Les mutations du capitalisme

Dans un article publié en 2010[1], j’ai examiné les changements structurels survenus au Canada depuis la fin de la  Deuxième Guerre Mondiale. Ces changements ont été partout les mêmes dans tous les pays capitalistes. La période 1947-1975 a été caractérisée par le régime fordiste, qualificatif dérivé de la politique d’Henry Ford qui avait compris que la prospérité de son entreprise dépendait de  la croissance salariale plutôt que de la répression des salaires de ses employés. Le régime fordiste était donc caractérisé par la croissance de la productivité et du partage des gains de productivité entre capital et travail. La conséquence était d’encourager la consommation de masse supportée par la croissance des salaires réels.

Une deuxième caractéristique était l’intervention de l’État dans tous les domaines : économie, santé, éducation, culture. Une troisième caractéristique était la stabilité des taux de changes grâce au lien fixe entre le dollar américain et l’or.  Il y avait aussi un autre incitatif à être plus généreux après la fin de la guerre. L’Europe était menacée de basculer dans le camp communiste puisque l’URSS servait de modèle alternatif au régime capitaliste. Les Américains l’ont très vite compris et se sont empressés de mettre de l’avant le Plan Marshall pour aider à la reconstruction rapide des pays dévastés. Le fordisme a constitué le nouvel âge d’or du capitalisme.

Pourquoi alors s’est-on éloigné de ce régime pour évoluer vers un nouveau régime beaucoup plus favorable au capital ? Les causes sont multiples, mais je suis de ceux qui considèrent que les changements dans l’espace international sont dominants et entraînent les changements dans l’espace national. On ne soulignera jamais assez que l’importance de l’abandon du régime d’étalon de change dollar-or en 1971 qui a eu comme conséquence l’émergence d’un nouveau régime des changes flottants. Ce nouveau régime a donné naissance à l’incertitude sur le marché des changes. Pour se prémunir contre cette volatilité, les entreprises ont commencé à acheter des produits dérivés quant au prix futurs de leurs matières premières et ensuite des produits dérivés financiers pour leurs emprunts. Ce fut le début de la croissance spectaculaire des produits dérivés en tout genre

Cet abandon du régime US dollar-or a eu aussi comme conséquence de fétichiser encore plus la valeur de la monnaie, car si sa valeur ne repose plus sur l’or, elle doit reposer, du moins dans l’espace national, sur le besoin de discipliner la force de travail pour assurer la crédibilité de l’État dans l’espace international. La lutte des classes ne se limite plus à une confrontation entre capital et travail dans les entreprises, mais devient une question nationale entre financiers et travailleurs dans tous les secteurs. Un État capitaliste se doit de prendre le parti des financiers, car il y va de sa crédibilité, de la crédibilité de sa monnaie et de sa dette au plan international. D’où le rôle des agences de notation et le respect que tout « bon » gouvernement doit avoir envers eux.

Enfin un autre changement majeur au niveau international fut l’écroulement du Mur de Berlin et l’implosion de l’URSS en 1989. Comme nous l’avons déjà souligné, l’existence d’un modèle alternatif de développement avait contribué à discipliner les capitalistes. Sa disparition soudaine a fait jubiler toute la classe capitaliste, car la voie était libre à une plus grande exploitation de la force de travail. Ce sont toutes ces questions et bien d’autres qui seront examinées à l’aide d’observations sur une longue période.

Jean-Guy Loranger, Pro­fes­seur à l’Université de Montréal


[1] Revue de la régulation, numéro 8.

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