transfigurer notre rapport au politique et, partant, poser les jalons d’une identité nationale ? C’est pour voir plus clair qu’on organise à l’université populaire un atelier sur ce « moment républicain ». Tout le monde sait que ce projet a été vaincu, qu’il a fallu des décennies pour reconstruire un mouvement populaire au Québec, mais on ne connaît pas trop les causes. C’est ce que cet atelier servira à décortiquer en août prochain.
Stéphane Chalifour
Une rencontre d’un troisième type
Les NCS portent attention à ce qui se passe dans le monde, même si notre point central demeure le village de Gaulois. Le monde, au niveau de la militance et de la réflexion critique, on l’oublie parfois, c’est aussi les États-Unis où prolifèrent des mouvements, des réseaux et des publications. Prenez une minute pour connaître, par exemple un projet intéressant de revue qui s’appelle Jacobin. Celui-ci représente la nouvelle génération militante, celle des mouvements de lutte contre Occupy, qui réorganise l’action syndicale et qui développe une analyse renouvelée du capitalisme et de l’impérialisme « made in the USA ». On espère entendre leurs points de vue lors du FSM cet été. En attendant, vous pouvez entendre l’entretien de Bashakar Sunkara, fondateur et rédacteur en chef de Jacobin (https://www.youtube.com/watch?v=s27oZ_Jnu7k) et aussi lire la revue en ligne (https://www.jacobinmag.com/).
Thomas Chiasson-LeBel
Le Moyen-Orient dans l’étau
Tout le monde voit ce qui se passe dans cette tragique partie du monde, notamment en Syrie. État au centre de l’échiquier politique et historique du Moyen-Orient, la Syrie est aujourd’hui un champ de ruines résultant de la guerre multiforme mettant aux prises la dictature de Bachar El-Assad face à des groupes dits islamiques et une galaxie d’organisations démocratiques. Ces confrontations sont alimentées et manipulées par l’ingérence des grandes puissances de même que par celle de divers pays de la région qui cherchent à affirmer leur hégémonie, notamment Israël, la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Iran. L’opposition démocratique arabe et kurde résiste de peine et de misère. Gilbert Achcar, un chercheur d’origine libanaise qui travaille à Londres, sera parmi nous au FSM pour discuter de cette crise. Gilbert est un phare internationalement reconnu pour ses recherches sur cette région. Son livre publié en 2013, Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, nous permet d’aller plus loin.
Refat Sabbah
Crise écologique : le futur e(s)t maintenant
Cet atelier vise à nous secouer : les choix sont clairs… Soit un monde réchauffé de 4 °C avec une destruction massive de la biosphère et le risque d’effondrement de la civilisation humaine… Ou le début d’une reconstruction profonde de l’économie et de la société. La discussion vise à analyser les stratégies écosocialistes dans le contexte des revendications et des luttes sur cette question. L’américain Fred Magdoff et la québécoise Andrea Levy prendront la parole.
John Bradley
Immigration, travail et exclusion
Le phénomène migratoire, sous les effets conjugués de la globalisation et du néolibéralisme, a connu un accroissement sans exemple. Le déplacement massif des mains-d’oeuvre des pays du Sud vers ceux du Nord s’effectue au profit de l’accumulation du capital à l’échelle planétaire. L’une des conséquences d’un tel changement est le nombre important d’immigrants et d’immigrantes avec des emplois très précaires. Dans un contexte où les droits du travail, les acquis sociaux et économiques de la population en général subissent, surtout au Québec, les assauts répétés de l’application des politiques néolibérales, l’éventualité d’une lutte commune s’impose. Cet atelier sera alimenté par les réflexions d’Eric Shragge (Centre des travailleurs immigrants), Chantal Ismé (militante féministe), Will Prosper (militant communautaire de Montréal-Nord), Mireille Fanon-Mendes-France (Fondation Fanon).
