Les NCS en 2016
Le numéro 15 des NCS, qui paraîtra prochainement, marquera la 8e année de la revue. Le collectif, quant à lui, entre dans sa 10e année. Comparaison n’est pas raison, mais cela nous dit quelque chose de savoir que notre revue a « dépassé », au moins sur la longévité, nos « ancêtres » tels les Cahiers du socialisme, Parti pris, Mobilisation… Outre l’effort et la qualité des auteurs-es et de ceux et celles qui font le travail (dans l’ombre), il y aussi la réalité d’un mouvement social qui persiste et signe au Québec. Depuis la Marche des femmes contre la pauvreté et la violence (Marche du pain et des roses, 1995), la dynamique populaire s’est inspirée des convergences écologistes, étudiantes, communautaires, féministes, altermondialistes, syndicalistes. L’année 2015 n’a pas dérogé à cette « règle ». Aussi, les nombreux exercices de bilans et perspectives que plusieurs mouvements populaires font en cette période font ressortir de grands défis. Au-delà de l’esprit de résistance qui nous anime, le dispositif du pouvoir reste puissant, passant de la coercition (répression aiguisée par toutes sortes de lois et règlements liberticides) à l’hégémonie (qui distille dans nos consciences l’idéologie du tout-le-monde-contre-tout-le-monde).
Pour continuer dans ce qui est un véritable marathon, il ne faut pas avoir peur de sortir des sentiers battus et de se poser des questions (parfois embarrassantes). Dans tout cela, le devoir des « jeunes de cœur », comme on peut les appeler, est d’aider, modestement, les autres à prendre leur place. Ce n’est pas seulement pour être politiquement correct. Notre « génération 1968 » est montée « au ciel », selon l’expression consacrée. Elle a fait basculer la révolution pas-si-tranquille vers des avancées importantes. En même temps, elle s’est enlisée dans les méandres d’un socialisme encore ancré dans le passé, en reproduisant des schémas dogmatiques et des pratiques autoritaires. Aujourd’hui heureusement, le je-sais-tout-isme n’a plus la cote : les jeunes (de cœur) ne vont pas faire la même erreur. Quant aux jeunes d’âge, ils sont trop malins pour répéter les mêmes erreurs. Le grand défi des NCS est donc d’assurer que cette « rencontre des générations », qui est une grande transition, soit encore plus créative et courageuse.
Pierre Beaudet
Réfugiés : le drame occulté
Le flux des réfugiés à la fin de l’année atteint plus de 20 millions de personnes selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce à quoi il faut ajouter 60 millions de déplacés (qui ne parviennent pas à franchir une frontière). Contrairement au mythe entretenu par les médias, la grande majorité de ces malheureux et de ces malheureuses ne parvient jamais en Europe ou en Amérique du Nord. Ainsi, on feint d’ignorer que le Liban accueille davantage de réfugiés que tout autre pays au monde par rapport à la taille de sa population. Tout cela ne contredit nullement les efforts des communautés et des populations, en Allemagne entre autres, qui ont le mérite d’avoir un réflexe solidaire devant tant d’horreurs, comme l’illustre cette photo prise à Alep (Syrie) il y a quelques semaines.
D’autres hécatombes se produisent chaque jour au Soudan, en République démocratique du Congo, au Yémen, en Birmanie. De pseudo-négociations, de pseudo-conférences de paix, de pseudo-opérations humanitaires occupent quelques heures de manchettes, et puis on oublie. Derrière cela, une immense repolarisation du monde entre les puissances « déclinantes » (qui restent très fortes) et les « émergents » (Russie et Chine) qui se font des guerres « par procuration ». Depuis quelques mois, ces émergents avec leurs alliés (l’Iran et le régime d’El-Assad) « avancent », si ce mot a du sens devant l’effondrement. Entre-temps, il n’y a plus de pilote dans l’avion à Washington. Le système de l’ONU est paralysé. Cela sent mauvais, comme au tournant du début du vingtième siècle.
« People-isation » et mascarade
Après les années Harper, le Canada est passé au registre « people » : belles photos, belles promesses. Ottawa est en extase : quelques milliers de Syriens ont gagné une sorte de loterie de la détresse, et bien sûr, c’est tant mieux. Et c’est tant pis pour les millions qui restent sous les bombes et dans les camps de réfugiés. Plus encore, l’accueil vient des individus, avec quelques subventions symboliques de l’État. Selon la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), le ministère de l’Immigration du Québec annonce des coupures à 19 organismes qui travaillent à l’accueil.
Que faire ?
