Depuis un certain nombre d’années, un écart important existe entre l’expérience des migrants installés définitivement ou temporairement dans le pays et l’accueil qui leur était promis. On a d’abord vu une hausse fulgurante des travailleurs étrangers temporaires (de 47 % entre 2004 et 2007 selon les données du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration). Et depuis 2006, l’entrée de travailleurs temporaires dépasse celle des immigrants économiques.
Cette migration temporaire liée au travail se retrouve dans de nombreux programmes distincts selon les critères d’admission, la réglementation sectorielle de l’emploi ou selon le cadre institutionnel de l’entente. Dans le cas de la migration de travailleurs non spécialisés, trois programmes existent: le programme des aides familiaux résidants, les programmes de travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) et un programme de travailleurs temporaires peu spécialisés. Il convient de souligner l’ascension fulgurante des PTAA, issu d’ententes entre le Canada, quelques pays des Caraïbes, le Mexique et le Guatemala.
Outre le fait qu’elle peut vulnérabiliser les migrants, l’une des conséquences de cette multiplication des situations de migration temporaire consiste à encourager la dérèglementation des statuts et du travail en général. Car le traitement des personnes ayant les mêmes compétences est différencié non pas à partir de celles-ci, mais des catégories migratoires dont elles proviennent. Ce faisant, les droits associés à l’exercice d’un travail deviennent subordonnés aux statuts attribués par les programmes migratoires existants. Les distinctions, artificiellement créées, entre les personnes et entre les occupations remplacent alors les codes et normes associés à ces occupations dans la nomenclature fédérale ou provinciale.
Un constat ressort de ces données, celui d’une plus grande précarité et vulnérabilité pour les migrants économiques au Canada. Les causes de ce phénomène sont nombreuses, les orientations conservatrices et néolibérales des gouvernements récents y sont pour quelque chose, mais aussi les mutations de l’économie et notamment dans certains secteurs spécifiques comme l’agriculture. Il y a aussi la grande complexité d’un système qui produit des programmes et des catégories à tous vents. Le statut différencié des personnes tombant sous l’un ou l’autre de ces programmes renforce la tendance à la précarisation, en raison de la dévalorisation de certaines situations, de certaines expériences.
Extrait d’un texte paru dans le numéro 5 des NCS, Migrations : Stratégies, acteurs et résistances