Ricardo Gustave
Oser rêver : vers Front commun Québec-Canada
L’approfondissement de la crise économique mondiale nous interpelle tous et toutes. Dans ce contexte, la lutte de libération nationale au Québec peut jouer un rôle de catalyseur pour un changement social fondamental au Québec qui aura inévitablement un impact dans l’État canadien. La solidarité de la classe ouvrière canadienne aura dans cette perspective un impact déterminant pour contrer l’offensive de l’establishment canadien tout en favorisant le développement de sa propre lutte. L’exemple de l’étouffement de la lutte anti-austérité en Grèce par la Banque centrale européenne est révélateur à cet égard. L’atelier sera animé par André Frappier (Montréal), David Bush (Toronto), Leslie Thompson (Halifax), Matthew Brett (Winnipeg), Sarah Beuhler (Vancouver), Kevin Skerrett (Ottawa) et Clifton Nicholas (Kanesatake).
André Frappier
Rendez-vous avec des héros dont on ne parle pas
On se souvient souvent des grands personnages de l’histoire (Mandela, Gandhi, Rosa Luxembourg, etc.), mais beaucoup moins souvent des héros qui tiennent, souvent à bout de bras, des luttes et des résistances. On peut penser à un en particulier. C’est maintenant un grand-papa, mais cela fait 50 ans qu’il résiste dans une société pas facile du tout qui s’appelle Israël. Il s’appelle Michel Warschawski, mais tout le monde le connaît comme Mikado. Ce fils d’un grand rabbin de France est arrivé dans la tourmente comme militant étudiant lié à des groupes d’extrême gauche. Ceux-ci, à l’époque, appuyaient la lutte palestinienne et même les mouvements qui mettaient en place l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). Il fallait le faire, car la grande majorité des Israéliens, y compris de gauche, voyaient les Palestiniens en général et les mouvements en particulier comme une vulgaire bande de terroristes. Mikado a tenu bon. Il est allé en prison pour refuser de servir dans l’armée. Encore aujourd’hui, il rencontre les Palestiniens et les Palestiniennes dans les territoires occupés et construit des projets pour animer d’innombrables campagnes autour d’un des rares organismes qu’on peut définir d’israélo-palestinien, l’Alternative Information Center (AIC). Être loyal à la cause en Israël et en Palestine, ce n’est pas seulement se lamenter sur les politiques répressives de l’État. Ce n’est pas seulement condamner la répression, qui est la conséquence d’une politique d’occupation illégale et injuste. C’est remonter à la cause et la cause, c’est la réalité d’un État colonial. Quant à la solution, il n’y en pas 34, il y en a une, et c’est la fin de cette occupation. C’est seulement à cette condition que les deux peuples pourraient vivre ensemble. Aujourd’hui dans cette région du monde, la machine de guerre israélienne roule à plein régime. Les Palestiniens sont divisés. L’opinion en Israël est traversée de courants racistes et extrémistes qui appellent à l’expulsion, voire pire encore, des Palestiniens. Se tenir droit n’est pas facile. Mais il faut tenir. Et c’est pourquoi les Palestiniens et les Palestiniennes, avec l’aide de leurs ami-es dans le monde, veulent relancer la lutte. Le moyen qu’ils ont trouvé, c’est une grande campagne de boycottage d’Israël : la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), vous en avez entendu parler. Il n’est pas facile pour un Israélien de dire qu’il appuie BDS. Comme cela ne l’était pas pour les quelques Sud-Africains blancs qui travaillaient avec la résistance africaine à l’époque de l’apartheid. Pour Mikado, BDS n’a rien d’une opération contre les Israéliens, encore moins d’un projet antisémite (comme le répètent le gouvernement israélien et ses complices à Ottawa). C’est un choix nécessaire qui peut faire bouger les choses et peut-être même, avec un peu de chance, ramener l’idée de la paix dans ce pays de guerre. On rêve un peu, comme Mandela en 1982, quand il croupissait dans les prisons de l’apartheid. Et pourtant, quelques années plus tard, l’impensable est devenu pensable.
