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Les dépenses publiques sont avant tout un choix de société

«Le niveau de dépenses publiques (…) n’est au fond que la mesure du degré de socialisation des dépenses qui visent au bien-être collectif et qui sont donc retirées du champ du profit. Il reflète le niveau de solidarité mis en œuvre.»

De plus en plus de voix s’élèvent pour juger l’austérité budgétaire non seulement inefficace mais dangereuse : en freinant l’activité économique, elle porte une logique de récession, de baisse supplémentaire des recettes fiscales et donc d’augmentation des déficits, à l’opposé du but visé. Les critiques contre l’austérité proviennent d’économistes de divers bords, mais désormais aussi de représentants de la BCE, de la Banque mondiale ou du FMI. Cela n’a pas encore entamé le discours dominant, selon lequel la France souffrirait d’un « excès de dépenses publiques », l’excès faisant référence à une (soi disant) augmentation de ces dépenses, ainsi qu’à leur niveau élevé par rapport aux autres pays. Ces arguments ne tiennent pas.

D’une part, et brièvement, rappelons qu’il n’y a pas eu d’augmentation des dépenses publiques : au cours des vingt dernières années et jusqu’à l’éclatement de la crise, elles sont restées stables, entre 52 et 53 % du PIB. Ce qui, à l’inverse, a fortement diminué, ce sont les recettes fiscales dont l’importante baisse est le résultat des cadeaux fiscaux faits aux plus riches et aux entreprises, en particulier aux plus grandes. C’est ce manque de recettes, et non les dépenses publiques, qui est responsable jusqu’en 2009 de l’essentiel du déficit public.

D’autre part, c’est la comparaison internationale qui est convoquée comme un argument décisif : en France, la part des dépenses publiques dans le PIB se situe environ 6 points au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. Seuls le Danemark, la Finlande et parfois la Suède ou les Pays-Bas devancent la France, qui devient donc implicitement un État « dépensier », la dépense publique devenant, en bloc, synonyme de gestion inefficace… Sonne alors comme une évidence l’impératif de la réduire.

Pourtant, s’il est indispensable de veiller à la bonne gestion de l’argent public (et de choisir les priorités : financer un char d’assaut ou 300 places de crèche ?), il est aberrant de stigmatiser ainsi la dépense publique. Comparer son niveau entre les pays n’a aucun sens si on ne met pas en regard les services mis à disposition en contrepartie, ainsi que leur qualité, en ce qui concerne la santé, l’éducation, la protection sociale et tout secteur qui a un impact direct sur le bien-être des populations. Selon les pays et les choix politiques, ces dépenses sont soit essentiellement publiques (option des pays nordiques notamment, avec en contrepartie une fiscalité plus forte), soit essentiellement laissées à l’initiative privée (option des pays libéraux) : assurances individuelles de santé, de retraite avec les fonds de pension, écoles privées… Dans ces pays, le niveau de dépenses publiques est évidemment plus faible, puisqu’elles sont transférées sur les dépenses privées… moins visibles, mais tout aussi pesantes sur le budget des ménages ! À l’opposé de la « préférence pour la dépense publique », l’option politique des libéraux est d’offrir de nouvelles opportunités de profits au privé.

Ce choix est-il plus juste ou plus efficace ? Un exemple significatif est celui des États-Unis : son plus faible niveau de dépenses publiques reflète pour l’essentiel un mode de financement de la protection sociale relevant surtout de l’initiative privée. Ainsi ce pays enregistre les dépenses totales (publiques et privées) de santé les plus élevées de l’OCDE avec 16 % du PIB en 2009  (11% pour la France) mais la majeure part est privée, avec les conséquences que l’on connaît en terme d’exclusion, une importante minorité de la population se retrouvant sans aucune couverture maladie… Cette préférence pour la dépense privée est à la fois inégalitaire et plus coûteuse (la dépense totale de santé par personne est deux fois plus forte aux États-Unis qu’en France) pour une efficacité bien moindre, que l’on considère l’espérance de vie ou la mortalité infantile.

En France, la protection sociale et la santé constituent le premier poste de dépenses publiques : en 2009, il en absorbe 57 % (même s’il a reculé de près de 4 points depuis 1995). Dans son rapport de 2012 sur la dépense publique, le ministère du Budget en reconnaît les bienfaits : « La France est l’un des pays développés où la prise en charge des dépenses de santé par les fonds publics est la plus importante, et le pays où le reste à charge des ménages est le plus limité, derrière les Pays-bas. » Ce qui paradoxalement ne semble pas infléchir d’un iota l’injonction à diminuer ces dépenses !

Parmi d’autres qualités des dépenses publiques, il en est une, essentielle : elles réduisent les inégalités sociales. Protection sociale, services publics, prestations sociales (ce que Bourdieu appelait la main gauche de l’État, en remarquant qu’elle est la trace dans la structure de l’État des luttes sociales passées) permettent une redistribution de revenus, ce qui est à nouveau mis en évidence, cette fois par l’OCDE qui n’est pas précisément une institution de gauche, dans son « Panorama de la société » de 2011 : « Les inégalités de revenus et la pauvreté sont plus faibles en France (7,2 % de la population vit sous le seuil de pauvreté contre une moyenne OCDE de 11,1 %), en partie grâce aux dépenses de protection sociale qui sont les plus élevées de la zone OCDE, représentant 28% du PIB, contre une moyenne OCDE de 19% ».

Le niveau de dépenses publiques –et en creux, celui de la fiscalité– n’est au fond que la mesure du degré de socialisation des dépenses qui visent au bien-être collectif et qui sont donc retirées du champ du profit. Il reflète le niveau de solidarité mis en œuvre. Un objectif de baisse des dépenses publiques n’a donc aucun sens en soi, et il occulte le principal : il s’agit avant tout d’un choix de société. L’enjeu est au cœur de la période qui s’ouvre.

Par Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac.

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