«Non, mais c’est vrai par exemple, quand tu y penses, les études, qu’ossa donne? Ça ne donne rien. C’est vrai. On en a-tu des études dans la famille, nous autres? On n’en a pas. Moi, ça fait 15 ans que je travaille, ça fait 15 ans que je n’ai pas besoin d’avoir étudié. Vraiment, les études, qu’ossa donne?» (Librement adapté du monologue d’Yvon Deschamps, «Les unions, qu’ossa donne?»)
Par Jacques Lanctôt
(Extrait du site web de Canoë)
Quelle drôle d’époque nous vivons. L’impression de toujours avancer un peu plus en arrière. L’époque du chacun-pour-soi. Une époque où le bon samaritain peut facilement être soupçonné de terrorisme, cette notion au dos très large, mais que les États-Unis brandissent dès que quelqu’un, une organisation, une formation politique, un pays osent remettre en question leur hégémonie. À force de crier aux loups, au génocide, au fascisme, on banalise ces termes et on passe facilement à côté des vrais enjeux, des vrais dangers.
Tout se passe comme si on n’avait plus le droit de se rebeller devant l’injustice. Pour cela, on n’a pas à demander la permission à personne. Prenez, par exemple, la grève étudiante dans une université francophone à Montréal. Vous avez là des jeunes, au début de la vingtaine, qui revendiquent ce que nous avions revendiqué avant eux et qu’on semblait avoir obtenu, une université accessible pour toutes les classes de la société, ouverte sur le monde et qui n’obéit pas aux lois du marché, une université qui offre du savoir sans se demander si c’est ce genre de savoir que les compagnies qui embauchent actuellement veulent qu’on enseigne à cette future main-d’œuvre. Ces jeunes acceptent de risquer de perdre leur trimestre, de devoir reprendre les cours perdus au début de l’automne, d’écourter leurs vacances ou leur travail d’été, pour demander à leur université, au gouvernement, aux élus une plus grande compréhension de leurs demandes tout à fait normales: le retour au gel des frais de scolarité et le maintien des facultés et des programmes actuels, de façon à ce que la résorption du déficit dû à une mauvaise gestion, le fameux plan de redressement, ne se fasse pas au détriment de la qualité de l’enseignement et de l’éventail des cours offerts jusqu’à maintenant.
Or, plutôt que de donner la parole aux étudiants, que d’entendre leurs doléances et propositions, on n’entend que les porte-parole officiels de l’université, avec le nouveau recteur à leur tête, qui condamnent unanimement l’action des étudiants et qui envoient policiers et agents de sécurité en guise de réponse et de dialogue. Cela frise l’intimidation et la provocation. Les étudiants jusqu’à maintenant ont tous les torts, ce sont des enfants gâtés qui se plaignent le ventre plein, ce sont des casseurs, des irresponsables qui veulent détruire l’institution universitaire, qui menacent la sécurité des personnes, comme l’affirme la direction de l’université, dans une lettre alarmiste publiée dans Le Devoir du 26 mars dernier. Avons-nous oublié que nous avons, nous aussi, à une autre époque, revendiqué ces mêmes droits qu’on s’apprête à couper? Et que c’est grâce à ces mobilisations continues que les choses ont eu l’air de bouger petit à petit, dans la foulée de la Révolution tranquille, jusqu’à la création d’une université populaire, l’UQAM et son réseau universitaire?
Ne donnons pas raison, de grâce, à «Dany le Rouge» à qui on vient de dérouler le tapis rouge, sans jeu de mots, en invitant ce repenti venu d’outre-mer à grand renfort de publicité — une petite escale à Montréal avant la grande tournée nord-américaine, c’est toujours de mise —, pour donner une ou deux conférences à ceux qui ont la mémoire vacillante et qui cherchent à donner un nouveau sens à l’immobilisme. La marque de commerce de Daniel Cohn-Bendit est d’affirmer, tout guilleret malgré son âge avancé: «Vous savez, moi j’y étais, m’sieurs-dames, sur les barricades en mai 1968.» Il clame depuis belle lurette, grâce à la réputation surfaite de son passé d’anarchiste, qu’il ne sert plus à rien de se réclamer de la pensée de mai 68, qu’il est temps de s’assagir et d’être pragmatique, donnant malheureusement raison à Brel qui chantait «plus ça devient vieux, plus ça devient bête». Heureusement, il y a des exceptions.
Si les gouvernements réussissent à survivre à la crise des crédits hypothécaires, en allant même jusqu’à racheter les dettes des banques — on nationalise les pertes, mais on privatise les profits —, parfois même par une simple opération comptable, comment ne serait-il pas possible d’entrevoir une solution autre au déficit actuel de l’UQAM, dû non pas uniquement à la mauvaise administration de l’ancien recteur, mais aussi au sous-financement chronique des universités et du savoir. Le gouvernement actuel n’a pas hésité, il y a quelques semaines, à «sauver» la multinationale Alcoa en lui prêtant 228 millions de dollars libres d’intérêts pendant 30 ans (une pinotte pour ce géant de l’aluminium), et en lui garantissant des blocs d’énergie à très bon prix, comment ne pourrait-il pas investir davantage dans ces 40 000 étudiants qui fréquentent cette université et qui représentent l’avenir du Québec?