Devant la marchandisation des savoirs à travers la fidélisation de « la clientèle étudiante » par les corporations invitant les institutions d’enseignement à utiliser leurs logiciels privés, la mise en commun des savoirs, la réappropriation des moyens de communication et la création d’espaces collectifs d’apprentissage sont autant de pratiques politiques citoyennes à explorer davantage.
En ce qui concerne les pratiques éducatives et le libre accès aux publications scientifiques, Florence Piron estime que l’utilisation des TIC dans le domaine de l’éducation au sein de la recherche offre de luxuriantes possibilités permettant de nous informer, de nous former et surtout d’échanger en groupe afin de trouver des solutions collectives et de nous réapproprier les savoirs souvent contrôlés par les grandes corporations. La publication de wikis[2] et de livres en libre accès ou encore l’utilisation de Zotero[3] demeurent des outils à notre disposition nous permettant de refuser la dépendance envers les corporations. Cependant, il importe de faire sortir les profs de leur soumission envers les éditeurs commerciaux. Cette sortie d’un cadre institutionnel d’assujettissement de la recherche aux intérêts des corporations se fait notamment par la science ouverte qui est orientée vers l’idéal du libre partage des connaissances, du travail collaboratif et de la science comme commun. La recherche ouverte regroupe plusieurs pratiques qui vont du libre accès aux publications scientifiques à la recherche-action participative et à la démocratie scientifique, en passant par la création de lieux alternatifs de recherche (laboratoires ouverts), l’ouverture et le partage des données de recherche et bibliographiques, l’écriture scientifique collaborative, le recours au Web 2.0 et aux réseaux sociaux pour valoriser les recherches, l’intérêt pour les savoirs locaux, les sciences citoyennes et participatives, la critique des pratiques conventionnelles d’évaluation par les pairs et la priorité accordée aux logiciels libres et aux licences ouvertes. Pour confronter la persistante fracture numérique entre le Nord et le Sud, il faut dynamiser le mouvement du libre, et créer une société globale du savoir comme alternative à l’économie du savoir.
Selon Yannick Delbecque, il importe de discuter un enjeu politique encore peu abordé au sein des institutions d’enseignement : le choix de plates-formes utilisées. Le choix des plates-formes ne fait généralement pas l’objet d’appels d’offres ou de consultations auprès du corps professoral, ce qui a pour conséquence que les institutions préconisent les plates-formes commerciales plutôt que les plates-formes libres[4]. Incontestablement, le choix des plates-formes a un impact sur les contenus enseignés et les façons d’intervenir auprès des étudiants et des étudiantes. En invitant ceux-ci et celles-ci à utiliser un iPad de telle ou telle compagnie en fonction de ses vertus pédagogiques, les professeur-e-s deviennent des promoteurs de compagnies privées. La surveillance des publications des professeurs et chercheurs demeure également un enjeu politique incontournable, dans un contexte d’assujettissement des institutions d’enseignement aux corporations; il devient difficile de s’adonner à la critique des décisions des institutions considérant que ces dernières sont redevables aux corporations par le biais de contrats.
Entre-temps, s’investir dans les mouvements de résistance citoyens demeure une démarche politique efficace et prometteuse[5]. La rédaction d’un guide syndical portant sur le droit d’auteur et les licences libres constituerait une solide base politique à partir de laquelle il serait possible de réfléchir collectivement afin de transformer nos pratiques institutionnelles. À nous, citoyennes et citoyens soucieux de la circulation élargie de la connaissance, d’occuper les territoires du libre afin de faire fleurir des communautés de pratiques innovantes et stimulantes.
Synthèse d’Anne-Marie Le Saux[1]
Notes
- Florence Piron est professeure au département d’information et de communication de l’Université Laval. Yannick Delbecque est professeur de mathématique au cégep Saint-Laurent et militant pour le logiciel libre. Anne-Marie Le Saux est professeure de sociologie au cégep de Maisonneuve ↑
- Sites Web collaboratifs où il est possible de modifier ou d’ajouter du contenu. Le plus connu des wikis aujourd’hui est Wikipédia, encyclopédie participative sur Internet visant la mise en commun des savoirs. ↑
- Le blogue Zotero souhaite diffuser des compétences, actualités et outils relatifs au logiciel de gestion bibliographique libre et gratuit. ↑
- Au sein des institutions collégiales, l’utilisation d’un logiciel de correction grammaticale tel qu’Antidote n’a pas fait l’objet de consultation auprès du corps professoral. Notons qu’il existe un équivalent libre : Grammalecte. ↑
- L’organisme FACiL est à ce titre des plus stimulants. Cet organisme sans but lucratif se donne comme mandat de promouvoir l’adoption, l’usage et la démocratisation de l’informatique libre. Fondée officiellement en avril 2003, l’organisation est issue de l’évolution de Linux-Québec.org et de l’implication d’acteurs provenant de divers horizons. ↑
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