Lors de la conférence de presse du 11 janvier dernier, François Legault a annoncé une stratégie qui ressemble fort à une tentative désespérée afin de camoufler la mauvaise gestion de la crise par son gouvernement. En affirmant que « tous les adultes qui n’accepteront pas dans les prochaines semaines d’aller chercher au moins une première dose auront une facture à payer parce qu’il y a des conséquences sur notre réseau de la santé », au motif que « ce n’est pas vrai que 10 % de la population va faire souffrir l’autre 90 % en engorgeant nos hôpitaux », le premier ministre nourrit la division au sein des Québécois.e.s qui ne cesse de croître depuis le début de la pandémie.
Plusieurs observateur.rices ont déjà commenté lors des derniers mois la gestion calamiteuse de la crise par le gouvernement Legault, qui a finalement dû se résoudre à demander aux travailleurs de la santé de travailler même s’ils et elles sont contaminé.e.s par le virus. Or aujourd’hui, si le système est prêt à craquer, ce ne serait pas la faute du gouvernement, mais bien celles des malades, qui n’ont pas su bien se comporter en temps de pandémie, c’est-à-dire faire les bons choix rationnels dans une optique de responsabilité individuelle.
Blâmer la victime
Dans un article datant du 11 janvier[1], la journaliste Judith Lachapelle rappelle que les non-vaccinés ne sont pas nécessairement tous et toutes des antivaccins adeptes de la théorie du complot. Des observateur.rices dans les hôpitaux montrent à cet effet qu’une grande partie d’entre elles et eux sont des personnes vulnérables qui ont difficilement accès au système de la santé, telles que les itinérants et les personnes âgées, tandis que plusieurs facteurs dont la perte d’autonomie, l’isolement social, de très faibles revenus, des problèmes cognitifs, une méconnaissance des deux langues officielles, un analphabétisme, une fracture numérique, le racisme ou l’homophobie compteraient parmi les causes principales de leur non-vaccination. En dépit d’être bruyants sur la sphère médiatique, les « anti-vax », soit les personnes qui décident de ne pas se faire vacciner pour des raisons idéologiques, seraient donc loin de représenter la majorité des personnes hospitalisées en raison de la COVID-19.
Pourquoi cet amalgame entre personnes vulnérables et anti-vax est-il alors mobilisé et quel(s) intérêt(s) sert-il ? Je suggère que la stigmatisation des personnes non vaccinées, que l’on catégorise dans un groupe homogène, est une stratégie politique qui consiste à créer un bouc émissaire utile à freiner toute contestation politique envers l’État.
Cette manœuvre s’inscrit dans le prolongement d’une rationalité néolibérale qui a été mise en œuvre par les gouvernements successifs depuis plusieurs décennies. La politiste américaine Wendy Brown soutient à cet égard que cette logique économique est reproduite par le gouvernement dans la vie sociale. En plus de réduire le financement des services publics au détriment du système de soins de la santé, cette rationalité privatise les inégalités en rendant les individus responsables de leur sort et de leur (mauvais) choix individuel. Dans cette perspective, les sujets néolibéraux sont des sujets entrepreneuriaux qui doivent faire les bons choix et maximiser leurs opportunités en termes de calculs coûts/bénéfices. La « liberté de choix » individualiste est alors brandie comme un étendard pour masquer les inégalités sociales et la précarité produite par l’État.
Un danger de précédent
La rhétorique de la responsabilité individuelle au détriment du collectif sert alors à réduire l’intervention de l’État en faveur des populations vulnérables. Cette manœuvre politique pourrait même faire précédent, en ouvrant la voie à la pénalisation des individus jugés déviants, au motif qu’ils et elles ne sauraient pas se prendre en charge et feraient des mauvais choix de vie. Va-t-on par exemple imposer une contribution santé aux personnes qui ne font pas assez d’activité physique ? Aux personnes fumeuses ? À celles qui ne mangent pas une nourriture assez saine et équilibrée ?
N’oublions pas que les choix individuels s’exercent toujours à l’intérieur d’un espace de contrainte dans les structures sociales. Dans cette optique, l’exigence de responsabilité individuelle va de pair avec une dépolitisation des rapports sociaux et des inégalités structurelles. Dans le même temps, la logique néolibérale, en remettant de l’avant la responsabilité individuelle au détriment du système social, empêche de contester des décisions politiques qui précarisent encore davantage les personnes en situation de vulnérabilité. Ce qui est opportun pour un gouvernement qui multiplie les mauvaises décisions et peine à nous faire sortir collectivement de la crise pandémique.
Héloïse Michaud
Doctorante en science politique, UQAM
- https://www.lapresse.ca/covid-19/2022-01-11/non-les-personnes-non-vaccinees-ne-sont-pas-toutes-antivaccins.php?fbclid=IwAR3uNyKrxqM9flyq9oz3o9IDfAB2SnR1_F9fYX–NqfRkVfN1AuDjrblnsI ↑