Pierre Beaudet
Le mur des femmes contre les oléoducs
Ce projet auquel participent nos camarades Élise Vaillancourt et Marie-Josée Béliveau reprend vie ce printemps et cet été, notamment avec une marche qui va parcourir la Gaspésie (https://www.facebook.com/events/1569734146618146/). La première marche en 2014 fait l’objet d’un superbe documentaire réalisé par Olivier D. Asselin, Pipelines, pouvoir et démocratie, et qui est petit bijou d’éducation populaire, car il raconte l’histoire de l’intérieur d’une mobilisation, de ses succès, de ses limites. À voir absolument (https://www.facebook.com/onfpipelines/).
Pour plus d’information : Élise (elise.vaillancourt.ev@gmail.com)
Espaces réflexions
La deuxième vie du FSM
Par Pascale Dufour, professeure à l’Université de Montréal
En 2001, le premier Forum social mondial a été analysé comme un moment militant « inédit ». Espace et non mouvement, dédié à la recherche des alternatives et au ré-enchantement du monde, véritablement transnationale, porteur de construction de solidarités croisées entre des organisations situées partout sur la planète; la plupart des observateurs voyaient dans le FSM, une rampe de lancement crédible pour le développement de perspectives politiques alternatives. Surtout, la forme du FSM semblait contenir ce qui apparaissait le plus nécessaire, à savoir : la prise en compte et la valorisation des différences à travers le globe (au lieu d’une solution mur-à-mur). Autrement dit, la forme FSM tentait d’éviter les écueils des modes de fonctionnement politique de la gauche et de l’extrême-gauche des années 1960 et 1970 qui avaient déchiré les milieux progressistes. Depuis 2001, les expériences successives des FSM et leur diffusion à d’autres échelles (régionales, nationales et locales) démontrent très certainement la force de la formule. Néanmoins, quelques questions demeurent qui laissent penser que la pérennité des FSM n’est peut-être pas une fin en soi. Nous en mentionnons deux.
Premièrement, les FSM demeurent ancrés dans le monde des « organisations » au sens de groupes formels constitués. Même si empiriquement, il est tout à fait possible de participer à un FSM sans carte de membre officiel d’une organisation; pour s’impliquer plus activement dans l’organisation de l’évènement, il est attendu que la personne s’engage au nom d’un collectif (et non en son nom propre). On sait, par ailleurs, que l’engagement militant se fait de moins en moins en allégeance avec des organisations formelles, mais plus par « agglutination » d’intérêts et d’identités, qui peuvent, temporairement prendre la forme de réseaux affinitaires ou de collectifs, mais qui ne se réduisent pas à ceux-ci. Il y a là un grand défi pour les FSM : articuler le fonctionnement du monde des « organisations » et les autres formes d’action collective dans la planification des évènements et la mobilisation.
Deuxièmement, il est de plus en plus difficile de justifier la plus-value des rassemblements mondiaux vis-à-vis d’autres types d’action collective. Les coûts environnementaux liés au déplacement, les ressources matérielles nécessaires que cela implique; la déconnexion possible entre l’évènement FSM et les crises politiques en cours, sont des dimensions soulevées régulièrement pour remettre en cause la pertinence même des rassemblements mondiaux. Ces questions ont accompagné les forums sociaux tout au long de leur existence. Mais force est de constater qu’il est de plus en plus difficile d’y répondre dans un contexte qui a, lui, bien changé. Aller dans un FSM, c’était participer à cet espoir collectif d’autres mondes possibles. En 2016, on assiste à une crispation nationale qui dépasse les frontières de l’Europe; les politiques d’austérité dans les démocraties du Nord ont affaibli la croyance en la possibilité de réformer le système économique et l’Amérique latine ne joue plus son rôle de continent-leader progressiste. À la question pourquoi les FSM continuent comme mode d’action collective, il pourrait être tentant de répondre de manière simpliste, parce que nous en avons pris l’habitude et/ou parce que c’est une stratégie médiatique efficace. Espérons que l’édition 2016 apportera d’autres réponses.