Autre problème, la gestion actuelle cache des discriminations communautaires, ethniques et religieuses défavorisant des pans entiers des populations affectées. Pour dire crument les choses, les grands perdants sont les populations arabophones sunnites. L’islamophobie, en réalité, n’est plus l’apanage de Donald Trump. Il faudra consacrer beaucoup de temps à confronter Trudeau et ses tentatives de détournement. Il faudra appuyer les braves qui résistent encore en Syrie, en Irak, en Palestine. Il faudra confronter l’islamophobie et le racisme rampant qui accompagne la stratégie militariste. Cela fait plusieurs « il faudra ». On se souhaite bonne chance…
Lutte du Front commun et lutte contre l’austérité : quelles sont les perspectives ?
Une entente de principe est survenue juste avant les vacances entre les centrales syndicales CSN, CSQ, FTQ, ainsi que plusieurs syndicats indépendants (FIQ, SFPQ, APTS) et le gouvernement du Québec concernant les conditions de travail et les salaires des travailleurs et travailleuses du secteur public.
Le projet d’entente
Selon Jacques Létourneau (CSN), le Front commun a réussi à stopper l’appauvrissement des salarié-es du secteur public et à mettre fin au retard salarial avec les autres travailleurs québécois : « Globalement, on parle d’une enveloppe de 10,25 % en 5 ans, ce n’est pas rien ! Nous avons bien sûr fait des compromis, mais nous avons surtout forcé le gouvernement à sortir de son cadre financier initial. C’est l’ensemble des travailleuses et des travailleurs du secteur public qui en sortent gagnants ! ». Pour Daniel Boyer (FTQ), les syndicats ont confronté un gouvernement qui voulait traiter les employé-es du secteur public « comme des pions interchangeables, sans aucun respect de leur autonomie professionnelle. La mobilisation historique des membres du Front commun, dans toutes les régions du Québec, a réussi à bloquer cette tentative de destruction de nos services publics » conclut-il. Pour Louise Chabot (CSQ), c’est une « bonne entente, même s’il y a des espoirs déçus ». Elle précise que les syndicats doivent continuer leur lutte contre l’austérité, d’autant plus que le gouvernement québécois vise à « étrangler financièrement les services publics pour lancer une véritable révolution du rôle de l’État au profit du secteur privé ».
Des désaccords
La Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN (110 000 membres) recommande cependant à ses membres de rejeter l’accord; la décision fut prise par plus des deux tiers des quelque 600 délégués-es au conseil fédéral. La FNEEQ a pour sa part majoritairement approuvé l’accord, mais il y a plusieurs syndicats qui sont d’un autre avis, dont le Syndicat des professeurs du cégep Lionel-Groulx, qui affirme que, même si la mobilisation exemplaire des derniers mois a forcé le recul du gouvernement sur plusieurs aspects, « il est faux de dire que tous bénéficieront de la protection de leur pouvoir d’achat; certains s’appauvriront encore d’ici 2020, ce qui s’avère inacceptable » (23 décembre 2015). D’autres organisations syndicales, notamment la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), pensent que la résistance est non seulement nécessaire, mais possible.
Questions de stratégie
De nombreux débats se tiendront donc lors des assemblées des syndicats locaux appelés à ratifier ou à refuser l’accord. Parallèlement, d’autres discussions sont prévisibles. Les syndicats se préparent déjà en vue de la période de maraudage qui découle de l’amalgamation de plusieurs unités de travail dans le domaine de la santé et qui se conclura par des votes d’allégeance dans les prochains mois, dans le sillon des fusions imposées d’établissements et de la constitution de méga-institutions. Il est possible que certains syndicats fassent des « gains », par exemple, la FIQ, bien placée pour augmenter son nombre de membres parmi les infirmières et les infirmiers. Il y aura sans doute des « gagnants » et des « perdants », ce qui va créer encore plus de désunion et de confusion au moment où les syndicats du secteur public devraient normalement batailler ferme. Que peuvent faire les syndicats pour s’opposer à cette division ? Autre enjeu : la force syndicale dépend de la « bataille des idées » où la cause des employé-es du secteur public doit ressortir comme une lutte pour tout le monde, qui dépasse les conditions des premiers concernés. Les syndicats avaient durant les derniers mois, dans une certaine mesure, bien mené cette bataille, en mettant à profit des alliances avec d’autres secteurs (« Touche pas à mon école », « Touche pas à ma région », parents, groupes communautaires et étudiants, etc.) et dans le cadre du collectif Refusons l’austérité et de la coalition Main rouge. Or, en ce moment, cette convergence est fragilisée. La négociation de la convention collective, qui est un enjeu syndical, risque de se détacher de la lutte plus globale contre l’austérité. Que peuvent faire les syndicalistes pour maintenir et élargir les convergences populaires ? Les camarades syndicalistes devront démêler tout cela et peser le pour et le contre dans un contexte où le gouvernement tentera d’aggraver les désaccords. Il dispose pour ce faire de plusieurs atouts. Il est homogène, mené par un leadership indiscuté. Il a l’appui unanime de toutes les fractions des élites. Il est en face d’une opposition parlementaire fragmentée, dont un PQ disloqué.
Une primeur des NCS : qui est le sous-commandant Marcos ?
Notre envoyé spécial revient du Mexique où le sous-commandant lui-même est sorti de sa retraite pour nous confirmer qui il était. Au Mexique, dans le silence assourdissant des médias-mercenaires canadiens, états-uniens et mexicains, une lutte opiniâtre continue. En visionnant le clip, vous comprendrez pourquoi…
(https://www.youtube.com/watch?v=Q-A55KtlTMU)
Espace de Réflexion
Transformer l’imaginaire
Des centaines de milliers de personnes ont été expropriées de leur logement après la crise financière en Espagne. Dans la foulée du mouvement des Indignés, une Plateforme des victimes des hypothèques (PAH) s’est développée.
Jusqu’en 2007, l’État et les banques poussaient les gens à s’endetter, exerçant ainsi une forme de contrôle social : un peuple endetté n’a plus le temps de s’organiser, de penser à faire la révolution ou de défendre ses droits. Avant que la bulle immobilière n’explose en 2008, des gens provenant des mouvements sociaux sur le logement ou luttant pour les droits élémentaires ont pensé que les luttes sur le logement pouvaient constituer un sujet politique pour les années à venir. De là est née la PAH en 2009, avec la volonté de regrouper les gens qui en étaient victimes en vue d’actions collectives, sur des bases autogestionnaires et d’entraide.
Aujourd’hui, il y a 240 groupes PAH dans l’ensemble de l’État espagnol. Chaque entité est autonome, avec des décisions prises au consensus et des groupes de médiation en cas de conflit. Une autre force de la PAH, c’est de rassembler des gens différents : ceux qui sont issus du mouvement squat avec leur savoir-faire pour l’ouverture de bâtiments, des anarchistes de toujours et d’autres issus de mouvements citoyens, sans compter toutes les personnes pour qui c’est la première forme d’engagement de leur vie. Nous avons « récupéré » collectivement des logements vides appartenant aux banques ou au gouvernement, et milité pour l’accès à un loyer social. La population comprend ces occupations, ce qui nous protège un peu de la répression, et grâce à ce soutien populaire, les gens qui participent à la PAH gagnent en puissance, car ils oublient leurs peurs.
Depuis son élection à la mairie de Barcelone, Ada Colau (ex-porte-parole du PAH) a imposé une table de négociation avec les banques et les associations de lutte, ce qui n’est pas rien, car le dialogue était rompu depuis un an. Entre-temps, nous faisons pression sur la nouvelle mairie pour réaliser un recensement précis des logements vides dans la ville, car selon nos estimations, au moins 80 000 logements vides ont été recensés. Ce qu’on demande est que, si un logement est vide depuis trois ans, le propriétaire puisse soit recevoir une amende de 500 000 €, soit être exproprié, et son bien transformé en logement social.
Tout cela est comme un engrenage, et le seul acteur-clé, c’est la société civile organisée. Si la rue n’exerce ni pression ni contrôle, la mairie ne pourra rien faire, même avec la meilleure volonté. On est prêts à créer des problèmes à Ada Colau et son équipe si elles oublient la rue. Il est cependant vrai que la population est moins mobilisée; nous vivons un moment d’accalmie dans les cycles de lutte. Face cachée de l’iceberg, les expulsions liées aux loyers sont inscrites dans un dispositif plus général de précarisation et de crise, ce qui fait que les gens ont du mal à tenir dans la durée.
Que veut dire « faire la révolution » ? Si cela signifie tout changer du jour au lendemain, ce n’est pas ce que nous sommes en train de faire. Des prolétaires côtoient cependant des gens de la classe moyenne ou des immigrés, réunis autour des mêmes enjeux. Des gens qui ne se seraient jamais parlé sans la PAH s’entraident dans des situations concrètes d’expulsions ou de démarches administratives – le tout avec beaucoup de femmes très actives. Ce dialogue transforme l’imaginaire et les aprioris de chacun. Or justement, transformer l’imaginaire collectif, c’est déjà un processus révolutionnaire.
Carlos Macías, porte-parole de la PAH.
Extrait d’un dossier produit par le CQFD n° 137 : « Au-delà de Podemos, le pari municipaliste »,
paru en novembre 2015.